XVIII - Nathalyia - Patience

La marche vers le palais impérial se déroulait dans un silence pesant, parfois interrompu par les chuchotements de Ruby et la dénommée Tallya qui les avait rejoints, comme annoncé par l'Impératrice. Nathalyia regrettait que le morceau de tissu pourpre passé sur ses yeux ne fût pas un minimum translucide et elle ne cessait de se demander si elle avait bien fait d'accepter toute cette série de visites, étant donné leur début peu prometteur. Certes, elle n'avait pas eu d'autre choix : elle-même pensait au début que c'était une bonne idée, et son cher frère lui avait conseillé de s'y rendre, espérant que cela pût renforcer les relations entre les quatre nations humaines. Mais de toute évidence, ce n'était guère l'intention de la Démone aux yeux violets qui semblait se délecter à chaque fois qu'une dispute éclatait dans leur petit groupe.

Nathalyia espérait qu'ils seraient bientôt un peu plus libres de leurs mouvements, non seulement pour s'éloigner de la Démone, mais aussi pour parler à Kaze. Le souverain d'Ærulya semblait tout aussi, si ce n'était même plus, réticent à l'idée de ces visites et Nathalyia avait besoin d'entendre un autre point de vue. Mais d'un autre côté, elle appréhendait cette discussion car aucune alliance n'existait entre leurs deux peuples. Au contraire, elle était l'alliée de l'Empire, tandis que lui semblait en très bons termes avec la Cité. Et il était inutile de préciser que l'Empire et la Cité se détestaient ouvertement.

— Franchement, nous allons vraiment faire tout le trajet ainsi ?

Nathalyia n'eut aucun mal à identifier l'auteur de cette remarque : Myzu. Qui d'autre de toute façon que le prince belliqueux ? Et la réponse attendue ne tarda pas à se faire entendre :

— Tu peux déjà t'estimer heureux, espèce de cachalot.

Nathalyia ne reconnut pas le timbre de voix de Ruby, si bien qu'elle en déduisit que c'était Tallya qui avait parlé ainsi. Encore une insulte avec un nom de poisson d'ailleurs, ce qui était particulièrement étonnant, surtout envers un membre du peuple de l'Eau....

L'héritière de la Tribu avait vraiment du mal à appréhender le mode de vie de l'Empire... Certes, elle savait que la cité impériale était régie uniquement par des femmes, mais elle ne s'imaginait pas qu'il existât une telle ségrégation. Elle ne parvenait à comprendre comment il était possible d'en arriver à un tel état haineux. Nathalyia était donc plutôt contente que tous, y compris Obscura et elle, fussent obligés d'avoir les yeux bandés, même si cela réduisait à néant l'intérêt de la visite. Elle n'osait s'imaginer la gêne qu'elle aurait ressentie si cela n'avait pas été le cas. Elle était reconnaissante envers l'Ange pour avoir formulé cette requête, même si elle était étonnée qu'il eût pris ainsi la parole. En effet, Célestin avait toujours été très silencieux, restant presque tout le temps en retrait comme plongé dans ses rêves... Sans parler de cet éclat blanchâtre qui était apparu et qui semblait avoir soudainement calmé Myzu ; était-ce Célestin qui l'avait invoqué ainsi ? Nathalyia ne savait plus quoi penser de l'Ange, surtout que la relation plutôt familière qu'il entretenait avec la Démone était bien surprenante... Un Ange et un Démon qui n'étaient pas ouvertement ennemis... cela n'existait plus en ces jours... Même si la Démone était loin d'être sympathique avec l'Ange, surtout avec sa détestable manière de l'appeler « l'escargot ».

Nathalyia secoua la tête pour chasser toutes ces observations, mais son tracas ne passa pas inaperçu car elle entendit quelques instants plus tard la voix de Ruby qui s'était rapprochée d'elle, avant de passer un bras autour de ses épaules, ce qui fit tressaillir la jeune femme :

— Veux-tu que j'enlève ton bandeau, Nath ? Tu sembles soucieuse...

La familiarité avec laquelle Ruby s'adressait à elle la mit particulièrement mal-à-l'aise, et une fois avoir repris ses esprits et réfléchi à la manière adaptée pour lui répondre, l'héritière de la Tribu rétorqua fermement :

— Je ne peux nier que je souhaiterais retirer ce bandeau, mais je mérite nullement un traitement de faveur.

Ruby retira son bras, surprise par cette réponse plutôt sèche, et Nathalyia crut qu'elle avait fait faux bond, mais Ruby finit tout de même par répliquer, toujours de sa voix mielleuse :

— Tu mériterais pourtant un traitement de faveur, étant donné l'alliance de nos deux peuples.

— Une alliance, vraiment ? s'exclama alors la voix d'Obscura, avant d'enchaîner : Il est plaisant d'entendre que les peuples humains se soient enfin réconciliés ! N'est-ce-pas, l'escargot ?

Nathalyia se demanda si Obscura avait fait exprès de répéter l'information à haute voix – nul doute que tous l'avaient entendue à présent – juste pour créer une nouvelle tension, et elle obtint rapidement la réponse :

— J'en ai plus qu'assez de l'Empire et de ses lois stupides !

— Remets ton bandeau, toi ! cracha Tallya sûrement à l'intention de Myzu qui avait parlé ainsi.

Nathalyia s'arrêta net, elle porta ses mains à son bandeau afin de l'enlever, mais elle entendit la voix de Célestin murmurer si bien qu'elle interrompit son geste :

— Ne vous disputez pas... Nous gardons tous les yeux bandés car il est tout à fait compréhensible que l'Empire ne souhaite pas que des étrangers découvre sa cité.

