Chapitre 18 (2/2)
Comme prévu, il lui fallut une heure pour arriver à Stanmore. Ou plutôt, à la limite, juste avant la ville. À l'endroit exact où la route de terre battue devenait du goudron. Où les habitations qu'il apercevait dehors n'étaient plus éclairées par des bougies, mais par la bonne vieille électricité.
Le cocher ne voulait pas aller plus loin ; les lumières et le bruit de la métropole risquaient d'effrayer les licornes. Il aida Egrim à sortir sa valise de la voiture, puis le laissa en plan au milieu du chemin, dans le noir et le froid. Egrim frissonna, regardant tout autour de lui. Il aurait aimé que l'un de ses parents vienne le chercher pour l'emmener directement à l'appartement, où il aurait été accueilli en roi par sa petite famille. Il se serait ensuite couché dans son lit, beaucoup plus confortable que ceux de l'Institut. Et dès le lendemain, il serait retourné à l'école pour retrouver ses amis qui lui auraient posé plein de questions.
— Besoin d'aide ?
Egrim leva les yeux en direction de la voix. Une dizaine de mètres plus loin, une petite habitation peinte en blanc indiquait « aide aux touristes » sur l'un des murs. Elle était ouverte par une grande fenêtre d'où en dépassait une tête qui l'observait. Egrim eut un sourire en coin en reconnaissant un nain. La diversité lui avait manqué ; il en avait marre de voir que des elfes partout.
— Ouais, j'aurais besoin d'un taxi.
Le nain sortit de derrière la vitre et quitta l'habitation pour s'avancer à petits pas vers Egrim. Il ne faisait pas plus d'un mètre vingt et avait une barbe impressionnante au menton.
— Je peux savoir d'où tu viens ? Simple information.
— Lunacader, dit Egrim en souriant de fierté. Fraichement sorti de l'Institut. Je ne suis pas un touriste, je veux juste retourner chez moi.
Egrim sortit le badge de téléporteur de sa poche pour le lui montrer, puis l'épingla au-dessus de sa poitrine. Le nain hocha la tête et leva un bras pour indiquer la direction de la ville. Malgré la noirceur de la nuit, Egrim y apercevait les lumières des gratte-ciels.
— Continue sur quelques mètres et tu trouveras un taxi. On ne les met pas directement à l'entrée ; voir des voitures pour la première fois, aux touristes, ça les fait souvent paniquer.
Egrim pouffa de rire à l'information. Il savait que le nain avait raison ; combien de fois avait-il vu quelqu'un, dans la rue, faire une crise en apercevant une voiture s'élever vers le ciel ? Il avait arrêté de compter depuis longtemps.
— OK, merci ! dit-il pour le nain.
Il empoigna solidement sa valise et s'avança vers Stanmore en grommelant dans sa barbe. Foutus touristes, c'est leur faute si je dois marcher. Évidemment, il ne pouvait pas se téléporter jusqu'au taxi puisqu'il ignorait où il était exactement.
Egrim était à bout de force quand il trouva enfin le véhicule. Une auto jaune comme on en voit à New York, cette ville de l'autre monde dont s'était beaucoup inspiré Stanmore. Il s'y avança avec l'énergie qui restait en cogna deux coups contre la vitre du conducteur. Celle-ci s'abaissa avec un petit bruit électronique et une tête en sortit. Encore un nain. Egrim lança un regard intrigué derrière lui, mais l'autre n'était plus en vue. Est-ce que c'était le même qui avait couru pour atteindre le taxi avant lui ?
— Euh, je peux monter ?
— Bien sûr, bien sûr...
Egrim balança sa valise dans le coffre et grimpa à l'arrière. Aussitôt, le véhicule s'éleva dans les airs telle une petite navette spatiale et s'avança à toute allure vers Stanmore, accompagné de bruits inquiétants du moteur. Egrim observa par la vitre la métropole s'approcher dangereusement alors qu'il indiquait l'adresse exacte de son appartement. La ville était très grande, c'était même la plus grande de tout le pays. Mais à la vitesse d'un taxi volant, on y faisait le tour en à peine quelques minutes. L'auto slaloma entre les gratte-ciels, esquivant les autres voitures avec un peu trop de justesse, et s'arrêta à la plateforme d'un immeuble, à dix étages au-dessus du sol.
— Attendez-moi ici, je vous reviens dans une petite minute avec de quoi vous payer.
— Pas de problème, l'elfe. Je suis quelqu'un de patient.
Egrim pouffa de rire tout en allant chercher sa valise. Il se faisait surnommer « l'elfe » aussi naturellement que « monsieur, madame ». La diversité lui avait vraiment manqué.
