Chapitre 23

*** Warning. Comme on dit chez moi, Leerian a '' looser sa shit '' dans ce chapitre. Y va avoir du sang... et pas qu'un peu. ***

Pendant qu'un trio nouvellement recomposé partait vers le sud à destination de Wondor, un elfe solitaire s'était mis à jouer les commandos. La tête pleine d'idées de tortures pour celui ou celle qui avait osé garder son épée, il se sentait prêt à tout pour la récupérer.

Leerian n'avait jamais été fan du sang. Depuis qu'il était loup-garou, ça le rendait souvent malade. Mais à ce moment précis, il en oubliait toutes ses peurs et ses craintes ; il allait tuer tous ces foutus trolls jusqu'au dernier si ce n'était que pour remettre la main sur son héritage. Le même héritage qui lui faisait si honte, certes, mais ne pas récupérer l'arme l'enfoncerait si profondément dans cette honte qu'il ne lui resterait plus qu'à creuser sa tombe, s'allonger dedans et attendre son heure.

Il se sentait désespéré à ce point. Leerian se revoyait en pensées, petit garçon dans son lit, son père lui racontant les épopées héroïques de ses ancêtres. Les guerres qu'ils avaient menées, les territoires conquis sur d'autres pays, les dragons qu'ils avaient terrassés, pendant que son paternel, les yeux brillants tant il était animé par ses histoires, pointait l'épée, accrochée au mur dans son fourreau. Et à chaque fois, il terminait son récit de la même façon : « quand je ne serai plus là, ce sera ton devoir de veiller sur cette épée. Elle est tout ce qu'il nous reste, tu comprends ? »

Il comprenait. Il l'avait toujours compris, depuis aussi loin qu'il pouvait s'en souvenir. Il savait qu'elle serait un jour à lui alors qu'il n'avait pas plus de cinq ans, s'amusant avec des branches en prétendant pourchasser un dragon pendant qu'il coursait les pixies. Il le savait à sept ans, quand son père lui avait fabriqué une épée en bois pour lui apprendre à la manier. Et il le savait encore dix ans plus tard, alors qu'il était prêt à tuer pour la récupérer.

En seulement quelques minutes, il avait retrouvé la clairière des lutins. L'endroit semblait vide, abandonné. Les petites maisons en champignons étaient défoncées. Des flutes et des tambours trainaient au sol. Même les pixies avaient déserté la place. C'était complètement inhabité. Leerian avait du mal à croire qu'à peine douze heures plus tôt, c'était la fête et la musique assourdissante. Maintenant, il n'y avait plus que des chants d'oiseaux et des insectes.

La colère qui le brûlait de l'intérieur s'intensifia encore plus, si c'était possible. Les poings serrés, il s'avança vers l'endroit où reposait autrefois le feu de camp. Les quelques buches étaient toujours autour du tas de cendre, mais évidemment, rien ne trainait à cet endroit-là. Tout en faisant attention où il mettait les pieds, Leerian s'efforça de se souvenir de la scène. Tout était très flou dans son esprit, mais il se rappelait assez clairement du troll qui s'était tenu là, s'apprêtant à décapiter Danayelle. C'était là qu'était tombée l'épée... Juste là, à ses pieds.

Leerian s'accroupit, ses yeux félins rétrécis en deux minuscules fentes verticales. Du bout des doigts, il effleura la terre, légèrement humide, fraiche et douce. Elle formait une ligne droite et très longue, entourée de deux traces de pas énormes. Près de ce qui semblait être la forme de la garde, plusieurs cratères imitaient les gros doigts d'un troll. Il n'y avait aucune place au doute ; son épée était là, un troll l'avait prise. Il ne lui restait alors qu'une seule chose à faire. Le pister.

Les elfes étant de purs végétariens, Leerian n'avait jamais eu la nécessité d'apprendre à pister. Pourtant, il l'avait fait, et il était même très doué. De ça, c'était sa mère qui le lui avait appris. Pourquoi jugeait-elle utile que son fils sache suivre les animaux, l'entrainant sur les cerfs et les ours ? Il ne l'avait jamais réellement compris, mais il avait trouvé l'activité suffisamment amusante, et surtout satisfaisante quand il arrivait à son but, pour se prêter au jeu.

En fait, Leerian pensait surtout que sa mère avait fait n'importe quoi pour qu'il ne s'ennuie pas en forêt. La vie devenait facilement barbante, elle l'avait même été atrocement pendant cinq longues années. Et si l'amour que ses parents éprouvaient l'un pour l'autre ne lui laissait aucun doute, Leerian soupçonnait sa mère de parfois regretter d'être restée avec son père. Une vie de solitaire qui se répétait inlassablement depuis plusieurs siècles... Comment avaient-ils fait ? Je l'ai fais cinq ans et j'étais à la limite de devenir fou.