Nathalyia aurait bien voulu savoir si un nouvel éclat blanchâtre était apparu lorsque l'Ange avait prononcé ces paroles, mais le bandeau pourpre était bien trop opaque pour cela. En tout cas, les tensions semblaient s'être de nouveau calmées car plus personne n'osait piper mot. L'attitude de l'Ange était encore une fois surprenante...

— Et si nous reprenions notre route ? finit par suggérer Kaze.

Nathalyia s'en voulut aussitôt pour ne pas avoir proposé elle-même cette idée pourtant logique ; nul doute que Ruby et Tallya l'auraient mieux appréciée.

— Et pour qui tu te prends pour nous donner des ordres, sous-humain ?

— Tais-toi, Tallya.

Nathalyia tressaillit en entendant Ruby rabrouer ainsi son amie, mais elle ne tarda pas à en comprendre la raison :

— Mère veut que nous les conduisions au plus vite au palais impérial. Allons-y.

Nathalyia sentit une main saisir son bras et la forcer à avancer, et elle se contenta d'obéir docilement. Le reste du chemin se déroula sans encombre et Nathalyia sentit une certaine forme de joie l'envahir lorsque l'Impératrice prit la parole pour leur ordonner d'enlever leur bandeau. Nathalyia mit quelques instants à réhabituer ses yeux à la lueur du jour, même si le palais impérial n'était pas le lieu le plus lumineux qu'elle eût jamais connu. Les seules lumières présentes provenaient effectivement de quelques bougies placées dans des lustres en rubis, ce qui leur conférait une lueur vermeille qui se reflétait dans les cristaux. Les murs du château étaient entièrement recouverts d'une tapisserie écarlate avec pour motifs principaux des arabesques noires. Le sol était fait en marbre noir et de nombreuses sculptures métalliques, représentant toutes des femmes, sûrement des guerrières ou les anciennes impératrices, étaient agencées pour délimiter une allée qui menait au trône de l'Impératrice. Un tapis pourpre était installé sous ce dernier, tandis qu'un somptueux étendard sur lequel était brodée l'image d'un Feu s'étendait derrière. Si le style du palais pouvait donner l'impression d'être surchargé, Nathalyia le trouvait original et agréable, bien différent de ce qu'elle connaissait chez elle. Son regard vert fougère ne cessait de se promener tout autour d'elle, passant de sculptures en sculptures, revenant souvent à l'Impératrice, au cas où celle-ci verrait d'un mauvais œil cette contemplation. Mais au contraire, la cheffe de l'Empire, à l'instar de sa fille, semblait se délecter des lueurs intéressées et admiratives dans les regards des jeunes visiteurs – à l'exception près de Myzu qui fixait les statues avec grand dédain, et peut-être Kaze qui les observait de manière tout à fait neutre – et elle leur accorda un long moment de silence, avant de prendre la parole :

— Je vous souhaite la bienvenue dans mon humble palais.

Nathalyia cessa, presque à regret, sa contemplation pour se concentrer sur les paroles de l'Impératrice qui poursuivait :

— Vous le savez déjà, mais je tiens tout de même à me présenter en bonne et due forme. Je suis Vermeille, Impératrice d'Ardhantal, et je vous prierai de vous adresser à moi en tant que « Madame l'Impératrice » comme savent si bien le faire mes concitoyennes. C'est avec la plus grande joie que je vous accueille dans mon palais pour une demi-lune : des appartements ont été spécialement réservés pour vous, mes soldates vous guideront jusqu'à eux. Je vous prierai de rester dans l'enceinte du palais pendant toute la durée du séjour, et plus précisément dans vos appartements tant que ma fille ne sera pas avec vous.

Nathalyia sentit ses épaules retomber en entendant ce dernier ordre. Rester dans ses appartements pendant tout le séjour... ? Voilà qui promettait d'être passionnant... Elle aurait préféré avoir un minimum de liberté, juste pour explorer la ville... Mais elle devait se rendre à l'évidence, c'était bien trop risqué que de laisser circuler cinq princes rivaux librement... Pourquoi fallait-il que de telles tensions entre les nations existent ? Nathalyia ne parvenait toujours pas à comprendre... Même si elle avait elle-même été élevée dans l'unique but de protéger son cher frère des potentielles fourberies ennemies. Tous les peuples sont préparés pour une éventuelle guerre... et l'Empire n'a aucune raison de faire exception à la règle... Nathalyia fut à moitié convaincue par ces pensées peu appréciables.

— Mes soldates s'assureront que vous respecterez à lettre cette dernière recommandation, rajouta l'Impératrice d'un ton sans appel.

Et voilà... une menace... À croire que ce voyage ne risquerait guère d'arranger les tensions... Après tout, si son royaume avait été le premier à être visité... Aurait-elle accepté que les autres princes y circulent librement et ainsi prendre le risque qu'ils découvrent la véritable identité de son frère et l'Écorce Éternelle ? Assurément non. Nathalyia aurait sûrement eu recours aux mêmes méthodes de surveillance avec ses guerriers... mais peut-être aurait-elle amené la chose de façon plus diplomate... Parce que là, Myzu peinait vraiment à contrôler ses émotions ; le jeune prince avait effectivement contracté les poings, les jointures de ses doigts étaient devenues presque branches, et Kaze s'était légèrement rapproché de lui, comme prêt pour le retenir de commettre l'irréparable...

Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top