Chapitre 14 (1/2)

Alors que le trio débutait une longue journée de marche, Egrim se réveillait tout juste d'une nuit de sommeil agité par des rêves étranges. Il avait vu Danayelle assassinée par des trolls de toutes les façons possibles ; pendue et décapitée, notamment. Et lui, impuissant, ne faisait qu'observer la scène qui se répétait avec toujours plus de sang.

Egrim se redressa dans son lit et regarda par la fenêtre. Au centre de la grande cour de l'Institut, un énorme cadran solaire de trois mètres de diamètre indiquait sept heures. Les cours ne commençaient pas avait neuf, mais il savait au moins que les professeurs étaient déjà éveillés pour préparer leur journée. Egrim sauta alors sur l'occasion ; il bondit de son lit, animé d'une énergie que son corps n'avait jamais connue aussi tôt le matin, et s'habilla de ses derniers vêtements propres dans sa penderie. Puis il se téléporta devant les appartements de son prof, monsieur Kurd, à l'autre bout de l'immeuble, et frappa frénétiquement contre le battant.

— Oui, oui, j'arrive !

Une longue et interminable minute plus tard, l'enseignant ouvrit enfin la porte pour faire face à son élève. Contrairement aux autres professeurs de l'Institut, Kurd était très jeune, atteignant à peine les trente ans, et il avait son look bien à lui. Habillé tout en noir et les cheveux rasés sur son crâne, il était souvent surnommé « le démon » par les étudiants. Mais en réalité, tous ses élèves savaient qu'il était très gentil et qu'il avait même un sens de l'humour drôlement placé.

Sauf quand il était sept heures du matin.

— Egrim ? Qu'est-ce que tu fais là ? dit-il d'une voix encore endormie.

— Je suis prêt, monsieur. Je veux faire la course d'obstacles.

Le prof pouffa de rire à la demande. La course d'obstacles, c'était le dernier test avant de pouvoir quitter l'institut pour les téléporteurs. Il fallait une parfaite maitrise de leur don pour atteindre la ligne d'arrivée, et celui qui parvenait à la terminer avait donc prouvé qu'il pouvait partir.

Le prof se passa une main sur le visage tout en réprimant un bâillement.

— Ça fait quoi, trois semaines que tu es ici, Egrim ?

— Précisément, monsieur.

— Ce serait tout un exploit de réussir la course d'obstacles...

— Je sais.

— ... et tu battrais tous les records...

— Je sais.

— Et tu sais que le record en question, c'est trois mois ? Pas trois semaines.

— Je veux essayer, monsieur, insista Egrim.

— C'est non.

Egrim serra les poings. Il devait sortir d'ici ; ne pas savoir ce qu'il advenait de Danayelle l'obsédait complément. Et malgré lui, il ne pouvait accepter l'idée de quitter l'Institut comme elle l'avait fait. Il le savait ; il maitrisait son don parfaitement ! Il lui suffisait de le prouver pour qu'il puisse partir librement. À quoi bon s'enfuir dans la nuit s'il pouvait le faire en toute légalité ?

— J'insiste ! s'énerva Egrim.

Le prof, à bout de patience, se contenta de lui claquer la porte au nez. Egrim envoya un coup de pied contre la penture, tourna les talons et se téléporta dans sa chambre, se laissant tomber dans son lit. Il mit ses mains sur son visage, revoyant en flash des bouts de son rêve. Danayelle découpée en petits morceaux ; sa tête d'un côté, le corps de l'autre. Et en souvenir, quand il l'avait aidée à traverser la clôture, et qu'elle lui avait demandé de venir avec elle. J'aurais dû dire oui !

À nouveau motivé, Egrim se téléporta cette fois dans la chambre de Tys. Il atterrit sans un bruit dans la pièce où le télépathe ronflait et bavait sur son oreiller. Egrim le secoua sans ménagement et Tys sursauta en grognant et envoyant une claque au visage d'Egrim sous la surprise. Celui-ci s'arrêta de le secouer, étonné, et Tys ouvrit enfin les yeux pour remarquer son ami.

— Egrim ? fit lentement Tys en s'asseyant dans le lit.

— J'ai besoin de toi.

— Ça ne pouvait pas attendre... ?

— Eh bien... oui, j'aurais pu. Mais je n'en ai pas envie.

Tys soupira en se frottant le visage. Ses courts cheveux de sable étaient redressés sur sa tête.

— Tu veux encore que j'aille espionner Muglow... Il n'est peut-être même pas réveillé.

— Tu sais bien qu'il l'est. Tu viens avec moi ?

Egrim lui présenta sa main. Tys bâilla. Il ne souhaitait qu'à continuer de dormir, au moins une heure de plus... mais il en était conscient ; Egrim n'abandonnera pas aussi facilement.

Sentant qu'il allait le regretter, Tys posa sa main dans celle d'Egrim. Et presque aussitôt, il l'entraina dans une téléportation qui les conduisit jusque dans le placard du bureau de Muglow, entre ses manteaux et ses souliers. Tys eut envie de lui faire des félicitations pour la si longue distance parcourue, mais se ravisa en écoutant les pensées de son ami.

— Oh non, tu ne me laisses pas seul là-dedans ! s'exclama Tys dans un chuchotement.

— Je reviens vite, j'ai autre chose à faire. Ça va me prendre que quelques minutes, promis !

— Egrim ! Non !