Reprenant ses esprits, Leerian décrocha son regard de la forme de l'épée dans la terre pour le poser sur les traces de pas. Il était temps de mettre en pratique ce que sa mère lui avait appris. On va pister le gros troll.

*

À près d'un kilomètre plus loin de la clairière des lutins, les trolls se réveillaient tout juste. Ils avaient passé la nuit à chercher les elfes, mais aucun d'entre eux n'avait su trouver la bonne direction. Tous étaient d'une humeur massacrante. Jusqu'à maintenant, c'était un échec cuisant. Comment une petite bande d'elfes et d'une sirène pouvait rivaliser ainsi contre des trolls ? Ça commençait à être dur sur leur moral.

Mais pour le chef Ashur, au chaud dans sa tente en peaux de cerf, cette nuit n'avait pas été autant décevante pour lui que les autres. Trainant au sol près de son lit, l'épée d'argent était là, la lame cachée sous un morceau de tissu. Il avait retiré la bande de cuir protégeant la garde, découvrant l'or et les nombreuses pierres d'émeraudes. Bien qu'elle fût beaucoup trop petite pour la main d'un troll, Ashur était très fier de sa trouvaille. Une fois de retour à Yglas, il comptait bien l'accrocher au mur de sa chambre telle une œuvre d'art à un million de pièces d'or. Ou peut-être bien qu'il ferait payer les gens rien que pour la voir. Qui sait, ça attirerait peut-être un peu de touristes dans son village et relancerait l'économie, qui était au point mort depuis plusieurs années.

Soudain, une sonnerie le tira de ses songes. Ashur se redressa, regardant dans toutes les directions. Il n'y avait aucun meuble autre que son lit ; ils n'avaient apporté que le strict nécessaire pour leur exploration. Ashur était même le seul à s'être octroyé une tente, tous les trolls ayant dormi à la belle étoile.

Ashur retrouva son pantalon de cuir. Il s'extirpa de ses couvertures et prit le linge, trainant au sol, et plongea la main dans l'une de ses nombreuses poches. Il en sortit un téléphone à clapet tout simple. Ashur aurait bien aimé avoir un cellulaire à écran tactile, mais ses doigts étaient si gros qu'il lui aurait fallu un appareil de trente centimètres carrés, ce qui n'aurait pas été pratique du tout pour lui.

— Allô ? dit-il d'un ton doux.

— Ashur, c'est Muglow. Vous les avez eus ?

— On a eu un... léger contretemps. Mais ce n'est rien ; on va se remettre en chasse. Dites-moi seulement quelle direction nous devons prendre.

— Ah, c'est une excellente question que tu me poses là ! Parce que je n'en ai pas la moindre idée.

Ashur demeura interdit face à la réponse de l'elfe. N'était-il pas en possession d'un objet magique qui lui révélait l'emplacement exact du trio ?

— Ma carte a disparu, dit Muglow. Elle a été volée par un petit téléporteur aux cheveux blancs. Comme vont les choses, ça ne m'étonnerait pas que tu croises sa route prochainement. Si ce n'est déjà fait.

Ashur dut prendre sur lui pour contrôler sa frustration montante. L'écran de son téléphone craqua sous la force de son poing. Il pouvait bien admettre que le professeur avait perdu la carte, mais était-il obligé de le dire sur un ton aussi léger, comme si la situation n'était rien d'autre que comique ? Est-ce qu'au moins, il souhaitait réellement qu'Ashur tue ces gamins ? Une chance qu'il le payait, car Ashur commençait à avoir envie de rebrousser chemin et d'aller trucider le vieil elfe !

— Tu vas bien continuer de les traquer, n'est-ce pas ? fit Muglow après un moment de silence.

— Et comment veux-tu que je les trouve ? gronda Ashur d'une voix profonde.

— Vas-y à l'ancienne. Cherche !

L'appel se termina ainsi, pour le grand désarroi du chef d'Yglas. Chercher... et puis quoi, encore. Oui, vraiment, c'était une chance qu'il était payé, et qu'en plus, il avait des amis à venger.

Ashur enfila rapidement son pantalon, et les bandes de cuir autour de son torse pour y installer les fourreaux de ses nombreuses lames. Puis il prit l'épée d'argent, qui trainait au sol tel un vulgaire couteau de cuisine, et la glissa dans le dernier des fourreaux. La poignée en or était parfaitement visible parmi tout le noir et le gris que composait son habit, même si elle était l'arme la plus petite de son arsenal.

