XIX - Kaze - Tourbillon
Kaze bouillonnait intérieurement à la suite du discours de l'Impératrice, du voyage, bref tout ce qu'ils avaient dû subir depuis leur arrivée dans l'Empire. Mais le roi parvenait encore à refouler sa rage – de toute façon, il le fallait – mais craignait vraiment que Myzu n'éclate. Ce dernier avait toutes les peines du monde à se contrôler, n'importe qui l'aurait remarqué, et Kaze était presque sûr que Ruby se délectait de ce comportement. Comme si elle voulait qu'il succombe à la colère. Comme si elle voulait qu'il lui fournît une raison de l'abattre. Après tout, ils étaient en territoire ennemi... Sans surprise, Obscura semblait plutôt heureuse de la situation, ce qui ne manquait pas d'exaspérer un peu plus Kaze. Nul doute ne subsistait quant aux intentions de la Démone : elle voulait créer un conflit entre les quatre peuples humains. Et le pire c'était qu'elle ne s'en cachait même pas... Ruby et Myzu étaient juste trop stupides et imbus d'eux-mêmes pour le comprendre... Nathalyia le percevait peut-être, mais en tout cas, elle ne faisait pas grand-chose pour rétablir la situation... Kaze aurait bien aimé qu'elle se montrât un peu plus active afin de savoir à qui il avait réellement affaire sous cette apparence réservée et muette.
Heureusement que l'Ange était là... même si Kaze avait du mal à le cerner, puisqu'il restait la plupart du temps perdu dans ses pensées, il ne pouvait nier que c'était bien lui qui les avait sortis des deux premières situations de conflits... d'ailleurs, c'était même lui qui avait proposé les visites au lieu du combat. Au grand dam d'Obscura sûrement. Le pouvoir apaisant de l'Ange ne faisait sans aucun doute pas partie du plan initial de la petite Démone. Mais combien de temps cette situation instable allait-elle tenir... ? Kaze aurait nettement préféré que la visite commence par le Domaine : déjà, il se serait senti en sécurité. Et il aurait fait en sorte que les tensions s'apaisent en créant une ambiance bien plus conviviale que celle proposée par l'Impératrice. Franchement, rester cloitré ici pendant une demi-lune ? Était-ce vraiment ainsi qu'elle espérait gagner des votes ? Une chose était déjà sûre : Kaze ne voterait pas pour l'Empire. Myzu non plus, il n'y avait aucun doute sur ce fait. Quant à Célestin, Kaze avait du mal à voir pourquoi l'Ange qui détestait tant les conflits choisirait une telle nation, malgré la volonté de Ruby de choyer l'Ange... et de le traiter comme une fille, ce qui ne cessait de surprendre, voire dégoûter, Kaze...
— Veuillez suivre mes soldates.
Kaze mit fin à son flux de pensées en entendant l'Impératrice, surtout lorsqu'il sentit que Myzu s'était encore plus raidi.
— Ses soldates... ses soldates... je commence à en avoir vraiment...
Kaze posa sa main sur son épaule, avec toute la douceur dont il pouvait faire preuve malgré son propre énervement, et les mots de Myzu se perdirent dans le vide même si les os de ses doigts craquèrent davantage. Trois guerrières armées se dirigèrent vers Myzu et lui, et le prince n'aurait même pas été surpris si elles les avaient menacés pour les forcer à avancer. Heureusement, elles ne le firent pas ce qui permit à Myzu de ne pas éclater tout de suite, et Kaze incita doucement le jeune homme à suivre Ruby. La future Impératrice les guida à travers quelques couloirs particulièrement spacieux, les conduisant au sous-sol du palais – tout de même, il ne fallait pas s'attendre à recevoir les meilleurs appartements –, puis Ruby s'arrêta à l'entrée d'un couloir dont le sol était recouvert de l'habituel tapis pourpre :
— Vos appartements sont ici. Je vous prie de vous y installer. Je reviendrai vous voir pour le repas du midi puis nous pourrons officiellement commencer la visite. Et bien sûr, pour le bien de toutes, et le vôtre aussi, Myzu et Kaze, vous êtes priés de rester dans vos appartements et de n'en sortir sous aucun prétexte tant que vous n'aurez pas obtenu mon autorisation.
— Même si le palais prend feu ? cracha Myzu. Car après tout, ça ne serait pas si surprenant dans une telle fournaise !
— Tais-toi, cachalot.
Ruby n'attendit pas un instant supplémentaire, elle fit volte-face et s'éloigna, les laissant seuls avec ses gardiennes.
— Ce lieu est charmant, claironna Obscura.
Définitivement, Kaze détestait la petite Démone qui prenait grand plaisir à lancer des altercations. Heureusement, Myzu était trop préoccupé à regarder avec grand mépris Ruby s'éloigner pour se soucier des paroles d'Obscura.
— Allons découvrir nos appartements !
Nathalyia avait prononcé ces dernières paroles avec un enthousiasme que Kaze devinait aisément faux. De toute évidence, la princesse de la forêt était tout aussi tendue que lui mais elle s'efforçait de ne rien laisser paraître. Définitivement, Kaze avait bien envie de lui parler pour tenter de lui faire comprendre son point de vue, surtout ses doutes au sujet d'Obscura. Mais ce ne serait guère aisé puisqu'il devait rester confiné jusqu'à nouvel ordre.
