Chapitre 56

— Je sais que ce n'est peut-être pas le moment, mais j'aimerai vous demandez un service, commença Sidney en regardant Ethan, installé derrière son bureau, et Amélia, assise dans le fauteuil près du sien.

— Avec tout ce que tu as fait pour Edora, je crois que nous te devons bien plus qu'un simple service, répondit le souverain pour l'encourager.

Sidney n'avait jamais été aussi mal à l'aise. Elle qui avait toujours eu l'habitude de se débrouiller seule, demander de l'aide, même à des personnes qu'elle considérait comme ses amis les plus proches, lui était difficile. Jouant nerveusement avec le bout de sa tresse, elle tenta de trouver les bons mots.

— On t'écoute Sid, l'encouragea Amélia avec un sourire.

La jeune sorcière posa sa main sur son genou tremblant pour appuyer ses propos. Sidney prit une grande inspiration et leva les yeux vers Ethan :

— J'aimerais que tu retrouves quelqu'un pour moi. Elle doit certainement encore vivre à Edora.

— De qui s'agit-il ?

— De la grand-mère de l'homme qui m'a permis de connaître l'existence de ce monde.

À ces mots, Amélia comprit aussitôt de quoi voulait parler son amie et elle s'en voulut immédiatement de ne pas y avoir pensé plus tôt. Elle approcha son siège et prit ses mains dans les siennes.

— Oh mon dieu Sid, je suis tellement désolée ! s'exclama-t-elle. Depuis que nous sommes ici, tout s'est enchaîné si vite que je ne t'ai même pas demandé comment tu allais par rapport à ça. Je me sens tellement stupide... Pourquoi tu ne m'en as pas parlé ?

— Ne t'inquiète pas Amy, je ne t'en veux absolument pas, sourit Sidney. Avec tout ce que nous avons vécu, j'avoue que j'y ai, moi-même, très peu pensé. Et puis tu sais bien que je n'ai jamais vraiment aimé parler de lui, c'était encore trop douloureux. Mais je pense que maintenant, je suis prête à le faire et à découvrir ce qu'était sa vie ici.

Amélia serra un peu plus les mains de Sidney, dont les yeux brillaient d'émotions.

— Je pense que cela te fera du bien et puis je serai là maintenant, si tu le veux bien.

— Merci, j'en aurai besoin je pense, avoua Sidney.

— Est-ce que tu aurais un nom de famille à me donner ? demanda Ethan, qui avait patiemment attendu la fin de la discussion entre les deux jeunes femmes.

— Il s'appelait Aiden Chaulon, je suppose que sa grand-mère possède le même nom.

La voix de la belle guerrière, malgré toute sa volonté, trembla à l'énonciation du prénom de son défunt compagnon.

— Je vais regarder dans les archives, dit Ethan, sans poser beaucoup plus de questions, sachant pertinemment qu'Amélia, une fois seul à seul, lui en parlerait.

Sidney le remercia puis se tourna vers son amie.

— J'aimerais aussi me rendre là où il vivait. J'ai étudié les cartes de ce monde et à cheval il faudrait deux jours de voyage, mais avec l'aide d'un pégase...

— Bien sûr ! Je vais tout de suite demander à Elion, la coupa Amélia.

— Où se trouve cette maison ? demanda le souverain.

— En lisière de la forêt interdite. À, à peine, un kilomètre du lit de la rivière.

— Alors soyez prudente, ordonna-t-il. La guerre est peut-être terminée, mais tous les fanatiques de Jefferson ne sont pas encore entre les barreaux et les alentours de la forêt interdite resteront éternellement dangereux.

— Nous le serons, acquiesça Amélia.


~


Alors qu'Ethan parcourait les archives et demandait des informations à toutes ses connaissances, pour retrouver la trace de la grand-mère d'Aiden, Amélia et Sidney se rendirent dans la cour du palais pour attendre Adolina qui serait leur monture. La jeune sorcière n'osa pas briser le silence pour demander à son amie l'utilité du grand sac en toile qu'elle portait sur son dos. Sidney tentait de garder bonne figure, mais Amélia pouvait très bien voir que repenser et parler de son âme sœur, l'avait grandement affecté.

