XVII - Myzu - Orage
En voyant la petite Impératrice disparaître dans la lueur vermeille, Myzu fut pris d'une grande hésitation : était-ce vraiment la meilleure chose à faire ? Se rendre en territoire ennemi... Il aurait mille fois préféré avoir recours à sa force physique en participant au duel proposé par Obscura – nul doute qu'il aurait triomphé sans grande difficulté – ; dommage que l'Ange eût proposé cette alternative moins avantageuse pour lui. Certes, Aquus III lui avait annoncé la veille que ce système de visites était une très bonne opportunité pour emporter cette importante pierre d'Éther ; après tout, la Cité n'était-il pas le meilleur endroit pour vivre et prospérer ? Son père l'avait en revanche alerté quant aux ruses que pourraient lui tendre les sorcières de l'Empire quand il serait dans leur territoire. Ainsi, Aquus III avait-il suggéré à son fils de raffermir ses liens de confiance avec Kaze, et d'en créer avec Nathalyia et l'Ange. Le souverain lui avait déconseillé de se mêler trop à Obscura, prétextant que celle-ci était bien plus roublarde qu'il ne pourrait l'imaginer. Myzu voulait bien le croire sur ce dernier point : la petite Démone avait toujours un sourire perfide d'esquissé en coin sur ses lèvres noires, comme si elle se délectait de n'importe quelle situation.
— Allons-y ! s'exclama joyeusement Célestin à cet instant, coupant Myzu dans sa réflexion sur ses possibles alliances.
L'Ange s'apprêta à se diriger vers le halo flamboyant, mais Obscura le devança et elle disparut à son tour dans le brouillard de feu. Célestin ne tarda pas à subir le même sort et Nathalyia murmura, ses yeux en amande figés sur cette étrange lueur :
— C'est si différent de notre barrière...
Myzu ne pouvait s'empêcher d'approuver ces paroles : la barrière de la Cité de Maryndorg, une fois ouverte, laissait place à un tunnel qui menait à la ville sous-marine, à supposer que celui qui y entrait sût se repérer dans les confins de l'océan. Myzu sentit une certaine forme de mélancolie l'envahir en repensant à sa Cité qu'il ne reverrait pas avant une demi-lune – il voyait encore le visage au bord des larmes d'Ocyann quand il était parti ce matin à l'aube –, mais une pensée plus pressante lui envahit l'esprit à cet instant : il ne pouvait pas laisser les deux juges seuls avec la petite peste. Qui savait ce que cette sorcière planifiait ?
— Allons-y, nous ne pouvons pas laisser la moucheronne s'accorder tout le mérite.
Ni Kaze, ni Nathalyia n'approuvèrent et Myzu retint de justesse un grognement de déception. Sa tentative pour instaurer un lien avec les deux autres dirigeants avait échoué. De toute façon, il avait toujours été piètre parleur ; il préférait grandement l'héroïsme à la capacité de débiter de belles paroles dénuées de sens qui faisait pour certains la grandeur d'un souverain. Quelle ineptie ! En temps de guerre, ce n'étaient pas des mots qui sauvaient un peuple, mais bien des actes de bravoure.
Sans réfléchir davantage, Myzu s'avança vers le halo écarlate qui s'apparentait presque à un brasier regorgeant de petites flammes avec un peu d'imagination, et il sentit des picotements lui parcourir le corps alors que sa vision se troublait. Le prince revint à lui quelques instants plus tard ; non loin d'une grande muraille métallique qui délimitait sûrement les contours de la ville impériale, Célestin, Obscura et Ruby étaient regroupés quelques pas devant lui ; cette dernière parlait activement, Obscura hochait la tête en silence et une expression rêveuse était ancrée sur le visage pâle de Célestin. Myzu se hâta de les rejoindre, Ruby s'interrompit en le voyant arriver, ce qui laissa échapper au jeune homme un sourire de satisfaction. Il avait bien fait d'agir vite : il ne fallait pas laisser cette peste en compagnie des deux juges principaux.
Kaze et Nathalyia ne tardèrent pas à les rejoindre et Ruby reprit alors de son petit ton dominateur qui insupportait au plus haut point Myzu :
— Fort bien. Veuillez me suivre.
