Chapitre 19

Entrecoupés de petites pauses par-ci par-là, Leerian et Mishi avaient couru toute la journée. Oui, même Mishi. Elle était littéralement à bout de force, mais c'était en pensant à Danayelle qu'elle avait su résister à l'envie de mourir sur-le-champ. C'était maintenant la nuit et ils avaient parcouru deux fois plus de distance que s'ils n'avaient eu fait que marcher.

Normalement, ils se seraient arrêtés dès le début de la noirceur, mais Leerian avait eu l'impression qu'ils étaient tout près d'un village. Il avait convaincu Mishi de continuer à avancer, rien qu'un peu. Et elle avait accepté... pour Danayelle.

Celle-ci, perchée sur le dos de Leerian depuis tout ce temps, commençait à avoir sérieusement hâte d'avoir des soins. Leerian avait bien réussi à remettre ses os en place, mais ils n'en restaient pas moins cassés et atrocement douloureux. Être secoué dans tous les sens par Leerian ne l'avait pas aidé.

Celui-ci s'arrêta soudain de marcher, ayant entendu un bruit qu'il n'arrivait pas à identifier. Mishi, qui le suivait à la trace, se posta près de lui, glissant sa main dans la sienne. Leerian, par ses yeux d'elfe, voyait très bien dans le noir, mais Mishi n'y apercevait que des ombres.

— Qu'est-ce qu'il y a ? demanda-t-elle dans un murmure. Tu vois quelque chose ?

— Rien de spécial. Mais... j'ai entendu... je n'en sais rien. Ça ressemblait à de la musique.

— Qui dit musique dit civilisation, fit Danayelle en donnant une tape sur l'épaule de Leerian. Hue, mon cheval. En avant.

— Tu veux que je te tue et que je cache ton corps sous les buissons ?

Mishi pouffa de rire, mais personne ne l'accompagna. Tous étaient épuisés et partageaient un rêve commun ; trouver un lit douillet.

Leerian reprit la marche, entrainant les filles avec lui. À chaque pas, la musique devenait plus forte, plus entêtante. Elle avait un quelque chose de très folklorique, agrémenté de flûte de pan et de percussions. La forêt se faisait plus dégagée, les arbres plus espacés. D'étranges champignons lumineux apparaissaient sur leur route, de plus en plus nombreux et volumineux. Ils éclairaient suffisamment pour permettre à Mishi de voir parfaitement dans la nuit ; elle était à la fois émerveillée et inquiète par cette flore. Elle en était convaincue ; de la magie était à l'œuvre ici.

La musique, devenue si forte qu'elle vibrait douloureusement aux oreilles des deux elfes, disparut soudainement, laissant comme un vide autour d'eux. Leerian et Mishi s'arrêtèrent de marcher ; Danayelle resserra sa poigne sur les épaules de Leerian.

— Alors, ma cavalière ? Tu veux toujours trouver la civilisation ? dit Leerian d'un ton nerveux.

— En fait, j'ai l'étrange impression que nous sommes déjà observés.

Les champignons lumineux éclairaient la forêt autour d'eux. Leerian, Danayelle et Mishi apercevaient les feuilles des arbres bouger, ils entendaient les branches craquer. Ils voyaient du mouvement, sans parvenir à deviner qui ou quoi, le provoquait.

Soudain, Mishi sentit quelque chose la toucher. C'était comme des mains qui s'agrippaient à ses jambes, ses bras, le long du dos... Elle hurla en se retournant, essayant d'échapper à son agresseur, et quelque chose se pressa sur sa bouche. Des cordes s'enroulèrent autour d'elle. Elle tenta d'appeler Leerian, mais celui-ci, avec Danayelle contre lui, subissait le même sort, incapable de se défendre contre l'ennemi invisible.

Danayelle gémissait de douleur, Leerian grognait en se débattant. L'ennemi semblait être partout à la fois ; impossible d'envoyer un simple coup de poing ou coup de pied. La corde avait terminé de l'attacher solidement contre Danayelle, leurs visages pressés joue contre joue alors qu'ils partageaient le même bâillon. Ils tombèrent au sol, déséquilibré, et tous trois sentirent quelque chose les soulever d'à peine quelques centimètres et les trainer à travers la forêt, accompagnée d'éclats de rire suraigus et de cris de joie.