Ses seuls mots furent à l'intention de la pégase, lorsqu'elle arriva, pour lui indiquer leur destination. Aiden avait fait construire son petit chalet à plusieurs centaines de mètres de la rivière, néanmoins le ruissellement régulier de l'eau brisait le silence du bois. Sidney s'arrêta sur le seuil de la porte, le cœur serré devant l'état si désastreux de cette maison qui avait dû être magnifique quelques années auparavant. Faute d'entretien, ce qui avait dû être un adorable jardin, était maintenant envahi par les ronces et les mauvaises herbes. Elle ne put s'empêcher d'imaginer ce que sa vie aurait pu être ici, à vivre au milieu de la nature, éloigné de tout, partageant tout son temps avec lui.

Les yeux brillants de larmes, elle détailla la structure en bois. Seuls deux murs semblaient intacts. Les deux autres étaient sur le point de s'effondrer, grandement fragilisés par d'innombrables impacts de flèches. Des centaines de projectiles meurtriers avaient pénétré ses murs. Les fenêtres avaient été brisées et la porte défoncée.

Amélia ramassa le sac vide que Sidney avait fait tomber quelques minutes plus tôt sans s'en apercevoir et le mit sur son épaule. Elle s'approcha doucement de son amie et lui tendit la main. La belle guerrière ne se fit pas prier pour accepter ce soutien. Si Amélia n'avait pas été là, elle aurait sûrement rebroussé chemin. Aiden lui avait tant parlé de cet endroit, qu'il considérait comme son petit coin de paradis, qu'elle était dévastée de le voir dans cet état. Il lui avait raconté tous les merveilleux moments qu'il avait passés dans ce chalet, toutes les aventures et les découvertes qu'il y avait vécues. Venir ici faisait remonter les propres souvenirs de Sidney, aussi douloureux les uns que les autres.

Ce fut la main crispée dans celle de son amie et les larmes dévalant silencieusement ses joues, qu'elle entra. L'intérieur était encore plus horrible à regarder que l'extérieur. Un trou béant au plafond avait été causé par un dégât des eaux, responsable d'une odeur de moisissure. L'unique, et grande, pièce avait été retourné de fond en comble. La bibliothèque s'était brisée en s'écrasant sur le sol et les ouvrages s'étaient éparpillés sur le tapis imbibé d'eau. Les armoires et commodes avaient été fouillés elles aussi, leur contenu entièrement vidé.

Sidney mit plusieurs minutes avant de trouver la force nécessaire pour bouger. Le souffle court, elle se baissa pour ramasser un livre dont les pages avaient jaunies avec le temps. Du bout des doigts, elle effleura la couverture puis feuilleta les premières pages avant de le tendre à Amélia pour qu'elle le mette dans le sac. Sans bruit, la jeune femme s'exécuta et observa avec peine son amie parcourir la pièce, ramassant des objets, des livres, des souvenirs. Elle s'arrêta plus longtemps devant le bureau, lui aussi sens dessus dessous. Sidney revit l'image d'Aiden assis derrière son bureau au sanctuaire, avec la même lampe en bronze. Le teint pâle, elle retourna un cadre pour découvrir la peinture d'une femme âgée d'une quarantaine d'année. Elle lui ressemblait beaucoup et Sidney en conclut que ce devait être sa grand-mère. Le cadre rejoint alors le reste des objets qu'elle ne pouvait s'empêcher de prendre, refusant de laisser pourrir tout ce qu'il avait tant chéri.


~


Arrivés devant la petite maison en pierre grise, Sidney se tourna vers Ethan et Amélia :

— Merci à tous les deux, commença Sidney. Maintenant, est ce que vous pouvez me laisser, je pense que j'ai besoin de faire la suite toute seule.

— Bien sûr, appelle-nous en cas de besoin, répondit Amélia en prenant son amie dans ses bras.

Ethan lui donna ensuite le sac en toile avec un hochement de tête plein de compassion. Après un dernier baiser sur la joue de son amie, Amélia s'éloigna aux côtés du souverain. Sidney serra la hanse du sac entre ses doigts, prit une grande bouffée d'air et frappa à la porte. Une vieille dame, aux cheveux gris et brillants, lui ouvrit. Le temps avait, au fil des années, fait disparaître ses beaux traits d'autrefois, mais c'était elle, la femme du portrait sur le bureau d'Aiden. Elle marchait à l'aide d'une canne, le dos légèrement voûté.

— Bonjour, je peux faire quelque chose pour vous jeune fille ? demanda-t-elle en la détaillant de ses yeux bruns.

Son regard n'avait, lui, pas été victime des années, il brillait de la même lueur de curiosité et de gentillesse qu'elle avait tant aimé chez Aiden. Sidney hésita un instant, mais la douceur qui émanait de cette femme lui donna le courage nécessaire.

