Chapitre 21
— C'est pour ça que je veux vraiment que tu comprennes l'importance de ce collier, continua-t-il la voix toujours remplie d'émotions. De plus, s'il tombait entre de mauvaises mains, il pourrait être utilisé contre nous.
— Je ne le quitterai jamais, promit-elle.
Ethan ne répondit pas. Son visage avait toujours cette même expression calme, mais elle pouvait voir dans ses yeux une grande tristesse qui lui provoqua un pincement au cœur. Cette terrible histoire lui permettait cependant de comprendre enfin les réactions que pouvait avoir le souverain. L'image qu'il avait de lui l'empêchait de pouvoir se faire confiance.
— Ces hommes avaient attaqué ton peuple, tu n'as fait que le défendre.
— Non, je les ai massacrés !
— Ce n'était pas toi mais le dragon, tu...
— Nous sommes la même personne Amélia ! Je suis ce monstre, hurla-t-il.
— Je ne suis pas d'accord, répondit-elle aussi calmement que possible. Nous avons tous nos excès de rage et nos moments de faiblesses, nous ne devons pas en avoir honte. Cette bataille ne te définit pas et je reste persuadée que tu ne devrais pas cacher cette part de toi. Tu peux en être maître et je serai là pour te ramener sur le droit chemin si nécessaire.
— Je crois que je t'en ai assez dévoilé pour aujourd'hui. Je vais y aller, tu devrais vraiment aller te reposer, annonça-t-il en se levant.
Amélia se redressa et l'arrêta en lui attrapant le bras.
— Juste une dernière question.
Elle l'emmena devant le mur du fond de la bibliothèque et devant ce qui avait attiré son attention lors de sa recherche de livres. La totalité du mur était recouverte d'inscriptions en elfique. Parfois, il n'y avait que quelques mots, des paragraphes ou même ce qui semblait être une liste.
— Nous l'appelons le mur des prophéties, révéla Ethan. Certaines se sont déjà réalisées comme celle-là, continua-t-il en montrant une inscription.
— Que dit-elle ?
— « Une lutte pour la domination va commencer. Son esprit sera son arme. Par jalousie, il les dépossédera de leur héritage. » énonça le souverain.
— Elle a annoncé la guerre, c'est ça ? Combien de temps avant est-elle apparue ?
— Deux ans avant que Jefferson ne construise sa machine, mais à l'époque ils ne pouvaient pas comprendre sa signification.
— C'est dommage, cela aurait peut-être permis d'éviter pas mal de choses...
— Cela n'aurait rien changé, une prophétie se réalise toujours, même si on fait tout pour l'éviter.
— Je vois..., il y a aussi celle qui me concerne ?
— Bien sûr, elle se trouve juste ici. Elle est apparue peu de temps après le début de la guerre.
Il s'approcha et effleura du bout des doigts la phrase à mesure qu'il l'énonçait.
— « Dans un battement d'ailes, tout reposera sur elle. »
— C'est quand même très vague, constata la jeune femme. Comment être sûr que cela me concerne Elion et moi ?
— Les prophéties sont rarement très explicites. C'est bien pour cela que je préfère ne pas m'y référer et affronter le destin comme il se présente à moi, commença-t-il. Il existe cependant des personnes avec le don de voyance à Edora et c'est comme ça qu'a commencé la propagation de la légende des pégases et de l'Élue.
— Je trouve ça tellement incroyable que des gens soient au courant avant moi des événements de ma vie future, s'exclama Amélia fascinée. Et celle-là ? demanda-t-elle ensuite en pointant un petit paragraphe.
— C'est étrange, je ne l'ai jamais vue avant, elle doit être récente. La première phrase dit : « Tout à un prix » dit-il en plissant les yeux d'incompréhension.
— Et la suite ?
— Je crois que c'est une liste des personnes qui vont mourir...
— Qui ? l'interrogea Amélia du tac au tac.
— Je ne préfère pas les lire, objecta Ethan.
— Quoi ? Mais on a besoin de savoir !
— Non, il ne vaut mieux pas et les autres ne doivent pas être au courant.
Le calme d'Ethan mettait Amélia dans une rage folle. Elle voulait à tout prix savoir ces noms pour essayer de les sauver. Sinon à quoi servait-elle si les gens continuaient de mourir ? Amélia vit six noms inscrits sur le mur. Elle supplia Ethan de lui dire, au moins, le premier.
— Le point faible de l'immortel, dit-il en mettant fin à leur conversation.
~
C'était la première fois qu'Amélia voyait Adrian laisser paraître ses émotions. Elle sut alors que la situation était grave et s'approcha doucement du lit où tout le monde était déjà regroupé.
— Ethan, qu'est-ce qu'elle a ? interrogea anxieusement le vampire.
