Accrochée au bras d'Axel, Amélia et Sidney avançaient dans la cour arrière du palais. L'ensemble de la garde était présente, tous habillés de blanc. Pour les habitants d'Edora, le blanc était la couleur du deuil, le symbole de la lumière céleste, de la paix et de la pureté, mais aussi celui de la renaissance. Après être resté quelques instants dans le silence. Ethan, habillé d'un costume immaculé, contrastant avec sa chevelure noire, s'avança :

— Aujourd'hui, ceux qui restent occuperont la place aux côtés de ceux qui sont tombés. Ceux qui restent prononceront le nom de ceux qui sont tombés, dit-il solennellement.

Sous les yeux attentifs des jumeaux et d'Amélia, la garde répéta à l'unisson les paroles de leur roi. Ces quelques mots, si lourds en signification, firent serrer le cœur de la nouvelle sorcière d'air. Elle en avait la bouche sèche et les poils hérissés. Une fois le silence retombé, Adrian, Malik et Connor rejoignirent Ethan pour soulever le cercueil en bois vernis. La marche se fit avec pour seule musique le sifflement du vent et le bruissement des feuilles. Alors que le jardin se remplissait de tristesse, la boîte de la défunte disparaissait dans le sol. Ce fut Lorie, soutenue par son compagnon, qui commença l'hommage. Les mains tremblantes, elle replaça deux mèches blondes de chaque côté de son visage et prit une longue inspiration, essayant de retenir ses sanglots.

— La vie est faite de changements.

À ces premiers mots sa voix se brisa et ce fut seulement grâce au soutien de son petit ami qu'elle continua fébrilement :

— Que vous le vouliez ou non, des êtres chers vous seront arrachés par la vie et des rencontres insoupçonnables les remplaceront. Mais quand on perd une personne vraiment importante. Quand deux chemins prennent des directions différentes. Quand cette personne, qui vous réchauffait le cœur par un simple sourire, n'est plus là, comment faire pour réapprendre à vivre sans elle ? Je vous parle de ce vide, de cette douleur qui vous transperce le cœur à chaque photo que vous croiserez.

Lorie accepta le mouchoir que lui tendait Malik pour se moucher et tenter d'essuyer les larmes qui ravageaient ses joues. Elle reprit difficilement son discours :

— Natasha était ma meilleure amie, ma sœur et je promets de me battre pour gagner, en son nom.

Lorie tourna le dos à ses amis pour s'agenouiller devant le trou. Elle sortit alors un petit objet de la poche de sa veste. Amélia dut plisser les yeux pour mieux le détailler. C'était une petite figurine de princesse en robe rose. Lorie la jeta sur le cercueil en prononçant ses derniers adieux. Ce jouet n'avait peut-être aucune signification aux yeux des nouveaux membres de la garde, mais il en avait énormément pour Lorie et les proches de la défunte. Avant la mort de son père, lorsqu'elle était très jeune, Natasha n'avait rien d'une guerrière. À son décès, elle avait voulu honorer son rêve, celui d'avoir un enfant qui le rendrait fier en se mettant au service d'Edora et avait alors radicalement changé sa façon de vivre pour devenir une redoutable combattante. En écoutant les hommages, Amélia réalisa que la garde n'était pas juste une armée au service d'un royaume en guerre, mais une famille soudée et aimante. Natasha avait été une grande sœur pour Connor, un mentor et une amie pour Olivia ainsi qu'une partenaire d'armes pour Malik. Consciente qu'il était difficile de faire mieux après ces beaux discours, Amélia se souvint seulement des paroles que lui avait chuchotées sa mère lors du décès de son institutrice :

— Faire son deuil c'est lancer une poignée de vie dans les yeux de la mort. On sait qu'elle n'en sera aveuglée qu'un bref instant, mais cela fait du bien.

Pour achever ses paroles, elle leva une main au ciel et lança une colonne de vent dans l'immensité du ciel bleu. Poussé par l'émotion du moment, le reste de la garde l'imita. Malik déclencha une tornade de feuilles déchaînées, Lorie un énorme jet d'eau et Olivia une colonne de feu ardente. Un voile de magie enveloppa le jardin et fut rejoint par le hurlement de loup de Gabe et celui de jaguar de Connor. Le souverain fit, quant-à-lui, briller ses yeux d'une lueur rouge. Ce moment de délivrance n'avait duré que quelques instants, mais avait réussi à faire oublier pendant, ne serait-ce qu'un instant, qu'ils ne pouvaient pas vaincre la mort. Le petit sourire de soulagement d'Amélia s'effaça instantanément en remarquant qu'Adrian n'avait pas esquissé le moindre geste. Le vampire se contentait de fixer le trou béant sur la pelouse. Il finit par lever la tête vers le ciel et tout le monde se concentra sur ses paroles :

— Je voudrais te dire toutes les choses que je n'ai pas eu le courage de te dire en face. Aujourd'hui je vais réunir les forces qu'il me reste pour mettre de l'ordre dans ma tête et trouver les mots justes. Je conçois qu'il est trop tard, mais je suis sûr que tu m'entends là où tu te trouves, dans un monde meilleur, sans guerres, ni conflits. Car il est important que tu saches que tu as bouleversé ma vie. Je crois qu'au fond, je ne parviendrai plus à aimer quelqu'un, comme je t'aime. Avant de te rencontrer, je menais une existence insipide. J'avais peur et, à cause de ça, je n'ai jamais pu te dire ce que je ressentais, mais je te le dis maintenant en espérant que tu m'écoutes. Je t'aime Natasha. Repose en paix, je ne t'oublierais jamais..., finit-il en laissant couler une larme le long de sa joue.