Tremblant d'angoisse, le trio fut entrainé ainsi sur une centaine de mètres, puis balancé au pied d'un chêne, se tortillant comme des vers en tentant de se relever. Leerian, les yeux écarquillés, regardait autour de lui avec une panique durement contenue. Malgré tout ce chemin parcouru, il n'arrivait toujours pas à apercevoir ses agresseurs. Au loin, il voyait des maisons ridiculement petites, construites à même les champignons géant ou suspendu aux arbres. C'était d'un tel contraste avec celles d'Yglas, si énorme ; ici, c'était tout le contraire. Même à quatre pattes, Leerian n'aurait pas pu passer une seule de ses portes.

Puis soudain, il comprit l'évidence.

Des lutins.

Leerian se détendit aussitôt, sa peur remplacée par l'ennui. Et dans un éclat de lumières, tous devinrent visibles. Des petits êtres qui faisaient à peine plus d'un mètre, tous vêtus de feuilles d'arbres tressés et portant des chapeaux pointus ; leurs visages poupons, presque mignons, démontraient une véritable colère envers les intrus.

— Qui êtes-vous pour oser débarquer chez nous sans prévenir ?! s'exclama l'un d'entre eux d'une voix fluette. Nous ne laissons personne entrer dans notre village ! Personne !

Mishi et Leerian s'échangèrent un regard en coin, marmonnant derrière leurs bâillons. Tué par des lutins ; j'aurais espéré une mort plus glorieuse, tentait de dire Mishi.

Leerian, lui, essayait de communiquer avec eux... mais peine perdue avec le bâillon. Sa force de loup-garou lui permettrait peut-être de casser les cordes, mais voulait-il vraiment risquer son secret contre un ennemi aussi minuscule ?

À force de marmonner, l'un des lutins s'avança pour retirer la boule de feuille qu'il avait pressée contre les lèvres. Il fit attention de ne pas toucher celui de Danayelle.

— Parle pour ta cause, homme, fit le lutin d'un air presque menaçant avec sa petite voix d'enfant.

Leerian ouvrit la bouche, mais la referma aussitôt, étonné. Il vient de me traiter d'homme ? Sérieusement ?

— Je suis un elfe, dit-il d'un ton évident.

Les lutins se lancèrent des œillades entre eux, tous perplexes.

— Tu en es sur ? demanda l'un d'entre eux.

— Si j'en suis sûr ? répéta Leerian, qui commençait à être vraiment insulté. Enfin, regardez-moi !

Un lutin, peut-être le plus courageux du lot, s'approcha de Leerian et se pencha tout près de son visage pour l'observer tel un spécimen dans un zoo. Il passa un doigt le long de son oreille. Puis lui enfonça le doigt dans l'œil, sans prévenir.

— Aïe !

— Il a raison ! Des oreilles pointues et des yeux de chat ! C'est un elfe !

Il retira son doigt de l'œil de Leerian pour le pointer sur Danayelle, qui eut un mouvement de recul.

— Elle aussi ! Elle a les mêmes oreilles et les mêmes yeux ! C'est une elfe !

Les autres lutins sautèrent et crièrent de joie en tapant dans leurs mains, comme si c'était une formidable nouvelle. Puis le lutin se tourna vers Mishi, et son sourire disparut aussitôt.

— Toi, tu n'es pas un elfe. Tes oreilles sont rondes, et tes yeux aussi. C'est un homme !

Mishi grogna et marmonna derrière son bâillon, et Leerian et Danayelle pouffèrent de rire, incapables de prendre la situation en sérieux.

— La femelle de l'homme s'appelle une femme, bande d'idiots ! fit Leerian. Et elle est une sirène. Regardez ses écailles.

Le lutin se pencha plus près pour observer Mishi de la même façon qu'il l'avait fait pour Leerian un peu plus tôt. Il posa un doigt sur le bras de Mishi, le long de ses écailles violettes qui reflétaient la lueur des champignons lumineux tout autour d'eux. Le lutin tenta d'en arracher une et Mishi grogna en se débattant.

— On dirait une forme étrange d'infection de la peau. Est-ce que c'est contagieux ?

À cette idée, il lâcha aussitôt Mishi et recula de plusieurs pas. Ses semblables se mirent à chuchoter entre eux, observant Mishi avec des yeux ronds.

— C'est une caractéristique propre à la race des sirènes, expliqua Leerian d'un ton patient. Ce n'est pas une infection, et c'est tout à fait normal.

— Alors ce n'est pas contagieux ? dit le lutin qui avait toujours le doigt en l'air.

— Absolument pas.

— Et donc, elle n'est pas un homme ?

Leerian leva les yeux au ciel, s'efforçant de rester calme.

— Non, elle n'est pas un homme.

Aussitôt la bonne nouvelle annoncée, les lutins se remirent à sauter et à crier de joie. Celui qui les avait examinés s'occupa même de détacher les cordes qui retenaient le trio au sol.

