XX - Obscura - Ravages

Malgré son mécontentement, Obscura esquissa un léger sourire en coin en découvrant qu'elle avait bel et bien vu juste – comme toujours – : Nathalyia était allée rendre visite à Kaze et elle n'appréciait guère ces petites cachoteries dont elle était exclue. Franchement, qui ose manigancer dans le dos d'un Démon ! La princesse d'outre-tombe avait rapidement compris que Kaze voyait plus loin que les deux petits prétentieux de Ruby et Myzu – guère compliqué après tout puisqu'ils étaient tous deux ineptes –, et elle ne désirait aucunement que sa méfiance déteigne sur Nathalyia, qui semblait être aussi vide qu'une coquille d'escargot mort. Une personne compliquée à gérer, c'était déjà trop pour Obscura, sans compter que la présence apaisante de Célestin ne l'aidait guère à mettre en action ses plans belliqueux.

Lorsque Kaze la vit entrer, une lueur de mécontentement se dessina sur son visage, tandis que la culpabilité venait teindre en écarlate celui de Nathalyia : nul doute ne subsistait, Obscura les avait surpris en train de parler d'elle. Peu désireuse de laisser entrevoir son propre mal-être, Obscura se mit à les toiser d'un air supérieur pendant quelques instants, se réjouissant de leurs expressions déconfites, puis elle déclara finement :

— Je vous en prie, vous pouvez poursuivre votre discussion, je ne voulais point vous déranger.

Nathalyia fut encore plus prise en dépourvu – ses pommettes étaient bientôt tout aussi écarlates que la moquette de la chambre –, mais Kaze refusa de se laisser déstabiliser plus longtemps :

— Vous tombez à pic, Princesse. Nous étions justement en train de commenter notre arrivée au palais impérial : nous feriez-vous l'honneur de joindre vos réflexions aux nôtres ?

— Je serai effectivement enchantée de connaître votre avis sur l'Empire. Nul doute qu'il s'agit d'une nation puissante et respectable.

— Nul doute, approuva Kaze avec un air calculateur qui insupporta Obscura – définitivement, elle n'appréciait pas le jeune homme qui s'efforçait de se montrer aussi tordu qu'elle. Vous ne m'en tiendrez pas rigueur cependant, si je trouve l'accueil peu chaleureux à mon égard.

— Chaleureux n'est peut-être pas le meilleur terme en ces circonstances, fit finement remarquer la Démone, les lèvres pincées – il était idiot de désigner le pays du Feu comme non chaleureux.

— Votre rigueur linguistique demeure inégalée, Princesse.

Kaze lui adressa un demi-sourire, qui eut le don d'insupporter intérieurement Obscura, qui préféra laisser la parole à la petite timide pour se sortir de cette mauvaise passe :

— Et vous, chère Nathalyia, l'Empire est-il davantage à votre goût ?

La princesse fut prise au dépourvu et elle articula seulement :

— Je ne puis nier la beauté et la grandeur de ce palais...

— Mais l'hospitalité laisse à désirer, ce qui vous déçoit, n'est-ce-pas, Princesse ? acheva Kaze en plantant son regard clair dans celui d'Obscura.

— Je ne pourrais prétendre que ces petites disputes amicales me déplaisent, répondit sournoisement la jeune femme. L'âme de Démone qui somnole en moi ne peut éprouver du déplaisir en voyant ces charmantes querelles qui ponctuent le quotidien de quelques originalités.

— N'est-ce donc que pour leur aspect ludique que vous les appréciez et les encouragez ?

— Qu'insinuez-vous, mon cher prince ? Bien sûr, que c'est pour cette raison, les Démons sont avant tout des êtres joueurs ; un esprit aussi vif que le vôtre, Kaze, me pardonnera sûrement cette différence de culture.

— Bien entendu...