Nathalyia s'était dirigée vers l'une des portes, elle l'ouvrit et pénétra à l'intérieur de la pièce. Célestin l'imita l'instant qui suivit, et Kaze tapota doucement l'épaule de Myzu pour l'inciter à en faire de même. Le jeune homme émit un râle guttural mais il se dirigea tout de même vers la porte la plus proche, sous la surveillance assidue de deux des gardes. Il claqua la porte derrière lui tout en marmonnant des paroles incompréhensibles, qu'il valait sûrement mieux ne pas ouïr, et Kaze sentit une certaine forme de soulagement l'envahir. Constatant qu'Obscura était également sur le point de pénétrer dans sa chambre, Kaze se dirigea vers l'entrée d'un autre appartement, suivi par la dernière soldate. Il ouvrit la double porte d'entrée et pénétra dans la vaste chambre aux murs recouverts de la même tapisserie que la salle du trône. La porte de ses appartements se referma vivement derrière lui – sûrement était-ce la soldate qui l'avait fait – et Kaze poussa un soupir de soulagement. Soulagement d'être enfin débarrassé de toute cette tension... pour quelque temps, il n'aurait plus à surveiller Ruby, Myzu et Obscura.
L'héritier du Domaine se dirigea vers le grand lit à baldaquin – un tel lit digne d'une princesse devait sûrement ravir Myzu – et il s'affala dessus sans se soucier de sa forme. Il ferma les yeux et se força à respirer lentement pour évacuer sa frustration. Il se mit à imaginer les vents d'Ærulya qui soufflaient contre lui, il se voyait voler en compagnie de sa petite sœur... Et irrémédiablement son cœur se serra... Dire qu'Airy lui manquait déjà... Et le fait que leur dernière discussion se fût terminée dans un froid le hantait encore plus... certes, Airy l'avait énervé en contestant sans cesse ses ordres à son retour de la plaine d'Equities, mais une part de lui regrettait d'avoir été aussi froid avec elle... Tout comme il regrettait grandement d'être parti ce matin sans même la saluer, juste parce qu'il avait eu peur d'une nouvelle altercation... Kaze poussa un soupir, ce qui provoqua un courant d'air dans la chambre, faisant valser les rideaux pourpres tombant autour du lit. Il avait hâte de retourner au Domaine... rien que pour s'expliquer avec Airy. Dans une Lune et demie il y serait... À supposer bien sûr qu'il survécût à cette première visite déjà atroce... Cette pensée était peu réconfortante...
Coupant court à sa réflexion, Kaze entendit quelqu'un frapper à sa porte. Déjà ? Était-il déjà l'heure du repas du midi ? Non, le prince rejeta cette hypothèse : les gardes ou Ruby l'auraient insulté en lui demandant de sortir de sa chambre, et n'auraient sûrement pas pris la peine de toquer poliment. L'héritier se releva et quand il ouvrit la porte, il eut l'agréable surprise de découvrir Nathalyia. Fort étonnant d'ailleurs qu'elle eût osé transgressé les règles imposées par l'Empire...
La jeune femme abordait une expression hésitante, et Kaze lui adressa immédiatement un sourire sympathique, ce qui la mit plus à l'aise. Le jeune homme l'invita silencieusement à entrer dans ses appartements, et une fois que la porte fût refermée, il s'enquit :
— Que vouliez-vous, Princesse ?
— Je... je suis navrée de vous déranger, Messire...
— Ne vous excusez pas, corrigea sympathiquement Kaze. Je souhaitais également vous parler.
— Vraiment ?
Les yeux en amande de la princesse de la Tribu s'étaient chargés d'une lueur d'étonnement, mais elle demeura silencieuse, si bien que Kaze commença, sans trop en dévoiler sur ses propres pensées afin d'avoir l'avis de Nathalyia le moins biaisé possible :
— J'ai un mauvais pressentiment sur toutes ces visites...
— Vous n'êtes pas le seul, Messire... Toute cette tension tout à l'heure m'a vraiment mise mal-à-l'aise...
— Je ne puis qu'approuver vos propos, Princesse. J'ai de plus la désagréable impression que ces visites n'ont guère pour but de renforcer le lien entre nos peuples, même si je trouve cela fort dommageable.
— Le prince Célestin semble pourtant très enclin à maintenir la bonne humeur entre nous... hasarda Nathalyia, coupant pourtant sa phrase, si bien que Kaze la compléta :
— Mais cela n'est guère le cas pour la princesse Démone.
Nathalyia voulut répondre – elle semblait un peu sur la réserve face à la dernière affirmation de Kaze formulée assez sèchement –, mais à ce moment la porte des appartements de Kaze s'ouvrit à la volée pour laisser place à... Obscura... Heureusement qu'il y a ordre de couvre-feu... Kaze sentit ses poings se contracter en croisant le regard plus que calculateur de la Démone... De toute évidence, elle avait compris qu'il ne lui faisait pas confiance et elle n'avait pas envie que cet avis se répande plus loin...
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