Elle passa avec nonchalance sa main dans ses longs cheveux roux pour faire virevolter sa tresse, manière que Myzu abhorrait autant que toutes les autres, puis elle commença à s'éloigner vers la grande porte métallique devant laquelle étaient postées deux soldates, armées chacune d'une lance et d'un bouclier orné de petits rubis. À l'approche de l'Impératrice, les deux gardes raffermirent leur posture, avant de saluer à l'unisson leur cheffe qui ordonna :
— Repos. Je vous prie d'ouvrir la porte.
L'une des deux s'apprêta à obéir, mais la seconde s'étonna, un rictus affreux passant sur son visage :
— Mais, Mademoiselle, sont-ce là des hommes que je vois ?
Myzu sentit son sang se retourner en entendant ces paroles qui étaient manifestement emplies de dégoût, et il vit du coin de l'œil Kaze se crisper légèrement à sa droite. Célestin se contenta d'écarquiller ses grands yeux turquoise, tandis que Nathalyia adressait un regard gêné à Obscura qui l'ignora totalement.
— Effectivement, approuva l'Impératrice. Je prends moi-même la responsabilité de les introduire dans la ville.
— Mademoiselle... et la loi ?
L'Empire était définitivement un peuple de folles... et Myzu tenait difficilement en place ; il brûlait d'envie d'écraser les deux gardes et leur petite cheffe prétentieuse. Franchement, comment les hommes de l'Empire faisaient-ils pour supporter une telle exclusion ?! Son père l'avait prévenu quant à cette discrimination, mais il était loin d'imaginer que ce fût aussi extrême.
— Ma mère est au courant de cette infraction et elle m'a accordé son consentement. Soyez certaines que s'il ne s'agissait pas d'une affaire de la plus haute importance, jamais je ne transgresserais le principe premier de notre peuple.
Le principe premier... voilà qui allait de mieux en mieux ! Les poings de Myzu se contractèrent, mais avant qu'il ne pût assouvir sa soif de destruction, il sentit une main se poser sur son avant-bras. Il jeta un regard étonné à Kaze qui s'était rapproché de lui et le jeune prince lui souffla :
— La violence ne nous mènera nulle part, Myzu.
Ces paroles, et surtout le fait que Kaze et lui aient créé une nouvelle forme de lien, l'apaisèrent quelque peu et le prince belliqueux desserra ses doigts.
— Mademoiselle, je ne peux commettre une telle trahison, persista la soldate, une lueur farouche ancrée dans ses prunelles ocre.
— Je vous prie, ne me forcez pas à commettre une seconde infraction, répliqua Ruby, en se postant face à la garde qui la dépassait de deux têtes – pourtant la peste était montée sur de hauts talons aiguilles. En tant que future Impératrice, je vous ordonne d'ouvrir ses portes et laisser passer ces deux jeunes hommes, qui, je vous l'assure, resteront sous ma surveillance assidue.
La soldate ne bougea pas d'un pouce, tenant tête à la petite Ruby qui de toute évidence n'avait aucune autorité, et elle lâcha simplement :
— Dans tous les cas, je commettrai une infraction. Je ferai en sorte qu'elle soit conforme à mes convictions.
Ce fut à cet instant que la grille s'ouvrit lentement, Myzu crut voir passer les yeux d'Obscura une lueur de désappointement – comme si la Démone se réjouissait de la situation – et apparut devant eux une grande femme vêtue d'une longue robe en fourrure écarlate qui traînait par terre. Ses cheveux étaient coiffés de manière fort complexe et une couronne chargée de multiples rubis était déposée sur sa tête, reflétant très certainement son statut d'Impératrice. Statut qui se confirma l'instant d'après, lorsque les deux soldates et Ruby posèrent un genou sur le sol, déclarant de façon fort solennelle :
— Madame l'Impératrice.
— Relevez-vous, ordonna la dame, en faisant un geste de la main.
Les trois femmes obéirent immédiatement et l'Impératrice poursuivit :
— Je confirme les propos de ma fille. La situation l'exigeant, je me vois dans l'obligation de laisser entrer ces deux jeunes hommes dans notre ville, mais soyez sans crainte, ils auront les yeux bandés sur la route menant au palais.
Ce fut la goutte de trop et Myzu s'insurgea, en avançant d'un pas vers l'Impératrice :
— Comment ?! Mais qu'est-ce que vous avez pour être aussi folles ?!