Kaze n'avait rien trouvé à lui répondre et Obscura s'en délecta : elle s'estimait vainqueure de cette joute verbale qui l'avait bien amusée en fin de compte, malgré un début quelque peu chaotique. Même si elle était surprise que Kaze eût abordé aussi frontalement le problème : il avait donc bien compris qu'elle-même avait compris ce qu'il se méfiait d'elle. Obscura sourit face à cette pensée tortueuse ; finalement, le jeune prince d'Ærulya serait plus amusant que prévu, même si ses objectifs étaient tout le contraire des siens. Il ne serait qu'un défi supplémentaire et Obscura avait déjà hâte de le relever.

Un silence tendu, qu'Obscura appréciait fortement, s'était installé entre les trois princes, et ce ne fut que l'ordre sec de Ruby à travers la porte qui rompit cette instabilité :

— Il est l'heure, minable crevette, dépêche-toi.

Le prince laissa échapper un rictus d'énervement face à cet ordre détestable, mais il se reprit rapidement. Cette attitude ne manqua pas à l'œil attentif d'Obscura qui sentit une nouvelle satisfaction l'envahir : malgré son esprit vif, la patience finirait par lui manquer et Obscura pouvait compter sur Ruby pour pousser à bout le jeune homme. Après tout, la future Impératrice était exaspérante pour n'importe quelle personne qu'elle aurait pris en grippe dès le début. Il ne restait plus que, cette fois, l'escargot n'intervienne pas, et laisse faire le destin... Guerres et ravages seraient bientôt au rendez-vous... Et Obscura aurait rempli sa première mission, pour le plus grand bonheur de son père...

— Vous m'excuserez, Princesse, mais je souhaiterais sortir de mes appartements dans lesquels vous avez jugé bon de vous introduire sans permission explicite de la future Impératrice.

Obscura fut désagréablement interrompue dans ses pensées destructrices et elle adressa un regard froid à Kaze qui était planté en face d'elle, les bras croisés, son regard pâle fixant la porte.

— Oh, bien sûr, roucoula Obscura, faisant un effort incommensurable pour ne pas lui fournir une réponse détestable qu'il méritait amplement : Veuillez m'excuser, mon cher prince, pour cette visite impromptue.

Elle le gratifia d'un dernier sourire railleur et fit volte-face pour ouvrir la porte et sortir des appartements du prince. Elle eut la chance d'entendre à ce moment Ruby hurler au travers le mur une insulte de poisson à Myzu pour le convier à sortir, et elle se mordit la lèvre pour éviter de laisser échapper un rire cristallin.

— Oh, Obscura, vous n'étiez plus dans vos appartements ? s'exclama alors Ruby lorsqu'elle découvrit les trois jeunes gens sortir de la chambre de Kaze, avant d'incriminer le propriétaire : Que leur as-tu fait, minable crevette ?!

Elle s'avança d'un pas menaçant en direction de Kaze, Obscura s'écarta pour laisser la future Impératrice passer, mais Nathalyia choisit ce moment pour intervenir :

— Ruby, c'est à Obscura et moi que revient la faute ; nous sommes allées le voir pour simplement discuter. Je te prie de nous excuser pour avoir dérogé à tes ordres.

Ruby s'arrêta, une lueur de déception présente dans ses prunelles ambrées, et elle finit par se reprendre :

— Oh, ma chère Nath, ne t'excuse pas ; tu sais bien que cet ordre ne s'adressait pas à toi. Ni à vous, Obscura.

— Nous ne méritons aucun traitement de faveur, Ruby, j'insiste.

L'interpelée ne releva pas, se contentant de faire volte-face pour se diriger vers la double porte des appartements de l'escargot, et Obscura devait admettre être exaspérée par l'intervention de Nathalyia. Finalement, elle n'était pas aussi réservée qu'elle n'en avait donné l'impression au début, et c'était fort dommageable... Définitivement, Obscura allait devoir redoubler d'attention pour toujours séparer Kaze et Nathalyia afin d'éviter qu'ils s'influencent mutuellement de trop...

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