— Si vous n'êtes pas des hommes, vous ne nous voulez aucun mal ?

— Aucun ! fit Leerian en hochant la tête.

Mishi et Danayelle furent enfin débarrassés de leurs bâillons. Au loin, la musique entêtante s'était remise à jouer, vrillant les oreilles sensibles des elfes qui grimaçaient tout en s'efforçant de ne faire aucun commentaire. Les lutins dansaient comme des enfants en plein délire.

— Dans ce cas, on ne vous tuera pas !

Après avoir retiré toutes les cordes, ils abandonnèrent le trio pour courir un peu partout. Mishi et Danayelle, les sourcils froncés, se tournèrent vers Leerian qui avait du mal à s'empêcher de rire.

— J'ai rencontré tout un tas de lutins, à Stanmore, mais... je n'ai jamais vu ça, dit Danayelle.

— Faut leur pardonner, les lutins... sauvage, en tout cas, ils sont... enfin, ils sont comme ça, dit Leerian dans un haussement d'épaules. Ils ont dû abuser des champignons magiques.

Leerian pouffa à nouveau de rire, puis se releva en tendant la main vers Mishi pour l'aider.

— On ne risque rien, avec eux. Ils peuvent être sournois, mais il faut vraiment le chercher pour qu'ils attaquent. Ou être un homme !

— Tu en connais un rayon, on dirait, fit Mishi. Moi, je n'en avais jamais croisé, à Celeyste.

Leerian se tourna cette fois vers Danayelle pour l'aider. Elle le prit par les deux mains, grimaçant tout en gardant toujours son pied en l'air.

— Il n'y avait pas que les elfes qui étaient dirigés par Celeyste, à l'époque, expliqua Leerian. Les lutins et les fées également... C'est ce que mon père disait, en tout cas. Mais ils étaient plutôt du genre à en faire qu'à leur tête. Ils ont fui en même temps que tout le monde.

— Les fées aussi ? s'étonna Mishi.

— T'en as déjà croisé une ? Non ? C'est qu'elles sont toutes parties.

— Ne me prends pas pour une cruche, s'emporta la sirène. C'est juste que je croyais que les fées avaient beaucoup trop de pouvoir magique pour accepter d'être dirigé.

— Tu serais étonné, intervint Danayelle. J'ai une amie qui est une fée et elle est très gentille.

— C'est vrai ?

— En tout cas, elle l'était avant que je ne parte, soupira Danayelle.

La musique, déjà douloureusement forte, doubla en puissance. Leerian et Danayelle grimacèrent en se couvrant les oreilles, alors que Mishi souriait en regardant en direction des lutins. Ils couraient partout, sautaient de branche en branche. Des pixies se prêtaient au jeu, volant au-dessus de leur tête en balançant des petites étincelles colorées pour l'ambiance.

— Je ne crois pas que c'est ici qu'on pourra se reposer, et encore moins soigner le pied de Danayelle, dit Leerian. On devrait partir pendant qu'ils ne nous regardent pas.

— Tu rigoles ? On ne se rendra nulle part ailleurs ce soir, dit Mishi. C'est déjà la nuit.

— Elle a raison, Leerian, intervint Danayelle. On ne peut rien faire de plus. Le mieux, c'est de profiter du moment.

— Et ton pied ?

— Tant que je ne force pas dessus, je ne le sens presque pas.

Elle mentait, évidemment. Danayelle avait toujours aussi mal. Mais elle endurait depuis douze heures déjà et commençait à s'y faire.

Un lutin s'avança soudain vers eux, dans une drôle de démarche où mêlaient bond et course. Il s'arrêta tout juste devant Leerian, sa tête atteignant à peine le ventre de l'elfe.

— Venez avec nous ! On va s'amuser !

Leerian échangea un regard avec Danayelle, qu'il tenait toujours par les mains, et la serra contre lui pour servir de béquille et suivre le lutin qui s'éloignait en sautillant.

Mishi resta sur place une seconde de plus pour lancer un regard noir à Danayelle. La prochaine fois, c'est moi qui me casse le pied.

Elle fit quelques pas de course pour rattraper ses amis, puis s'adapta à leur vitesse très lente tout en observant partout autour d'elle. C'était une ambiance de fête ; les lutins qui dansaient et sautaient au rythme des percussions et de la flute de pan, les pixies par dizaine qui volaient au-dessus de leur tête tout en balançant de petites étincelles colorées. Les champignons géants étaient la seule source de lumière, teintant la scène de lueurs jaunes, vertes et turquoise. Une zone dégagée d'une vingtaine de mètres de diamètre abritait un feu entouré de buche en guise de siège, et c'était là qu'était le lutin qui jouait de la flute. Deux pixies étaient assises sur chacune de ses épaules et, tout en faisant tournoyer leurs mains, rependaient leurs étincelles sur l'instrument. La magie amplifiait ainsi la puissance de la musique, lui permettant d'être aussi forte ici qu'à l'autre bout de la clairière.

