Chapitre 13
Danayelle fut incapable de se reposer pour le reste de la nuit, malgré Mishi qui vint prendre le relais de son tour de garde vers une heure du matin. Roulée en boule dans sa couche et les yeux ronds comme des billes, elle enviait Leerian qui, un peu plus loin, dormait aussi surement qu'un ours en hibernation. Elle avait nettoyé la lame souillée autant qu'elle avait pu, la frottant avec des feuilles d'arbres qu'elle avait ensuite enterrées pour cacher les preuves de son acte, et l'avait mise auprès de son propriétaire.
Danayelle reprit le dernier quart pour surveiller leur petit campement dans les alentours de cinq heures du matin. Il faisait encore sombre, mais pas assez, cette fois, pour l'empêcher de lire. Elle sortit le gros livre de son sac, passant la main sur la couverture. Elle était en cuir noir et le titre en d'or disait « magie simplifiée pour débutant ». Danayelle pouffa d'un rire discret, lança un regard vers ses amis pour s'assurer qu'elle n'avait réveillé personne, puis souleva la première page. Elle tomba tout de suite sur un glossaire, et elle dut plisser les yeux pour percevoir les lettres cursives dans l'obscurité du petit matin. Histoire de la magie, page 3. Les dons, page 9. Magie élémentaire, page 22. Magie psychique, page 43. Objet magique, page 71. Pierre précieuse, page 108.
Il y avait encore plein d'autres sujets qui continuait plus bas, mais Danayelle chercha la page 108 sans attendre. Elle tomba aussitôt sur une panoplie de jolies pierres de toute sorte de couleur, s'étendant sur des dizaines et des dizaines de pages. Elle les fit défiler une à une, jusqu'à trouver celle, d'une magnifique teinte rouge orangé, qui ressemblait énormément à un œuf de dragon.
La pierre d'Omins, disait le titre au-dessus du dessin, accompagné d'étranges symboles. Et en dessous, en description : Aide à la maitrise des dons psychique. À porter contre la peau, en bague ou en collier.
Le professeur n'avait pas menti là-dessus, s'étonna Danayelle, les yeux écarquillés et le nez à deux centimètres du livre. Elle continua de lire :
Peut être trouvé près des volcans, notamment à Ashgar. Extrêmement rare.
Il n'y avait rien d'autre d'écrit. Danayelle referma le livre et s'appuya le front sur la couverture en grognant.
— Qu'est-ce que tu fais ?
Danayelle sursauta violement, sentant son cœur lui remonter dans la gorge. Trois mètres plus loin, Leerian était assis, l'air encore un peu somnolent. Il se passait une main dans les cheveux, redressé sur sa tête dans tous les sens.
— Déjà réveillé, toi ? fit-elle dans un murmure.
— J'ai étrangement bien dormi, alors je ne suis plus fatigué. En toute logique, mon corps a donc décidé de sortir de son sommeil.
Danayelle lui fit une grimace et Leerian répliqua par la même. Il lança un coup d'œil vers Mishi un peu plus loin, toujours roulé en boule sur ses couvertures.
— Mais sérieux, qu'est-ce que tu fais ?
— Je cherche des informations, figure-toi.
— Et à quel propos ?
— Je ne te savais pas aussi curieux.
— Ni toi aussi cachotière.
Leerian s'approcha et vint s'asseoir près de Danayelle, observant le livre avec intérêt. Danayelle soupira, capitulant, et lui tendit l'ouvrage.
— Qu'est-ce que c'est ?
— Lis le titre, idiot.
Leerian lui lança un regard torve. Danayelle se reprit, un sourire au coin des lèvres :
— Pardon, je voulais dire ; lis le titre, majesté.
— Je ne sais pas lire ! s'énerva Leerian. Dis-moi juste ce que c'est !
— Sérieux ?
— Je sais lire l'elfique, fit Leerian. Ça, c'est... qu'est-ce que c'est, les lettres sont bizarres...
— C'est du français. C'est ce qu'on est en train de parler.
Leerian haussa les épaules, irrité. Mais Danayelle n'avait plus envie de se moquer. L'elfique était une langue morte depuis longtemps ; il était plutôt impressionnant que Leerian la connaisse.
— C'est un livre de magie, dit-elle enfin. Un grimoire. Je l'ai trouvé dans la maison du mage.
— Quand ça ? s'étonna Leerian.
— Eh bien, quand on était tous enfermé dedans, fit Danayelle en détournant le regard.
Leerian étant malgré lui un expert en mensonge, il n'eut même pas à réfléchir pour comprendre qu'elle lui mentait en pleine face. Mais comme il avait parfaitement conscience qu'il était mal placé pour juger, il préféra faire comme s'il n'avait rien remarqué.