— Tais-toi, tête de murène ! cingla Ruby en lui adressant l'un de ses habituels regards noirs.
— Ma chère fille, ne t'abaisse à te préoccuper de cette sous-espèce, souffla l'Impératrice, en tendant la main vers Ruby pour la poser sur son épaule.
— Cette SOUS-ESPÈCE ?!
Myzu se rua, de manière très irréfléchie comme à chaque fois que la colère l'envahissait, vers l'Impératrice, mais il n'eut le temps de l'atteindre car un rayon de lumière fendit l'air et frappa le sol sablonneux entre le belliqueux et sa proie. Des paroles étranges et incompréhensibles résonnaient en arrière-plan alors que Myzu sentait une grande confusion l'envahir ; il s'arrêta sur place et sa fureur retomba immédiatement.
— Calmez-vous... murmura Célestin, les mains jointes devant lui, les yeux clos.
L'Ange rouvrit ses paupières, un sourire innocent s'érigea sur son visage alors qu'Obscura le dévisageait avec une certaine crainte, et il souffla de sa petite voix enfantine :
— Madame l'Impératrice, nous vous remercions pour votre hospitalité. Mais je ne puis accepter que certains de nos compagnons soient traités différemment, ainsi je vous demanderai de bander mes yeux également.
— Célestine ! s'exclama Ruby, en se précipitant vers l'Ange, avant de passer un bras autour de ses épaules. Cette mesure ne peut valoir pour toi... Tu es l'une de nos juges principaux et tu es une fille...
Célestin sembla tout perdu face à cette déclaration – il y avait de quoi perdre la tête avec l'Empire après tout –, mais Obscura intervint, se plaçant entre l'Ange et Ruby, la forçant à le lâcher :
— Non, l'escargot a raison. Nous sommes tous les cinq juges pour votre nation, Ruby, alors nous subirons tous les cinq le même traitement.
La petite arrogante parut surprise, presque peinée par cette déclaration, et Myzu s'en délecta. Il adressa un sourire victorieux à Kaze pour partager avec lui sa joie, mais le prince semblait particulièrement perplexe ; il observait attentivement Obscura avec suspicion si bien que Myzu se désintéressa de lui pour se concentrer sur Nathalyia, espérant qu'elle ne serait pas aussi stupide que Ruby. La jeune fille réservée se contenta d'approuver d'un geste de la tête les paroles d'Obscura, et l'Impératrice n'eut d'autre choix que de déclarer :
— Fort bien, si telle est votre volonté à toutes.
Myzu se crispa à nouveau face à ces mots, mais parvint à se retenir de sauter à la gorge de l'Impératrice, qui poursuivit, en tendant aux gardes une longue bande de ruban pourpre :
— Soldates, bandez-leur les yeux. Quant à toi, ma chère fille, je te confie la garde de ces visiteurs ; Tallya devrait te rejoindre sous peu pour les escorter. Tu me retrouveras au palais.
L'Impératrice fit volte-face sur ces paroles, les trois femmes de l'Empire s'agenouillèrent respectueusement, puis se relevèrent. La garde qui avait tant contesté les ordres de Ruby finit par concéder :
— Mademoiselle, je n'opposerai pas à la décision de Madame l'Impératrice. Même si je ne peux m'empêcher de craindre le pire en voyant deux scélérats de leur espèce pénétrer dans notre harmonieuse cité.
Seul le contact de Kaze qui avait reposé sa main sur son avant-bras empêcha Myzu de commettre l'irréparable en étripant la soldate détestable. La sentinelle déchira alors en cinq la bande de tissu confiée par l'Impératrice, avant d'en tendre deux morceaux à sa collègue. Myzu dut se forcer à inspirer et expirer calmement pour contenir ses pauvres nerfs mis à rude épreuve, lorsque la guerrière passa le ruban sur ses yeux pour le nouer, et il regretta presque de ne pas posséder le calme remarquable de Kaze qui parvenait sans difficultés à contenir sa frustration.
***
Coucou mes chers lecteurs !
Et voilà donc la première visite qui commence ; quelles sont vos hypothèses sur le déroulé de celle dans l'Empire ?
Déjà hâte de quitter ce pays comme Myzu le souhaiterait tant ? 😉
Je vous dis à dimanche pour la suite des aventures, avec le point de vue de Nathalyia pour changer un peu ! 😁
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