— Bonjour madame Chaulon, répondit-elle après quelques instants.

— Je suis désolée, on se connaît ? Je ne me rappelle pas de vous. Avec le temps, ma mémoire me joue parfois des tours, s'excusa-t-elle.

— Ne vous excusez pas, vous ne m'avez jamais rencontré, mais Aiden m'a beaucoup parlé de vous, dit-elle la voix tremblante.

— Oh vous êtes une amie de mon petit-fils ! s'exclama madame Chaulon. Entrez donc.

Sidney la suivit jusqu'à un petit salon où la maîtresse de maison l'invita à s'asseoir sur un fauteuil en cuir brun. Alors que cette dernière avait insisté pour aller lui préparer une tasse de thé, elle observa les quelques peintures qui ornaient la cheminée. Elle y reconnut Aiden à tous les âges ainsi qu'une peinture de son mariage et le portrait de sa fille, la mère d'Aiden.

— Voilà pour vous, sourit la vieille dame en revenant avec deux tasses fumantes.

Sidney la remercia timidement alors qu'elle s'asseyait sur le siège en face du sien.

— Je suis contente de vous voir. Cela fait longtemps que je n'ai pas eu des nouvelles d'Aiden, comment va-t-il ?

Sidney manqua de laisser tomber sa tasse. Elle haussa d'abord les sourcils de stupeur avant que des larmes ne lui montent à la simple pensée de la dure tâche qui lui incombait désormais.

— Madame...Je pensais que vous étiez au courant, Aiden nous a quittés il y a un an. Les Stark l'ont...

— Non, c'est impossible ! s'écria la vieille femme.

— Je suis tellement désolée...murmura Sidney les yeux brillants.

La maîtresse de maison se tassa dans son fauteuil, les mains tremblantes sur ses genoux. C'était un choc pour elle. Elle ne voyait que très rarement son petit-fils, souvent trop occupé à parcourir le continent à la recherche de nouvelles créatures ou découvertes, mais jamais elle n'aurait pu imaginer qu'il quitterait ce monde avant elle. Sidney, impuissante, se contenta de regarder cette femme si joyeuse il y a quelques minutes, trembler désormais sous l'emprise de ses pleurs. La jeune guerrière se leva pour s'agenouiller devant elle et lui saisir les mains.

— Pourquoi la mort ne m'a-t-elle pas prise à sa place ? demanda la vieille femme.

— Il ne méritait pas ça c'est vrai, mais vous non plus. Il ne cessait jamais de parler de vous, il vous aimait profondément, lui murmura-t-elle.

— Etiez-vous sa femme ?

— J'aurai beaucoup aimé, mais...

— Mais vous l'aimiez n'est-ce pas ?

— Plus que tout au monde, acquiesça Sidney, les yeux rouges.

— Vous étiez là quand c'est arrivé ? Je vous en supplie, dites-moi qu'il n'est pas parti tout seul.

— J'étais là, jusqu'à la dernière minute...

La vieille dame se leva brusquement, entraînant par la même occasion Sidney qu'elle s'empressa de prendre dans ses bras. Une fois la surprise passée, la guerrière lui rendit son étreinte.

Ce fut, le cœur brisé et la voix tremblante, que les deux femmes échangèrent pendant des heures sur Aiden. Louise, prénom de la maîtresse de maison, raconta à Sidney l'enfance de son petit-fils. Elle lui relata ses nombreuses maladresses et son amour pour les sciences et les livres. À la mort de ses parents, alors qu'il n'avait que dix ans, ce fut elle qui l'éleva pour devenir cet homme terriblement altruiste et gentil. Sidney, elle, lui conta leurs aventures ensemble pendant ses deux années au sanctuaire. Et pour la première fois, à l'exception de son frère, elle parla de son amour pour lui, du bonheur qu'elle avait ressenti à ses côtés et du gouffre qu'avait laissé sa mort dans son cœur.

Avant de quitter Louise, avec la promesse de venir lui rendre visite aussi souvent que possible, elle tint à lui remettre le bestiaire manuscrit qu'avait débuté Aiden à son arrivée au sanctuaire.

— Merci, bafouilla la vieille femme en serrant fort le livre entre ses mains.

— Merci à vous, sourit Sidney.

Cet après-midi avait été très difficile pour la jeune guerrière, mais elle lui avait aussi permis d'apaiser sa colère et sa tristesse. Le partage de ces souvenirs et de ces émotions était, pour elle, une première étape pour tourner la page.

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