— Ah bon, dit-il innocemment.
Danayelle hocha la tête d'un air évident, puis ouvrit le livre pour retrouver la page parlant de la pierre tant convoitée.
— Regarde. C'est ça que j'étais venue chercher ici.
— La pierre d'Omins, à Wondor.
— Hein... ? Je croyais que tu ne savais pas lire.
— Je sais lire l'elfique, idiote, s'énerva Leerian.
Il pointa les symboles qui entouraient le titre. Danayelle en fut bouche bée ; elle pensait que ce n'était que des dessins étranges.
— Il est dit que ça se trouve naturellement à Ashgar... mais ton mage qui en a une est parti à Wondor.
— Pourquoi aurait-il écrit ça là ?
— Je n'en sais rien, moi, il est peut-être devin. Les mages peuvent voir l'avenir ?
— Non.
Leerian haussa les épaules, puis se leva en s'étirant le dos.
— Peu importe. C'est dommage pour toi ; il est hors de question que je te suive jusqu'à l'un ou l'autre de ses endroits.
— Même si Mishi vient avec moi ?
Leerian voulut répliquer, mais se ravisa aussitôt. Il tourna le regard vers la sirène, un peu plus loin, dormant sur le ventre, la bouche ouverte et bavant sur son sac qu'elle utilisait en guise d'oreiller. Ses cheveux noirs aux reflets violets s'étendaient autour de sa tête, sur ses bras et son dos en un fouillis impressionnant. Les écailles sur sa peau luisaient contre les rares rayons du soleil levant.
— Alors ? insista Danayelle après la longue minute de silence de Leerian. C'est trop dur de songer à partir loin de Mishi ?
Leerian soupira en s'asseyant à nouveau près de Danayelle. Elle avait raison ; c'était beaucoup trop dur.
— Tu sais, continua-t-elle, les sirènes sont capables d'ensorceler les mecs pour qu'ils se mettent complètement en adoration pour elles. C'est leur magie.
— Je ne suis pas ensorcelé !
— Sait-on jamais !
— Je ne suis pas ensorcelé, répéta Leerian dans un grognement. Et je ne suis pas en adoration pour Mishi ; je l'aime comme ma meilleure amie. (Il soupira, avant d'enchainer :) Tu le sais, ce n'est plus un secret... même si j'avais préféré que ça le reste encore un moment. Mais mes parents sont morts il y a cinq ans, et Mishi a été la première personne que j'ai vue depuis... Et ce n'était qu'il y a une dizaine de jours ! J'ai passé cinq ans, complètement seul, répéta-t-il en braquant ses yeux d'or dans ceux de Danayelle, sa voix flanchant légèrement. Et j'ai envie de tout, sauf de retourner à ma solitude.
— Alors dans ce cas, pourquoi tu insistes pour retourner à Celeyste ?
Leerian détourna le regard en soupirant. Parce qu'il était un loup-garou, évidemment, mais il préférait mourir que de l'avouer.
— Parce que c'est chez moi, dit-il simplement.
— Mec, Celeyste était le « chez-moi » de pratiquement tous les elfes du pays, il y a un temps. Tous ont su tourner la page et refaire leur vie ailleurs. Tu devrais y songer, toi aussi. Parce que visiblement, la solitude, ce n'est pas fait pour toi. Ou peut-être que ce l'est, mais pas à ce point ! Je t'imaginerais bien habiter hors limite d'un village de lutin.
Leerian pouffa malgré lui à la dernière remarque. Il baissa les yeux, un sourire aux lèvres. Au départ, il avait vivement détesté Danayelle, mais à force de discuter avec elle, il commençait à la voir plutôt comme une petite sœur agaçante. Leerian en fut soudainement angoissé ; et si, en plus de Mishi, je n'arrivais plus à me séparer d'elle ? Est-ce que je suis vraiment entrain de faire une dépendance à ces deux-là ?
Danayelle avait raison ; il n'était simplement pas fait pour la vie de solitaire, et ce n'était que maintenant qu'il s'en rendait compte.
Au loin, Mishi se réveillait enfin. Elle se tourna sur le côté, les yeux dans le vague. Elle aurait dormi quelques heures de plus si ces deux-là avaient pu s'arrêter de parler. Elle les voyait, assis côte à côte, leurs épaules se touchant presque. Et ils avaient le sourire aux lèvres.