Les discours avaient été très émouvants, mais celui-ci atteint Amélia en plein cœur. Il était si sincère et plein de regrets. Olivia se précipita vers l'immortel qui enfouit son visage dans ses cheveux brun. Amélia se blottit contre Sidney, tremblante.

— Quelle histoire d'amour tragique, chuchota-t-elle.

La jeune sorcière acquiesça doucement en posant sa tête contre son épaule.

— La mort de Natasha a été un choc pour nous tous, seul le temps pourra faire disparaître notre souffrance. Je suis profondément attristé, mais nous n'avons pas le temps de nous morfondre. Natasha était une guerrière exceptionnelle. Malheureusement, elle n'est pas morte au combat. Alors mes amis, je vous le promets, nous allons gagner, pour Natasha et tous ceux qui sont morts pour la liberté ! déclara Ethan.

— On va les massacrer ! hurla Connor.

Tout le monde acquiesça en criant à leur tour le slogan du jeune métamorphe.

— Je m'en fous que ça aille mieux avec le temps. Je veux que ça aille mieux maintenant. Je veux les faire souffrir comme ils nous ont fait souffrir, même plus. Je veux qu'ils ressentent ma souffrance parce que, franchement, c'est tout ce qu'il me reste à offrir, s'exclama Lorie d'un ton plein de haine.

Malik s'approcha de sa bien-aimée et lui murmura quelque chose à l'oreille. Suite à cela, un silence total régna dans la cour du Palais. Soudain, une musique le brisa. Lorie s'avança, la tête inclinée vers le ciel et commença à chanter doucement dans une langue qui était inconnue à Amélia. Malgré la barrière de la langue, il était évident qu'il s'agissait d'une chanson de deuil. La voix de la sorcière, se faisait plus puissante et tout le monde l'accompagna en chantant en cœur. Les voix se firent encore plus fortes, comme si le monde entier suivait le rythme battant de la musique. Amélia sentit les larmes lui monter aux yeux. Soudain, Olivia lui attrapa la main pour la tirer à l'écart et lui demanda d'appeler Elion. Sans aucune question, elle s'exécuta. Quelques secondes plus tard, elle se posa avec douceur au côté des deux sœurs. Olivia s'approcha pour lui murmurer à l'oreille. Comme pour répondre, la pégase inclina la tête avant de se baisser afin de laisser monter les deux sorcières.

— Où allons-nous ? On ne peut pas partir maintenant, fit remarquer Amélia en jetant un coup d'œil à Lorie.

Olivia ne répondit pas, mais la jeune femme en compris instantanément la raison lorsque Elion s'envola. À l'inverse de ce qu'on aurait pu croire, la musique se faisait de plus en plus forte à mesure qu'elles s'éloignaient du sol. Survolant les maisons, Amélia put remarquer que tous les villageois étaient sortis de chez eux pour chanter à l'unisson. Posant sa tête contre le dos de son aînée, elle se laissa envahir par les paroles mélancoliques.

— Chaque fois qu'un membre de la garde meurt, cette chanson est chantée. Tout le monde arrête son activité, sort de chez soi et l'interprète en cœur. C'est une tradition que James Namaro a mis en place à la mort de sa femme. La musique retentit dans tout Edora pour partager notre peine, explique doucement Olivia.

— C'est très poignant, murmura Amélia, en laissant couler une larme le long de sa joue.

Les paupières d'Amélia se fermèrent pour mieux apprécier la musique et elle ne les ouvra à nouveau seulement que lorsque celle-ci s'arrêta. Elle s'aperçut alors qu'Elion s'était posée dans la cour. La cérémonie prenait fin, les membres de la garde déposèrent chacun à leur tour une rose rouge dans le trou avant de rentrer dans le palais. Mais, sous la demande d'Elion, Amélia était partie avec elle pour une destination mystère.

~

À chacun de ses pas, les herbes les plus hautes venaient chatouiller les mollets d'Amélia qui dut écarter quelques mèches rebelles de son visage pour pouvoir admirer l'immensité du paysage. Le soleil couchant illuminait la cime des montagnes et le vent faisait bouger les feuilles des arbres dans un doux bruit répétitif. Elle ferma les yeux de plaisir, prit une longue inspiration et se laissa envahir par toutes ces sensations. Lorsqu'elle rouvrit les yeux, Elion s'était approchée d'elle jusqu'à poser sa tête contre l'épaule de la jeune femme. Sans quitter des yeux le coucher de soleil à venir, elle passa ses doigts dans les soyeux crins du pégase. Enfin le spectacle commença et les couleurs se mélangèrent dans le ciel. Les oranges, les rouges et les violets se mariaient dans une parfaite harmonie et illuminaient les montagnes une dernière fois avant que ne vienne la noirceur de la nuit. Dans des moments d'une telle beauté, le temps semblait s'arrêter et la frontière entre l'imaginaire et la réalité s'effaçait. Mais, peu à peu, les derniers rayons du soleil disparurent et la lumière feutrée de la lune prit le relais.