— Madame ! Savez-vous chanter ? s'exclama un lutin de sa petite voix fluette en bousculant Danayelle, qui grimaça en soulevant un peu plus son pied.

— Oh, non, vraiment, dit-elle en secouant la main. Les casseroles chantent mieux que moi.

— Moi, je peux !

Danayelle et Leerian se retournèrent d'un seul mouvement vers Mishi. Elle releva le menton, se donnant un air impressionnant.

— Sans vouloir me vanter, je chante comme une sirène.

Leerian pouffa en esquissant un sourire. Il n'avait jamais entendu de sirène chanter, mais pour ce qu'il en savait, c'était toujours très mélodieux. Danayelle, pour sa part, était sérieuse. Elle avait un mauvais pressentiment.

Le lutin sauta de bonheur et prit la main de Mishi pour l'entrainer plus près du joueur de flute. Mishi s'assit sur une buche alors que Danayelle et Leerian s'installaient en face, de l'autre côté du feu.

— Un air joyeux ! fit le lutin tout en tapant dans ses paumes.

D'autres lutins s'étaient approchés pour l'entendre. Mishi sourit, s'humecta les lèvres, puis croisa le regard de Leerian. Tout ce qu'elle voulait, c'était l'impressionner. Le voir serrer Danayelle toute la journée, même si c'était une cause justifiée, avait été dur pour ses nerfs. Leerian était son petit elfe. Elle était catégorique là-dessus.

Mishi ne connaissait pas vraiment de chanson, mais se laissa porter par la mélodie de la flute. Sans paroles, elle chantait les mêmes notes que l'instrument. Sa voix, mêlée à la magie des pixies qui volaient autour d'elle, allait jusqu'au bout de la clairière. Les lutins dansaient et sautaient, insensibles à ce qui se jouait près du feu.

Leerian n'avait jamais rien entendu d'aussi beau. La voix de la sirène lui rappelait tout ce qu'il aimait le plus en ce monde, allant de l'air frais du matin, l'odeur des fleurs, le dernier sourire de sa mère. Tous ses souvenirs les plus heureux remontaient à la surface, pour ensuite être remplacés pour une seule chose ; Mishi. Il sentait son cœur gonfler comme un ballon de baudruche, si gros qu'il semblait compresser ses poumons. Et tout ce qu'il voyait, c'était Mishi qui le regardait droit dans les yeux, une pixie posée sur l'épaule et une autre directement sur la tête. Il n'avait jamais rien aperçu d'aussi beau.

Pour Danayelle, c'était une voix tout à fait ordinaire. Elle en avait entendu des pires et des meilleurs. Mais elle avait remarqué la réaction étrange de Leerian. Mishi ne se contentait pas de chanter ; elle usait de sa magie sur lui.

— Mishi. Arrête.

Sa voix disparut sous la musique, emportée par les percussions. Danayelle tenta de se lever, mais la douleur à sa cheville la fit retomber lourdement sur sa buche. Mishi, sans comprendre exactement ce qu'elle faisait, forçait un peu plus sur la note. Et Leerian, désormais coincé dans une véritable transe, se leva et fit un pas titubant vers la sirène. Il n'avait plus qu'une seule envie ; la prendre dans ses bras, l'embrasser, lui dire à quel point il l'aimait et qu'il ferait tout pour elle. Il voulait être à ses côtés et plus jamais la laisser s'éloigner.

Il fit un deuxième pas, s'avançant droit vers le feu, tant focalisé sur Mishi qu'il ne pensait même plus à la chaleur des flemmes. Il était si près que ses vêtements risquaient de s'enflammer.

Mishi s'arrêta enfin de chanter, réalisant que quelque chose clochait.

— Leerian ? Qu'est-ce que tu fais ?

Leerian fit un pas de plus, directement sur les braises. Mishi se leva de bond pour le prendre par les épaules et l'obliger à s'éloigner. Il se laissa faire, les yeux dans le vague et la bave au menton. Mishi posa ses mains sur ses joues pour soutenir sa tête qui tombait sur sa poitrine.

— Qu'est-ce qu'il a ?!

— C'est ta faute, idiote ! s'exclama Danayelle. Tu l'as hypnotisée avec ta magie. Bravo, hein !