Mishi en ressentit aussitôt une vive jalousie. Il était plutôt rare que Leerian et Danayelle s'échangent une conversation, et elles ne comptaient jamais plus de quelques phrases. Mais cette fois, Mishi n'avait pas assisté au début de celle-ci, et elle eu donc l'impression que leur discussion durait depuis beaucoup plus longtemps que nécessaire. Étaient-ils enfin en train de se développer une amitié ? Ou... pire ?
Toute sorte de scénarios catastrophes passaient dans la tête de Mishi. Après tout, pourquoi pas ? Ces deux-là étaient de la même race, au moins. Et même si Danayelle avait trois ans de moins que Leerian... en quoi trois petites années pourraient faire une différence pour des êtres quasi immortels ?! Je vais mourir à quatre-vingts ans, si je suis chanceuse. Eux, ils dépasseront facilement les trois-cents. Pourquoi je m'embête ?
Malgré ses raisonnements logiques, Mishi était toujours aussi... Jalouse. Elle se leva de sa couche et s'avança vers les elfes, alors que tous deux s'arrêtaient de parler pour braquer leurs yeux félins sur elle.
— Bon matin, Mishi, dit Leerian avec un sourire.
Sans répondre, elle vint s'asseoir entre eux deux, les forçant à se décaler pour lui faire une place. Danayelle grimaça, étonnée et légèrement irritée ; Leerian perdit son sourire, mais s'efforça de ne pas faire de commentaire. Une fois installée, elle prit le bras de Leerian et le serra contre elle comme un doudou.
— Bon matin à vous aussi, dit-elle enfin.
— Qu'est-ce que tu fais ? demanda Leerian.
— Je vous souhaite un bon matin.
Mishi lui fit un sourire innocent, puis passa un doigt le long de la mâchoire de Leerian. Celui-ci fronça les sourcils, de plus en plus intrigué.
— Tu sais que t'es plus mignon de ton côté gauche ? Même si ça fait très viril, les cicatrices.
Leerian était à court de mots, ne sachant plus du tout quoi dire à sa remarque. Mishi sembla enfin se rendre compte du malaise qu'elle créait et, légèrement embarrassée, elle se tourna cette fois vers la blonde.
— Alors, sinon, on fait quoi maintenant ?
Danayelle et Leerian parlèrent en même temps, l'une s'exclamant « on va à Wondor » au même moment que l'autre disait « on retourne à Celeyste ». Mishi les observa tour à tour en faisant la moue.
— On va à Wondor, fit à nouveau Danayelle tout en lançant un regard noir à Leerian. Je crois que le mage que je cherche est là-bas.
— Génial ! L'aventure continue ! dit Mishi tout en serrant le bras de Leerian encore plus fort. (Elle tourna rapidement la tête vers lui, envoyant ses cheveux au visage de Danayelle.) Tu viens avec nous, hein ?
Leerian gémit exagérément fort, les yeux levés vers le ciel qui se faisait de plus en plus pâle. C'était officiellement le matin, la nuit étant enfin terminée.
— Tu ne veux vraiment pas retourner à Celeyste ? Ça fait un moment que tu n'as pas vu ton père.
— Désolée, mais c'est non. Je suis Danayelle.
Malgré son ton décisif, Mishi avait un peu de mal à faire un réel choix. Il était évident que son père lui manquait, mais pas assez pour renoncer à l'aventure. Et puis, elle voulait tellement être avec Leerian... Elle voulait que lui vienne avec elles. S'il les abandonnait pour retourner à Celeyste, Mishi le suivrait probablement. Peut-être, elle n'en était pas sûre. Ce qui était certain, c'est qu'elle était déjà consciente qu'il lui manquerait énormément.
— C'est où, Wondor ? demanda soudain Leerian d'une voix lasse.
Mishi lâcha une petite exclamation de joie tout en serrant davantage le bras de Leerian. Danayelle sortit la carte de Nyirdall de son sac et la leur présenta. Elle pointa d'abord Yglas, puis dévia légèrement vers la droite, dans la forêt Nashintill où ils étaient présentement cachés.
— Vous voyez ; en ce moment, on est quelque part là-dedans. Et Wondor est là.
Elle abaissa le doigt vers le bas, traversant la forêt dans son entièreté, avant de trouver la ville en question, au sud du pays. Leerian se mordit la lèvre nerveusement ; c'était, encore une fois, au moins trois ou quatre jours de marche. On se rapproche, petit pas à petit pas, de la peine lune et d'un énorme désastre.
— Sans faire de ligne droite, on pourrait dévier légèrement vers l'ouest et là, on passerait près d'une longue chaine de lac qui se succède. Ce serait bien pour toi, Mishi.
— Ce serait génial ! fit Mishi en souriant à pleine dent. Et puis Wondor n'est plus si loin de la côte. On pourrait continuer complètement au sud et voir la mer !
