Chapitre 3
- Nouveau-Mexique, Hobbs - 20 juin 2024 -
À l'inverse de ce qu'on aurait pu croire, beaucoup trop épuisée, Amélia n'avait pas mis longtemps à s'endormir. Quand elle se réveilla, elle se sentit plus reposée et plus disposée à prendre des décisions. Elle s'aventura dans les longs couloirs du sanctuaire. Lorsque deux chemins s'offrirent à elle, elle tourna à gauche et ouvrit la porte. Dans cette pièce, de grands murs de livres montaient jusqu'à presque quatre mètres et au milieu trônait une vieille table en bois. Amélia tourna sur elle-même et admira cette magnifique bibliothèque. Elle n'en avait jamais vu de pareille, elle était immense. Une chose était sûre, la personne qui avait aménagé cette salle adorait les livres. En retournant sur ses pas, et en prenant l'autre couloir, elle finit par arriver dans un petit salon où Sidney était affalée sur le canapé.
— Bonjour, dit Amélia.
— Salut ! Comment vas-tu ?
Alors qu'elle s'apprêtait à répondre, elle ressentit une vive douleur à la tête qui lui fit fermer les yeux et grimacer. Elle se retrouva soudain à courir dans une prairie, fuyant un homme. Elle trébucha. Le choc fut très violent. Paniquée, elle ouvrit à nouveau les yeux et regarda vivement autour d'elle.
— Tu es sûre que ça va ? redemanda Sidney.
— Oui oui, bafouilla-t-elle.
Elle se persuada que ce n'était rien. Sûrement un résidu de fatigue ou du traumatisme de sa fugue. Tout était encore embrouillé dans l'esprit d'Amélia jusqu'à ce que Sidney lui demande si elle allait rester pour les aider. Alors ce fut évident, elle voulait être ici. Dehors, rien ni personne ne l'attendait et inconsciemment le danger et l'inconnu de ce monde l'attirait terriblement. Elle voulait en savoir plus et surtout, se donner l'occasion de recommencer une nouvelle vie.
Les jumeaux étaient heureux de cette nouvelle, sachant très bien qu'Amélia et Elion seraient de bonnes alliées pour cette guerre. Avant cela, il leur fallait cependant trouver le portail et surtout apprendre à Amélia à se défendre. Ils l'avaient tout d'abord chargé de recueillir des informations sur ce fameux portail auprès d'Elion. Lorsqu'elle arriva dans l'immense salle aux multiples vitres, sa sauveuse était déjà debout, comme si elle attendait sa venue. La jeune femme s'émerveilla une nouvelle fois devant la beauté de la jument. Son poil était luisant, ses ailes puissantes et ses yeux dorés la regardaient avec douceur. Alors que les jumeaux restèrent en retrait pour ne pas déranger, Amélia approcha en murmurant :
— Bonjour.
« Bonjour Amélia. Comment vas-tu aujourd'hui ? »
Comme si elles se connaissaient depuis des années, Amélia caressa tendrement le bout de son nez, près de ses naseaux, là où la peau était grise et douce.
— Je vais bien et toi ?
« J'ai pleinement récupéré. »
— Tant mieux, sourit Amélia en remontant une de ses mains le long de la joue de la jument. J'ai décidé de rester ici, annonça-t-elle ensuite.
« C'est une bonne nouvelle. Je serais là pour t'accompagner, quoi qu'il arrive. »
La jeune femme sourit à nouveau tandis que sa main glissait sur l'encolure d'Elion. Cette dernière qui semblait apprécier ses caresses ferma les yeux quelques instants. Amélia se laissa envelopper par ce moment de complicité et de douceur plusieurs minutes puis elle demanda :
— Axel et Sidney m'ont parlé d'un portail qui nous permettrait de nous rendre dans l'autre monde. Malheureusement, ils n'ont jamais réussi à le localiser... Aurais-tu des informations là-dessus ?
« Le portail change de localisation tous les mois afin qu'il y ait moins de risques pour lui d'être découvert. Depuis mon arrivée ici, il y a deux ans, il s'est déplacé et je n'ai donc aucune idée d'où il se trouve. »
— Et il n'y a vraiment aucun moyen de repérer sa trace ? s'enquit Amélia.
« Si, bien sûr. Il émet des ondes sismiques très particulières. Ton ami devrait pouvoir les identifier et les tracer. »
— Super ! Et puis, en se basant sur les endroits où ils ont sauvé des créatures récemment, Axel pourra établir un périmètre de recherche.
« Et une fois le périmètre établi, je pourrai emmener quelqu'un sur mon dos pour ratisser la zone. »
— Merci de ton aide Elion ! s'exclama Amélia en se pressant contre le corps chaud du pégase.
La conversation terminée, Elion déplia ses ailes et, après un dernier au revoir à sa protégée, elle s'éleva au-dessus du sol pour s'envoler par la grande ouverture du plafond.
Amélia sursauta. Alors qu'elle s'apprêtait à sortir de la pièce, elle entendit un bruit. Elle regarda autour d'elle et aperçut la créature mi chien mi bouc taper contre la vitre. Elle s'approcha prudemment. La chimère continuait de frapper doucement la barrière de verre avec ces pattes avant. Elle ne semblait pas vouloir attaquer mais seulement attirer l'attention de la nouvelle arrivée. Sa queue touffue fouettait l'air de droite à gauche gaiement et les symboles sur ses cornes scintillaient d'une lumière dorée. Elle fixait la jeune femme de ses grands yeux bleus pétillants qui contrastaient avec le sombre noir de son pelage. Amélia ne put s'empêcher de la trouver attendrissante.