Mais il était déjà reparti, abandonnant le télépathe derrière lui. Il avait un autre arrêt à faire ; chez une amie qui avait un don de guérison. En fait, Rosa et lui n'étaient pas vraiment « amis » au point d'échanger toutes sortes de conversation ; ils étaient plutôt obligés de se parler puisqu'ils étaient souvent jumelés ensemble pendant les cours. C'était elle qui le soignait quand il se blessait en téléportation. Elle avait pratiquement appris à utiliser son don en profitant des moments où Egrim ne maitrisait pas bien le sien.

Même si l'envie de débouler sans prévenir dans la chambre d'une fille était bien présente, il préféra user d'un peu plus de tact. Il apparut devant la porte et cogna dessus jusqu'à ce qu'elle réponde, ce qui lui prit deux longues minutes qui furent très dures sur la patience d'Egrim. Quand elle lui ouvrit enfin, ses cheveux roux et courts ressemblaient à s'y méprendre à une crinière de lion tant elle été décoiffé. Egrim dut se concentrer de toutes ses forces pour ne pas pouffer de rire.

— Quoi ? fit-elle d'un ton grognon.

— J'ai besoin de toi.

— Tu t'es encore blessé ?

Elle l'observa de la tête aux pieds, cherchant un membre manquant ou quelque chose dans le même genre.

— Non, je vais bien... pour l'instant ! En fait, c'est par précaution que j'ai besoin de toi. J'ai confiance en moi et je suis convaincu que je ne me ferais pas mal, mais, enfin... je ne suis pas suicidaire non plus.

Rosa plissa les yeux. Elle commençait à être vraiment intriguée par ce qu'Egrim préparait.

— Tu m'expliques ?

Egrim sourit. Il le savait ; c'était gagné d'avance.

— Je veux faire la course d'obstacles, mais le prof croit que je ne suis pas prêt. Alors je m'étais dit que je pourrais la faire là, tout de suite, et si je la réussis, je le ferais à nouveau pendant qu'il regarde !

— T'es cinglé ? s'exclama aussitôt Rosa. C'est trop difficile pour toi. Il y a une semaine, tu te téléportais encore à travers les murs.

— Oui ; il y a une semaine ! Je les jamais refais depuis ! S'il te plait, Rosa, fit Egrim en joignant ses mains en prière. C'est le seul moyen pour que je puisse quitter cet endroit.

— Et pourquoi tu veux à ce point partir ?

— J'ai des choses importantes à faire dehors, mais ça ne te concerne pas.

— Si tu ne me dis rien, je ne t'aide pas.

Le sourire d'Egrim disparut aussitôt. Rosa était toujours aussi sérieuse, démontrant bien qu'elle ne bluffait pas. Egrim soupira, cherchant une solution. Il leva soudain un doigt menaçant sur la rousse, le regard noir malgré ses yeux si pâle qu'il ne semblait même pas avoir d'iris :

— Je reviens dans une minute !

Rosa ouvrit la bouche pour répliquer, mais Egrim avait déjà disparu. Elle sortit la tête de sa chambre et observa à gauche et à droite du corridor. Il n'était plus nulle part.

Il a peut-être raison, le petit. Il s'améliore...

Egrim réapparut dans le placard du professeur Muglow, au côté de Tys qui somnolait. Il s'était pris un manteau et l'avait roulé pour s'en servir d'oreiller. Il sursauta en remarquant le retour du téléporteur.

— Alors, tu as entendu quelque chose ?

— Bon sang, Egrim, tu commences vraiment à m'énerver.

— Qu'est-ce que t'as entendu ?

Tys soupira platement en levant les yeux au ciel. Comment faisait-il pour être ami avec un type comme lui ?

— Le prof n'est même pas dans son bureau en ce moment, si tu veux savoir. Il est dans la pièce d'à côté ; ses appartements. Et je crois qu'il rêve encore, parce que ce qu'il raconte n'a absolument aucun sens.

— Essaie toujours ?

Tys soupira, répugné de répéter ce qu'il avait entendu. C'était trop débile pour lui.

— Apparemment... il était question du roi de Celeyste.

Egrim pouffa instantanément de rire. Tys le fit taire en levant la main.

— Ce n'est pas tout ; les trolls lui ont fait manger de la viande et il a vomi sur le chef. Puis ils ont songé à le tuer, mais Danayelle est intervenue pour tous les balancer à travers le mur avec sa télékinésie.

— Tu rigoles ? fit Egrim, incapable de retenir son hilarité.

— En tout cas, ce matin – genre, là, en ce moment précis – un troll a été retrouvé mort. Et ça m'a tout l'air qu'il a été transpercé par une épée.

Une épée ?! répéta Egrim. On est de retour au moyen âge, maintenant ? Et le roi de Celeyste, sérieux ? Il n'existe plus depuis aussi longtemps !

— C'est pourtant ce que j'ai entendu depuis la tête de Muglow. Je te le dis ; il rêve encore.

— Et est-ce que son rêve disait si Danayelle était toujours en vie ?

— Elle l'est, soupira Tys. Selon le rêve.

— Mais tu n'es pas sûr à cent pour cent que c'est juste un rêve ?

— C'en est forcément un ! Tu as bien entendu toutes les conneries que je viens de te balancer ?!

— Eh bien, continue d'écouter. Je reviens encore dans quelques minutes.

— Non ! Tu me sors d'ici !

Mais Egrim avait déjà disparu. Tys se prit la tête à deux mains, s'efforçant de garder son calme et d'apaiser ses envies meurtrières. Je le déteste.

*****

Puisque c'est un chapitre quand même assez long, je l'ai coupé en deux. La suite viendra dès demain.

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