Enfin, il sortit de la tente. Dehors, tout autour de lui, il n'y avait que des trolls qui dormaient, si nombreux qu'ils étaient tous l'un au-dessus de l'autre. Ils étaient une quarantaine, tous les mâles adultes de son village l'avaient suivi dans cette mission, n'y laissant que les femelles et les enfants. Aujourd'hui, pensa alors Ashur. Ça se termine aujourd'hui.

— RÉVEILLEZ-VOUS !

L'ordre soudain fusa tel un coup de canon dans la petite clairière. Tous les trolls sortirent de leur sommeil, bondissant sur leurs pieds pour se mettre droit devant leur chef. Ashur esquissa un sourire, exhibant ses défenses de sanglier. Il les avait bien entrainés.

— Préparez-vous, on repart dans cinq minutes !

— Oui, chef ! s'exclamèrent tous les trolls d'une seule voix.

Et sans attendre une seconde de plus, ils s'activaient déjà pour ramasser leurs maigres effets personnels. Bientôt, ils se remettraient en route pour trouver, et tuer surtout, Danayelle, Leerian et Mishi. Et même s'ils ne connaissaient pas encore Egrim, il n'y avait aucun doute que s'ils parvenaient à mettre la main sur lui, il subirait un sort similaire.

*

En quelques minutes, Leerian avait trouvé le campement des trolls. Il s'était attendu à ce que la tâche soit tout de même un défi, mais les trolls étaient si lourds et énormes qu'ils n'avaient pas seulement tracé une route ; ils avaient pratiquement creusé un cratère, le menant directement à eux. Bien sûr, pourquoi ressentiraient-ils le besoin de se cacher ? Eux qui se croyaient invulnérables ?

Ils n'ont jamais affronté un loup-garou, pensa alors Leerian, un sourire sadique aux lèvres. Et pour la première fois de sa vie, il regretta que la pleine lune ne brillât pas dans le ciel. Sans elle, il était très fort, mais avec, il aurait été imbattable.

Leerian s'approcha lentement du campement, posant ses pieds nus aux endroits stratégiques pour éviter au maximum de faire de bruit. Il voyait les premiers trolls à plusieurs mètres devant lui. Tous ceux à proximité lui tournaient le dos. Aucun d'entre eux ne montait la garde. Encore une fois, ils n'avaient aucune raison de le faire. Et pourtant, ils auraient dû.

Leerian aurait aimé avoir une tactique digne d'un vrai roi partant en guerre. Quelques chevaliers pour protéger ses arrières, un ou deux archers cachés dans les arbres. Un plan B en cas de tel imprévu, un C en cas où ils trouveraient cette faille. Peut-être même un mage ou quelques fées pour bien leur faire mordre la poussière. Ils n'auraient eu aucune chance, et après la victoire si facilement acquise, on aurait chanté son courage et sa bravoure... Malheureusement, il n'avait rien de tout ça. Aucune aide, aucun plan. Tout ce qu'il avait était la détermination et l'esprit de vengeance.

À force de petits pas, Leerian était maintenant juste derrière l'un des trolls. Courbé, les jambes pliées et prêt à bondir d'une direction ou un autre au moindre problème, il arrivait tout juste aux hanches du monstre vert. Leerian esquissa un sourire. Ce sera vraiment une honte pour eux d'être dominé par moi seul.

Sans réfléchir une seconde de plus, il attrapa l'épée qui dépassait du fourreau, à la ceinture du troll devant lui. Il dut sauter pour atteindre la poignée, et elle était si large qu'il n'avait d'autre choix de la tenir à deux mains. Mais même si elle était forcément très lourde, Leerian ne se rendit pas compte de son poids. Les dents serrées, il renvoya la lame dans la jambe du troll, le tranchant net en dessous du genou. Celui-ci hurla en s'effondra face contre terre, une énorme mare de sang giclant de son moignon. Une partie en inonda le pantalon de Leerian, qui s'avança à découvert dans la clairière où tous les trolls s'étaient retournés vers lui, ahuris. Un silence angoissant tomba sur l'endroit, uniquement troublé par l'amputé qui se tordait de douleur aux pieds de Leerian.

— C'est mon seul avertissement ! cria-t-il tout en trainant la grosse lame d'acier à deux mains, marchant vers le centre du campement. Rendez-moi mon épée !