— Depuis combien de temps est-elle ici ? demanda-t-elle à Axel et à Sydney qui venaient d'arriver.
— Il me semble qu'on l'a trouvée il y a deux semaines, répondit Axel.
— Oui c'est ça, à Santa Fe, assura sa sœur.
— Et vous ne laissez jamais des créatures libres dans le sanctuaire ?
— Non, ce n'est pas très prudent, on ne sait pas comment ils pourraient se comporter avec nous, continua Sidney.
— Je comprends, mais regardez ! N'est-elle pas trop mignonne ?
Comme pour appuyer ses dires, la chimère sautilla et tourna sur elle-même. Amélia sourit de plus belle. Ce petit animal lui transmettait sa bonne humeur, un sentiment qu'elle n'avait plus ressenti depuis longtemps. Axel jeta un coup d'œil à sa sœur. Elle aussi semblait être tombée sous le charme de la créature. Il capitula :
— Bon, pour l'instant, il n'a montré aucune trace de pouvoir ou d'agressivité mais je ferai une étude plus poussée sur lui et nous verrons demain.
Les deux jeunes femmes se jetèrent un regard complice. Des centaines de prénoms tournaient déjà dans la tête d'Amélia pour cette petite boule de poils.
~
Plus tard dans la soirée, ce fut dans la bibliothèque que les jumeaux trouvèrent Amélia, plongée dans un livre. En s'approchant plus près, le cœur de Sidney se serra. C'était un bestiaire manuscrit qui regroupait les descriptions et photos de centaines de créatures magiques. À en voir l'épaisseur et la couleur ternie des pages, il devait avoir plusieurs années. Lorsque Sidney et Axel s'assirent, la lectrice leva les yeux et leur fit un petit sourire, mais en voyant l'expression fermée de la guerrière, son sourire s'effaça et elle demanda ce qui n'allait pas. Sidney se contenta de prendre doucement le livre et de caresser la couverture de ses doigts fins, un air triste sur le visage. De douloureux souvenirs lui revinrent en mémoire. Depuis cet événement, elle ne venait que rarement dans la bibliothèque. C'était son endroit, à lui.
— Ce livre appartenait à Aiden, mon petit ami, annonça Sidney après quelques secondes.
Amélia comprit alors la raison de la tristesse de Sidney. Alors qu'Axel avait entouré ses épaules de son bras, la jeune femme posa une main réconfortante sur son avant-bras. Elle ne pouvait que très bien imaginer ce que ressentait Sidney en revoyant ce souvenir.
— C'est grâce à lui que nous avons eu connaissance de l'autre monde et de la guerre, continua-t-elle.
— Comment était-il ? se risqua Amélia.
— On ne pouvait que l'aimer. C'était une personne au grand cœur, toujours prêt à aider, dit-elle avec émotion.
Amélia n'insista pas. Le souvenir de cet être aimé était encore trop douloureux et elle savait mieux que personne combien il était difficile de parler de ceux qui n'étaient plus là. Sidney s'excusa et sortit sous les yeux inquiets de son frère. Il connaissait sa jumelle par cœur, elle n'aimait pas montrer ses faiblesses et elle avait besoin d'être seule. Il raconta alors tristement l'histoire d'Aiden à Amélia.
Aiden était un jeune homme discret. Il n'était en aucun cas un guerrier mais plutôt un intellectuel. C'était un collectionneur, un passionné de livres et un amoureux des créatures magiques. Il vivait près de la forêt interdite, en bord de rivière, là où bon nombre de créatures demeuraient. Ce n'était pas un ermite pour autant. Il passait beaucoup de temps à Edora, à arpenter les brocantes et bibliothèques pour recueillir toutes sortes d'objets et d'ouvrages. Il n'aimait pas attirer l'attention, mais les Stark avaient des yeux partout et quand ils apprirent qu'il était un puissant sorcier de terre, ils commencèrent une chasse à l'homme. Ce fut comme ça qu'il traversa le portail. Les jumeaux étaient en mission quand ils croisèrent le chemin d'Aiden, combattant contre des guerriers Stark.
— Il est mort il y a un an, lors d'une confrontation avec les Stark pour sauver une créature...
— Je suis tellement désolée...
En entendant l'histoire d'Aiden de la voix tremblante d'Axel, le souvenir de sa perte à elle lui revint en mémoire et une larme coula le long de sa joue. Les yeux brillants, le jeune homme lui demanda :
— Toi aussi tu as perdu un être cher, n'est-ce pas ?
— Oui, avoua-t-elle après avoir avalé difficilement sa salive.
— Tu n'es pas obligée de m'en parler, la rassura Axel.
— Je n'ai jamais pu en parler à quelqu'un mais je crois que je suis prête à le faire...
Elle se libéra alors du poids de ce lourd souvenir en le racontant à Axel.
Un soir d'été, il y a deux ans, toute sa vie avait basculé. Elle se rappelait du bruit des sirènes de police, de la sonnerie de la porte et du cri de sa sœur. Elle n'avait que seize ans quand les officiers en costume bleu lui apprirent la mort de ses parents, victime d'un terrible accident de voiture avaient-ils dit. Ce soir-là, Olivia, l'aînée des sœurs, ne put s'arrêter de pleurer et de crier. Elle, elle n'avait pas décroché un mot. Quelques mois après, Amélia avait également dû surmonter la disparition soudaine de sa sœur. Et depuis ce jour, l'inquiétude de ne pas savoir ce qu'elle était devenue ne l'avait jamais quitté.
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