Inconsciente et en sueur, la souffrante était allongée sous une épaisse couverture bleue. Olympe épongeait son front délicatement alors que Lorie lui tenait la main en sanglotant. Les jumeaux et Gabe étaient assis, tout proche, sur des chaises. Sidney se rongeait nerveusement les ongles tandis que son frère avait, lui, la tête baissée, les mains serrées derrière sa nuque. Olivia se blottit dans les bras de sa sœur. Les yeux brillants de larmes, Amélia tenta de la rassurer. Mais en réalité, elle n'avait aucune emprise sur le déroulement des événements et cela la terrifiait profondément.
— Depuis combien de temps est-elle inconsciente ? demanda le roi.
— Je ne sais pas, je l'ai trouvé comme ça dans sa chambre il y a dix minutes, répondit Adrian d'une voix rauque.
— Avez-vous trouvé la moindre trace de blessure ?
Sans répondre, Adrian et Olympe commencèrent à inspecter le corps de Natasha. Ce fut cependant Ethan qui remarqua quelque chose en soulevant ses cheveux. Derrière son oreille se trouvait une petite boursouflure, comme celle d'une brûlure, mais avec une forme bien particulière : celle d'une croix.
— Là, regarde Adrian. Elle n'avait pas cette marque auparavant ?
— Non, je ne l'ai jamais remarquée.
— Je crois l'avoir déjà vue dans un livre de la bibliothèque, affirma Ethan. Olivia, Gabe et Axel, venez avec moi.
Essuyant ses larmes d'un revers de main, Olivia se détacha des bras d'Amélia et suivit précipitamment le roi hors de l'infirmerie. Sur le lit, la malade ouvrit petit à petit les yeux en grimaçant. Adrian se précipita à son chevet. Tout en la regardant avec une grande douceur, il lui caressa tendrement la joue. Lorie, les lèvres tremblantes, se trouvait de l'autre côté du lit, tenant fermement la main de son amie.
— Natasha, comment te sens-tu ? demanda Adrian.
— J'ai mal, grogna-t-elle en serrant les dents et en se tortillant comme pour faire partir la douleur.
— Tu as mal où ? continua le vampire. Sa voix, d'habitude si calme, trahissait son inquiétude.
— Partout. J'ai l'impression de brûler...
— Je vais essayer de prendre ta douleur, déclara Connor en s'approchant.
Les métamorphes avaient la capacité de guérir plus vite, mais certains pouvaient aussi enlever la douleur des autres par un simple contact. Connor posa une main sur le front de Natasha et l'autre sur son avant-bras. Il ferma les yeux et sa mâchoire se crispa. Les paupières de Natasha se fermèrent, son visage reprit des traits plus apaisés tandis que ceux de Connor se durcirent. Au bout d'une minute, il rompit le contact et recula en titubant. Malik le rattrapa et le fit asseoir sur un fauteuil. Quelques minutes plus tard, le groupe de la bibliothèque revint. Ethan se mit en retrait et fit part de sa terrible trouvaille au reste de la garde.
— La marque des messagers est un symbole de mort. Elle est due à un contact avec l'un d'eux. Les symptômes sont : fièvre, paralysie progressive des muscles, difficulté à respirer ainsi qu'une douleur de brûlure constante...
— Et après ? Quel est le remède ? s'exclama Malik.
— Je suis désolé, murmura le roi.
— La suite, ordonna Adrian. Lis la suite.
— Seuls de rares cas existent. Le phénomène n'a donc pas pu être étudié pour trouver un remède. L'espérance de vie d'une personne contaminée varie d'une à trois heures après l'apparition des symptômes, finit-il de lire.
Personne n'osait parler, tout le monde était sous le choc. Olivia s'était effondrée sur Gabe qui, sans comprendre, lui caressait timidement le dos. Axel s'approcha d'Olympe pour lui offrir son soutien et la jeune femme éclata en sanglots dans ses bras. Abattue, Lorie serait tombée à genoux si son petit ami ne l'avait pas rattrapé pour la serrer contre son torse. Soudain, il eut un grand fracas. Adrian venait de frapper violemment le mur, enfonçant de plusieurs centimètres son poing dans celui-ci. Ses articulations étaient en sang, mais il ne semblait pas s'en soucier. Si Ethan ne lui avait pas ordonné de se calmer et de reprendre le contrôle de ses émotions, il aurait sûrement continué jusqu'à épuisement. Tremblante, Amélia, jusqu'ici restée spectatrice, s'approcha de Natasha. Ses yeux étaient à moitié ouverts et sur son visage, on pouvait deviner la douleur immense qui la submergeait. Tout son corps était en sueur et sa frange noire était plaquée contre son front. Amélia ne savait pas quoi faire, ni comment réagir, alors, les yeux brillants, elle se contenta de serrer très fort la main de la jeune femme.
— Je vais mourir, je le sais, dit-elle difficilement.