Leerian croisa soudain le regard d'Ashur, tout au fond de la place, devant l'entrée de sa tente. Celui-ci porta en réflexe la main sur la garde, cachant la poignée en or. Mais il était trop tard ; Leerian l'avait vu.

Les yeux jaunes de Leerian devinrent alors fous de rage. Ses pupilles se teintèrent de rouge dans leur intégralité. Ses dents droites devinrent pointues, ses ongles se changèrent en griffes.

Au diable la pleine lune. Une colère pure était tout aussi efficace.

— Tuez-le ! s'exclama Ashur.

Leerian courut dans sa direction, mais il ne put atteindre le chef. Pendant qu'il allait lâchement se cacher dans sa tente, les trente-neuf trolls s'élancèrent sur l'elfe-garou. Leerian se mit alors à balancer la lame d'acier dans toutes les directions avec une force suffisante pour trancher des bras entiers, des jambes et même quelques têtes. Il planta une épée dans le torse d'un troll, pigea une arme en l'arrachant simplement des mains d'un autre et ainsi continuer à se battre. Il évitait les coups en tournoyant sur lui-même, en faisant des bonds si hauts qui donnaient l'impression de voler. Aucun troll n'arrivait à rivaliser contre lui, et ceux qui s'essayaient quand même se retrouvaient rapidement amputés.

À un moment, ils eurent presque le dessus. Quatre trolls avaient réussi à immobiliser Leerian, le prenant chacun par un membre. Leerian, fou de rage au point qu'il semblait plus animal qu'humain, se débattait comme un diable. Les trolls, de nature surpuissante, devaient serrer les dents pour le maintenir en place. Mais ce qui les déconcentrèrent, ce fut quand ils se rendirent compte de ce qui clochait chez l'elfe. Il grondait et hurlait, ses doigts griffus transperçaient leur peau aussi surement que du beurre. Ses mâchoires claquaient dans le vide, et ses yeux... rouges comme le sang.

— C'est un loup-garou, s'exclama soudain l'un d'entre eux.

La peur éclata aussitôt parmi le peu de trolls toujours debout. Les loups-garous n'étaient contagieux qu'à la pleine lune, certes, mais il était également dit qu'ils ne pouvaient se métamorphoser qu'au même moment. Pas au petit matin, pendant la lune gibbeuse !

Les trolls n'avaient jamais vu de lycanthrope. Ils ignoraient que Leerian était loin d'être pleinement transformé — en cas contraire, il aurait été méconnaissable, recouvert de fourrure et une queue entre les deux fesses. Mais la folie qui accompagnait cette maladie avait de quoi faire paniquer n'importe qui. Les trolls le lâchèrent, le laissant tomber lourdement au sol. Mais Leerian se relevait déjà, empoignant une minuscule dague à la ceinture d'un mort à ses pieds, et bondit sur un autre pour lui enfoncer la lame dans le crâne d'un seul coup sec. Celui-là n'était même pas encore à terre que Leerian avait déjà trouvé une nouvelle cible.

*

Depuis sa tente, Ashur entendait les hurlements de l'affrontement. Il ne percevait aucun bruit d'acier, de grognement triomphal ni rien de la sorte. Ce n'était que pure cacophonie d'épouvante. Ça durait depuis maintenant cinq minutes, déjà, et les sons semblaient toujours se rapprocher de lui. On aurait dit une véritable bataille comme dans les histoires... des histoires de guerres, ou des histoires d'horreur ? Peut-être un mélange des deux.

Ashur n'avait pas prévu d'agir comme un lâche. Il s'était plutôt attendu à ce que l'elfe soit un ennemi trop insignifiant pour se donner la peine de le trucider lui-même. Mais visiblement, il était toujours en vie... cinq minutes, seul avec une quarantaine de trolls qui voulaient tous le tuer, il était toujours en vie.

Ce n'est pas possible, pensa Ashur. Le petit elfe angoissé qui lui avait vomi dessus ne s'était tout de même pas fait pousser des couilles aussi rapidement. Quoique cette race passait peut-être par la puberté d'une autre façon que les trolls !

À bout de nerfs, Ashur se décida enfin de sortir de sa tente. Il traversa l'entrée en peau de cerf, découvrant la scène de carnage qui s'étendait dans la clairière. Ses yeux noirs s'écarquillèrent en avisant tous ses semblables morts ou agonisants. La terre, les arbres à l'entour, tous ses visages ; tous étaient éclaboussés de sang et de membres abandonnés.

Et au milieu de tout ça, un elfe qui tranchait la jugulaire du dernier troll debout... qui ne le demeura pas bien longtemps. Il tomba à genoux, les deux mains sur sa gorge d'où s'échappait une cascade de liquide rouge sombre.