Leerian détacha ses yeux de la carte pour les poser sur son amie. Encore le même dilemme se jouait dans son esprit ; qui suis-je pour empêcher une sirène de nager dans l'océan ? Il le savait, il serait probablement impossible de lui faire changer d'avis maintenant qu'elle s'était faite à cette l'idée.
— Dites-moi au moins qu'il n'y aura pas de troll, à Wondor, grommela Leerian.
Mishi pouffa d'un rire joyeux ; Danayelle prit la question au sérieux. Ni elle ni Leerian n'avait de bons souvenirs à ramener d'Yglas.
Danayelle posa le doigt au-dessus du nom de la ville sur la carte et celle-ci s'anima soudain sous les yeux ébahis de Leerian et Mishi. Ils eurent alors un aperçu de la métropole ; des grandes habitations en terre cuite ou en brique avec des toits en tuiles rouges qui s'étendaient à l'infini. L'image semblait prendre son origine d'une ruelle entre deux immeubles et montrait une route avec quelques personnes devant. Bien qu'elle était très peu fréquentée, Leerian, Danayelle et Mishi purent reconnaitre des elfes, des lutins et même des fées, volant près de la tête des autres piétons.
Danayelle relâcha la pression sur la carte et elle redevint ordinaire et vieille.
— Je ne sais pas s'il y a des trolls ; en tout cas, il n'y aura pas que ça, fit Danayelle avec un sourire fier.
— Mais qu'est-ce que c'est que cette magie ?! s'exclama Leerian, impressionné.
— Je n'en sais rien. C'est mon prof qui me l'a prêté.
— Le même prof qui a ordonné de te tuer ? avança Mishi d'un air innocent.
Danayelle fit la grimace, préférant ignorer le commentaire de la sirène. Elle gratta du bout de son ongle une minuscule tache d'encre au-dessus de la représentation de Nashintill.
— Ça ressemble à la magie des djinns, dit Leerian. Ils n'ont aucune limite, à ce qu'il parait !
— Oh, n'exagérons rien, dit Danayelle. Ce n'est probablement qu'une sorcière qui l'a fait.
Danayelle balaya la question d'un mouvement d'épaule et rangea la carte dans son sac. Elle y inséra également le grimoire et en sortit ses deux dernières pommes. Elle en donna une à Leerian et croqua dans la deuxième.
— Est-ce que c'est vrai que les djinns peuvent absolument tout faire ? continua Leerian.
— Ouaip. Les djinns, ce sont des dieux. Tu ne cherches pas à les faire chier.
Leerian hocha la tête, prenant le conseil au sérieux. Mais malgré lui, une idée étrange venait de germer dans son esprit.
— Ils peuvent même, genre, soigner des maladies incurables ? dit-il en s'efforçant de garder un ton léger.
— Oh, il faut vraiment que tu aies une vie de merde pour qu'ils s'intéressent à toi, Leerian. Mais si tu y parviens ; oui, ils peuvent tout faire. Tu connais quelqu'un qui est malade ?
— Non, personne... je demandais juste comme ça.
Personne ne remarqua le mensonge qu'il venait de servir aux filles. Leerian détourna tout de même le regard, mal à l'aise, puis se mit à manger sa pomme à grandes bouchées. Aussitôt terminé, il se dégagea de la prise de Mishi – elle bouda même un peu, rien que pour la forme – et se redressa pour aller chercher ses affaires au loin.
— On devrait partir maintenant pour arriver le plus vite possible, dit-il pour Danayelle et Mishi qui étaient encore assisses à l'observer.
— Partir vite pour revenir vite ? dit Mishi.
Leerian lui fit un sourire innocent. Mishi soupira en levant les yeux au ciel.
— Il a raison, dit Danayelle. Il faut toujours que je retrouve le mage. On sait qu'il est peut-être à Wondor, et si on attend trop, il n'y sera plus avant qu'on arrive.
— Alors voilà, on ne traine pas ! enchaina Leerian.
Il se pencha pour attraper son épée au sol. Il la prit par la garde et la ramena près de son visage, remarquant une tache étrange sur la lame.
— Qu'est-ce que c'est ? s'étonna-t-il en approchant son doigt sans oser le toucher.
— De la terre ! s'exclama Danayelle. Allez, tu l'as dit toi-même ; on ne traine pas !
Danayelle se leva à son tour pour tout ramasser dans son sac. Mishi demeura assise, les observant avec circonspection. Une tache mystérieuse sur une épée et l'autre qui en est soudainement nerveuse... Visiblement, Leerian n'était pas le seul à avoir des secrets.
Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top