Leerian passa ses bras autour de Mishi et la serra contre lui, s'appuyant sur l'épaule de la sirène en soupirant.

— Je t'aime... Je t'aime tellement, Mishi...

Mishi ferma les yeux en grommelant. C'était peut-être le manque de pratique ? À vivre seule avec son père, elle ne s'était jamais servie de son don contre qui que ce soit. Dans tous les cas, elle n'avait pas eu l'intention de l'utiliser contre Leerian ; elle voulait chanter, et uniquement chanter !

Leerian s'était maintenant mis à lui déposer des petits bisous dans le cou. Autant elle trouvait ça mignon, autant elle savait que c'était mal. Les lutins, sans comprendre ce qui se passait vraiment, dansaient en cercle autour d'eux en lançant des feuilles et des épines de pins comme des confettis.

— Soigne-le, fit Danayelle, de plus en plus impatiente.

— Je ne peux rien faire, il faut juste attendre un peu, dit Mishi d'un ton d'excuse.

En réalité, il y avait bien un remède, mais Mishi préférait de loin passer la prochaine heure à se faire bécoter dans le cou. Il était hors de question d'avouer la solution à Danayelle ; qu'une autre fille embrasse Leerian. Elle s'imaginait mal demander à une lutine ou une pixie de le faire, et Danayelle, c'était un non pur et simple.

— Ça va passer vite, assura Mishi.

— Espèce de sauvage ! grogna Danayelle.

Mishi n'osa pas répliquer, alors que les mains de Leerian se faisaient de plus en plus baladeuses. Elle les remonta sur ses hanches, puis tenta d'éloigner l'elfe en le repoussant par les épaules. Sa tête suivit le mouvement, partant vers l'arrière avant de se remettre droit. Ses pupilles étaient si rondes que le jaune de ses iris avaient complètement disparu. On aurait dit un félin drogué à l'herbe à chat.

— Oh, Leerian, je suis désolée.

— Sois pas désolée... T'es tellement belle...

Il s'avança pour l'embrasser, mais Mishi recula en même temps. Ce n'était pas l'envie qui manquait, mais elle savait que Leerian ne lui pardonnerait pas quand il se réveillera. Elle le prit par les mains et le ramena à sa buche, à côté de Danayelle. Mais dès qu'elle fit un pas pour s'éloigner, Leerian se mit à gémir comme un petit enfant.

— Non, ne pars pas ! fit-il, des grosses larmes aux coins de ses yeux.

— Je suis là, idiot, je suis juste à côté de toi...

Elle resta debout près de lui et Leerian passa ses bras autour de ses hanches, appuyant sa tête contre son ventre. Mishi sentait le cœur de Leerian battre à toute vitesse et ses mains trembler, les longs doigts s'agrippant compulsivement à ses vêtements.

— Bon sang, Mishi, t'as vraiment fait fort, soupira Danayelle. T'es sûr qu'il n'y a aucun moyen de le réveiller ?

Mishi se mordit la lèvre tout en secouant la tête de gauche à droite. La seule magie susceptible de le ramener était celle des elfes guérisseurs. Tout ce qu'elle avait à sa portée – une elfe télékinétique, entre autres – ne valait rien du tout. Les pixies n'étaient bonnes qu'à faire des choses inutiles, comme augmenter la musique, faire des étincelles et lancer des brides de prophétie obscure. Et les lutins... ce n'était pas leur invisibilité ou leur sens de la fête qui compterait pour quelque chose.

— On est tranquille, de toute façon ! dit Mishi avec un sourire incertain. On ne risque rien, ici, avec tous ses lutins...

— Ouais, fit Danayelle d'un ton dur. En tout cas, ce n'est pas le moment pour que les trolls nous tombent dessus. Moi qui ne peux plus marcher, et toi avec un Leerian complètement gaga qui te colle comme une grosse sangsue... on aura vite fait de se faire tuer.

La bouche enfoncée contre le ventre de Mishi, celui-ci marmonna une série de « je t'aime » à répétition, sans jamais s'interrompre. Mishi en fut presque impressionné.

— On est tranquille, je te dis. Ils pensent qu'on va à Wondor, non ? Eh bien, ce n'est pas là qu'on est !

Au même instant, la musique s'arrêta, les étincelles colorées disparurent et les lutins s'évaporèrent, abandonnant le trio dans une étrange solitude. Danayelle et Mishi regardèrent autour d'elles, inquiètes. Puis, elles l'entendirent.

Les hurlements, les grognements bestiaux.

Les trolls n'étaient pas loin.

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