Leerian se retourna alors vers Ashur, figé devant sa tente. Tous deux s'observèrent pendant un instant. L'elfe était recouvert de sang de la tête aux pieds, ses cheveux et ses vêtements plaqués sur sa peau.

— Donne-moi mon épée, Ashur ! gronda Leerian d'une voix anormalement grave.

Ashur réagit de la seule façon possible ; il sortit l'arme de son fourreau pour la brandir devant lui, s'efforçant de cacher ses membres tremblants.

Leerian pigea alors un long couteau trainant au sol et la lança sur Ashur, à dix mètres de lui. La lame tournoya à une vitesse ahurissante, se plantant droit dans le ventre du chef qui s'effondra en gémissant de douleur. Leerian parcourut la distance en deux pas de course et, sans ménagement, retira l'épée d'argent des mains d'Ashur.

Aussitôt son bien retrouvé, l'intense colère de Leerian se mit à s'apaiser. Lentement, il se retourna pour regarder le carnage qu'il avait créé dans la clairière. Tous ses trolls qu'il avait tués ou sauvagement mutilés... il avait été incapable de s'arrêter.

Ses yeux redevinrent jaunes, ses griffes furent à nouveau des ongles. Ses dents rétrécirent. Et la honte vint le ronger.

— Comment est-ce possible ?!

Leerian baissa la tête vers Ashur. La lame enfoncée dans le ventre, il était pourtant toujours en vie. Leerian savait que ça changerait dès qu'il retirerait l'arme et que l'hémorragie débuterait. Il avait toutes ses chances de mourir, alors à quoi bon perdre son temps à s'expliquer ?

— C'est mon épée, fit-il tout de même d'une voix morne. Tu aurais dû me la rendre quand je te l'avais demandé.

Soudain, Leerian frissonna de la tête aux pieds. Sa vision se flouta pendant une seconde, et il crut même qu'il allait tomber. Toute l'énergie qu'il avait déployée d'un seul coup, ça l'avait épuisé. Il fallait qu'il se repose.

— Je ne veux plus jamais te revoir, Ashur, grogna Leerian avec la force qu'il lui restait. Ou sinon, je te tuerais... si tu survis à ça, dit-il en donnant un petit coup contre le bout du couteau qui lui sortait du ventre.

Ashur gronda de douleur en sentant la lame s'agiter contre ses tripes. Leerian s'attarda une seconde de plus, puis courut pour quitter la clairière, slalomant entre tous les corps de trolls étendus au sol et les gémissements de ses victimes.

Leerian sprinta aussi vite qu'il le put. Mais au bout de trente secondes, il n'en pouvait déjà plus. Il regarda derrière lui, s'assurant qu'il était assez loin, puis se laissa tomber au pied d'un arbre, le souffle court. Sa tête se remit aussitôt à tourner, son estomac se contracta douloureusement. Leerian se pencha de côté pour cracher la bile qui lui remontait à la gorge.

Il détestait le sang... mais pour son épée, ça en avait largement valu la peine.

Et enfin, les doigts crispés sur la garde en or de sont bien, ses yeux se révulsèrent et il s'endormit aussi sec, visage contre terre.

*

Au pied de sa tente, Ashur agonisait. De sa vie, il s'était fait toute sorte de blessures toute plus dégoutantes et profondes les unes que les autres... mais une lame dans le ventre, c'était une première. Les chances de guérison étaient minimes, si ce n'était totalement inexistant. Il allait même probablement mourir à la minute où il la retirerait.

Chaque minuscule mouvement était un supplice. Respirer le brûlait de l'intérieur. Mais il fit un effort pour atteindre son téléphone, dans la poche arrière de son pantalon de cuir. Il grogna, une larme amère roula lentement sur sa joue, et attrapa enfin l'appareil. Il composa le numéro, mit le haut-parleur et le posa près de lui, au sol. Il n'avait plus la force de le tenir contre son oreille.

— Nous nous sommes déjà dit bonjour il y a dix minutes, s'éleva soudain la voix de Muglow. Et je t'ai déjà dit, aussi, de ne pas m'appeler. C'est moi qui t'appelle, pas l'inverse.

— Écoute-moi bien, grogna difficilement Ashur. Il... il s'est passé un truc. Tu ne peux plus compter sur moi pour tuer ses gamins. Le Celeyste... je ne sais pas ce qu'il est. Mais il faut que tu fasses quelque chose. J'ai une idée pour toi... 

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