Il était maintenant assez près de chez lui pour se téléporter directement à l'entrée de son appartement. Le décor changea soudainement autour de lui ; le faible éclairage de la nuit avait laissé place à un hall au mur blanc et à la moquette d'une étrange couleur brune aux motifs orangés. Et juste devant lui, la porte avec le numéro 1012. De l'autre côté, il entendait des éclats de voix et le son de la télévision. Toute sa famille était là, tout près de lui, sa mère, son père et sa grande sœur. Il avait tellement envie d'entrer simplement... Mais si je fais ça, ils ne me laisseront pas repartir.
Egrim prit sa valise et se téléporta directement dans sa chambre, sans un bruit. Les sons en provenance du salon se faisaient plus fort ici et il le savait, ils risquaient de l'entendre, lui aussi.
Egrim glissa la carte de Nyirdall dans sa poche arrière et posa son certificat sur son bureau, encombré de ses nombreux dessins. Son dernier devoir de math était toujours là, à peine entamé. Egrim esquissa un sourire au souvenir ; il l'avait commencé quand sa première téléportation s'était déclenchée. Évidemment, il avait abandonné son travail et l'avait aussitôt oublié.
Il retourna le papier et écrit une note pour sa mère. « Je suis revenu, mais il faut que je reparte déjà. J'ai un truc important à faire, mais ne t'en fais pas, je vais bien. » Il sourit, puis ajouta plus bas : « Et oui, j'ai seulement pris trois semaines. Ce n'est pas une erreur. T'as qu'à regarder le certificat. »
Satisfait, il fouilla dans un tiroir pour trouver son portefeuille et se téléporta à nouveau à l'extérieur, près de la plateforme où l'attendait toujours le taxi. Il sortit plusieurs pièces d'or et les tendit au nain à travers la vitre. Celui-ci écarquilla les yeux à la somme qu'il lui montrait.
— Oh, non, non ! Une seule pièce d'or, allons !
— Acceptez un petit extra... puisque je veux le taxi tout entier.
— Euh, tu... quoi ?! fit le chauffeur sans comprendre.
— Sors du taxi.
Le nain en demeura bouche bée. Cet elfe qui semblait quand même assez poli venait vraiment de lui donner un ordre ? Et pas n'importe quoi ; il voulait son taxi !
Egrim était sérieux, démontrant bien que ce n'était pas une blague. Bien que ses traits dénonçaient son jeune âge et qu'il était parfois dur de le voir autrement qu'un enfant, il restait un elfe ; et l'autre, un nain. La question de qui était le plus fort ne se posait même pas.
Le nain fit tourner la clé et quitta la place à pleine vitesse, balançant un nuage noir d'essence sur Egrim. Celui-ci serra les poings et se téléporta à l'intérieur du taxi, sur la place passagère, prit le nain par le bras et le ramena à la plateforme. Puis se téléporta à nouveau à l'avant, cette fois à la roue, le tout en moins de deux secondes. Il entendit à peine le nain crier derrière lui qu'il était déjà loin, emporté par la voiture en mouvement. Egrim posa ses mains sur le volant et s'efforça de corriger la trajectoire, n'arrivant pas à croire ce qu'il venait de faire.
Je ne sais même pas conduire, se rappela-t-il soudain. Merde, comment on fait ?
Egrim prit une grande inspiration, hocha la tête pour lui-même, et observa les boutons et les écrans qui s'étendaient sur le tableau de bord. Il n'y comprenait absolument rien... sauf l'un qui indiquait le nord. Il fit tourner la roue jusqu'à être plein sud, puis hurla en avisant une voiture qui lui fonçait dessus. Il se dévia rapidement sur la droite, revint ensuite sur la gauche, et tira sur une manivelle au hasard. Le véhicule s'éleva soudain d'une centaine de mètres, passant au-dessus de toutes les autres automobiles et des gratte-ciels. Ici, il était hors de danger... du moins, l'espérait-il.
Regarde tout ce que je fais pour toi, Danayelle !
Son cœur reprenant une cadence un peu plus régulière, il se mit à bidouiller sur les touches, déclenchant l'essuie-glace et le climatiseur avant d'enfin trouver celui qui contrôlait les lumières des phares. Il les éteignit, et même si l'angoisse revint rapidement en avisant qu'il était maintenant dans le noir complet, il savait aussi qu'il risquait moins de se faire repérer, vu du sol. Il quittait la ville de Stanmore aussitôt arrivé et partait plein sud, où la technologie était interdite. Il valait mieux rester discret...
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