Le teint d'Amélia pâlit, sa bouche se tordit et ses lèvres se serrèrent. En silence, elle laissa les larmes dévaler ses joues, incapable de répondre. Elle avait raison, elle allait mourir sans que personne ne puisse y faire quoi que ce soit. Elle était la première sur la liste. Amélia se sentait si impuissante et coupable de ne pas pouvoir l'aider.
Amélia ne saurait dire depuis combien de temps, elle était restée assise sur cette chaise à observer l'horrible scène des adieux à Natasha. Les larmes avaient fini par cesser de couler et elle s'était maintenant réfugiée dans un mutisme profond. Malik avait dû emmener de force sa petite amie pour qu'Adrian puisse faire ses adieux en privé. Les deux jeunes femmes avaient grandi et avait été formées ensemble pour faire partie de la Garde Royale, elles n'avaient jamais été séparées. Ce fut donc en pleurs et en hurlant contre Ethan, qui n'avait, d'après elle, rien fait pour sauver Natasha, que le couple quitta l'infirmerie. Adrian était un vampire, âgé d'une centaine d'années. Il avait souvent été confronté à la mort, pourtant il ne s'y était jamais habitué et celle-ci était particulièrement douloureuse pour lui. Il avait retiré sa veste de costume et sa cravate pour s'allonger plus confortablement au côté de Natasha. Cette dernière, tremblante, s'était blottie contre lui. Ses yeux étaient clos et sa main fermement accrochée à la chemise immaculée d'Adrian. Le vampire s'était autrefois fait la promesse de ne plus jamais aimer, d'être imperméable à tout type d'émotions. Mais avec Natasha, les barrières qu'il avait mis si longtemps à construire se sont instantanément écroulées. Elle était son point faible. Il avait tenté de faire taire ses sentiments pour la protéger de son aura destructrice. Il n'avait jamais déclaré son amour à la jeune femme et, désormais, il était trop tard. De ses yeux argentés, perlaient quelques larmes. Alors qu'il suivait les contours du visage de Natasha avec ses doigts, comme pour les graver dans son esprit, il lui murmurait de douces paroles apaisantes. Amélia sut que tout était terminé quand la poitrine de la jeune femme arrêta de se soulever et qu'Adrian serra son corps sans vie dans ses bras. Elle porta sa main à sa bouche et ses yeux se fermèrent.
~
La nuit était tombée sur Edora, l'enveloppant d'un silencieux voile sombre. Il n'y avait aucun bruit dans le palais, hormis celui des pas du vampire qui rentrait de sa balade nocturne. Après la mort de sa bien-aimée, il avait eu besoin de s'isoler. Devant la porte de sa chambre attendait Ethan, les bras croisés contre son torse, l'air inquiet.
— Tu vas mieux ?
— On fait avec. Comment va Lorie ? renchérit le vampire.
— Elle aussi fait avec, répéta le souverain.
— Il faut lui laisser du temps. Chacun gère le chagrin à sa manière. Certains dans la colère, d'autres dans la tristesse et la dépression ou même le déni. C'était sa meilleure amie, c'est dur pour elle.
— Je sais, je vais lui laisser du temps. Je sais aussi que c'est très compliqué pour toi Adrian, mais j'ai besoin de toi, plus que jamais, dans cette guerre.
— Et je ferais tout pour gagner et venger Natasha, dit-il avec rage.
— Et toi, est-ce-que ça va ? redemanda Ethan.
— Je t'ai déjà dit que oui, lui répondit Adrian en haussant le ton, agacé.
— Tu sais que tu peux être honnête avec moi.
— Je l'aimais et sa mort me brise le cœur, avoua le vampire en baissant la tête.
— Si tu as besoin de temps demain, prends-le, lui accorda Ethan en posant une main réconfortante sur son épaule.
— Merci Ethan. Je vais y aller maintenant, j'ai besoin d'être seul.
Le souverain hocha la tête alors que son second ouvrait la porte de sa chambre. Adrian la referma doucement et Ethan tourna le dos en s'apprêtant à partir quand soudain l'immortel l'interpella. L'intéressé se retourna et l'interrogea du regard.
— Et toi, comment vas-tu ?
— Depuis la mort de mes parents, j'ai un gros vide dans mon cœur, il grossit malheureusement de plus en plus, expliqua doucement le souverain.
— Tu sais Ethan, je vais te révéler un truc que tu ne dois sûrement pas savoir. Tu n'as pas besoin d'être un mur de pierre pour qu'on te respecte et t'écoute. Ce n'est pas parce que tu vas montrer tes sentiments que tu nous protégeras moins.
— Je sais tout ça, chuchota Ethan en tournant le dos au vampire pour partir en direction de sa chambre.
Adrian baissa quelques secondes les yeux avant de refermer sa porte.
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