XII - Célestin - Angélisation

Célestin pénétra dans la salle du trône, située en plein cœur du palais du Royaume des Cieux, et comme à chaque fois que l'Ange aux yeux turquoise s'y rendait, il fut émerveillé par la beauté sans pareille du lieu. Illuminée par une lumière crue que le prince affectionnait beaucoup, la somptueuse pièce – aux murs, sol et plafond faits en diamant réfléchissant de toutes parts cet éclat lumineux – aurait enchanté n'importe quel Ange et détruit n'importe quel Démon. Bénédict et Angélique, roi et reine des Anges, étaient tous deux assis sur leur trône surmonté par rapport au reste de la pièce, un escalier de quelques marches surélevant cet endroit royal. Le premier tenait dans sa main un grand sceptre albâtre surmonté d'un énième diamant, tandis qu'une prestigieuse couronne ornait leur chevelure dorée. Ils se ressemblaient physiquement beaucoup, comme la plupart des Anges d'ailleurs dont la beauté surnaturelle était commune à toutes et tous, et n'importe quel œil inexpérimenté – Humain ou Démon – aurait eu bien du mal à les différencier.

Les deux souverains esquissèrent un sourire en voyant leur enfant entrer dans la salle du trône, d'autant plus qu'il s'exclamait avec une joie évidente :

— Papa, Maman ! Je suis content de vous voir !

— Nous aussi, mon ange, souffla Bénédict, d'une voix douce dénuée de toute once de virilité.

— Que donne ta mission, mon ange ? s'empressa de quémander Angélique, qui ne semblait guère avoir le cœur aux longues retrouvailles alors qu'à peine un jour s'était écoulé depuis le départ de Célestin du Royaume des Cieux.

L'expression de Célestin se renfrogna légèrement, sentant la tension qui émanait de sa mère, et il s'empressa de la rassurer :

— Tout va très bien, Maman. Obscura a renoncé à ses plans belliqueux.

Angélique releva un sourcil, comme si elle croyait peu les dires de son fils, mais Célestin, dans son innocente candeur, ne comprit bien entendu pas ce signe. Il se contenta d'ajouter, son habituel sourire enfantin figé sur ses lèvres légèrement rosées :

— Elle escomptait donner, au meilleur du meilleur des peuples Humains, un fragment d'Éther, et...

— COMMENT ?!

Angélique s'était soudainement relevée, perdant toute contenance, et Célestin dévisagea sa mère d'un air effrayé ; son habituelle douceur avait été remplacée par toute une foule d'émotions que l'Ange aux yeux turquoise était bien en peine d'analyser. Puis, la reine des Anges se rassit promptement, revêtit à nouveau son masque de bienveillance qui plaisait tant à son fils, et elle demanda d'un ton tout à fait calculateur :

— Une pierre d'Éther, dis-tu... Il est fort intéressant que les Démons soient prêts à en céder une à l'un des peuples Humains... Mon chéri – Angélique daigna à peine accorder un regard à son époux à qui elle s'adressait pourtant –, veux-tu bien prendre en note ces informations ?

Bénédict s'empressa d'approuver, même si cette simple nouvelle plutôt inoubliable n'avait guère besoin d'être prise en note, mais Angélique aimait distribuer des ordres à tous ceux qui l'entouraient. Le roi posa alors son sceptre contre le bord de son trône puis se leva pour atteindre une table en cristal sur laquelle se trouvaient une fine tablette en marbre, quelques feuilles de papyrus ainsi qu'un encrier où reposait une plume dorée. Tandis qu'il s'emparait du matériel nécessaire pour noter les informations quémandées par son épouse, celle-ci poursuivit de son ton impérieux :

— Je te prie de continuer, mon ange.

— Obscura souhaitait organiser un combat entre les quatre héritiers présents pour savoir lequel serait le plus digne de l'emporter, mais je m'y suis opposé.

Angélique ne sembla pas surprise par l'acte de son fils – après tout, la meilleure personne veillait constamment sur lui sans qu'il n'en ait conscience, si bien qu'il n'était guère surprenant qu'il agisse aussi sagement –, mais elle ne manqua pas de le féliciter d'un ton mielleux. Puis il reprit son annonce, tout content que sa mère fût fière de lui, lui expliquant son idée de visites. Angélique fut enchantée par cette déclaration et elle souffla, ses yeux dorés brillant de la même lueur calculatrice :

— Cela nous fera donc gagner deux Lunes, avant le déchaînement de force des Démons, puisque je doute que cette petite princesse se montre très belliqueuse en terrain ennemi...

Angélique continua de murmurer pour elle-même quelques phrases que Célestin ne parvint à entendre, puis elle reprit intelligiblement à l'intention de son époux :

— Entends-tu cela, mon chéri ? Tu as encore deux Lunes pour trouver les deux derniers fragments d'Éther. Quant à toi, mon ange, je souhaite que tu récupères celui de ton amie Démone – Angélique ne put retenir un rictus de dégoût en prononçant ces paroles – à l'issue des visites. Nous les possèderons tous ainsi...

Le visage d'Angélique était devenu rêveur, pensant sûrement à la renaissance d'Elementia comme elle l'avait si souvent contée à Célestin, mais Bénédict la coupa dans ses songes :

— Mon amour, les Démons en possèdent un autre également...

La reine des Anges perdit sa bienveillance et elle répliqua sèchement, en fixant son regard doré dans celui soumis de son mari :

— Je me charge personnellement de celui-ci.

Sans en ajouter davantage – de toute façon, la confiance aveugle que lui vouaient Bénédict et Célestin la dispensait de fournir plus de précisions –, Angélique se retourna vers son fils et décréta :

— Bien, mon ange. Tu peux disposer, je te remercie.

— Oui, Maman !

Célestin la gratifia d'un sourire innocent, salua avec le même entrain son père, puis quitta la salle du trône.

Il arpentait lentement les prestigieux couloirs albâtres du palais céleste, montant parfois quelques escaliers translucides en cristal, afin de se rendre dans sa chambre située presqu'au sommet du palais, lorsqu'il se heurta au détour d'un croisement à une silhouette encapuchonnée. Surpris, Célestin laissa échapper un petit cri, tandis que l'inconnu se retournait brusquement vers lui, ne prononçant pas la moindre parole.

Lorsqu'il découvrit son visage brun foncé parsemé de quelques tâches albâtres bien caractéristiques, Célestin la reconnut et il esquissa un grand sourire à son intention. Il attrapa délicatement la fine capuche blanche aux coutures dorées qui dissimulait son front, puis la fit tomber en arrière, dévoilant les cheveux courts entremêlés de la jeune fille. D'un noir franc inexistant chez les Anges malgré quelques mèches teintées en blanc, ses cheveux étaient séparés par deux moignons de cornes coupées, afin qu'elles fussent les plus invisibles possible. Malgré cela, la jeune fille aux grands yeux roses revêtait souvent cette capuche pour dissimuler ses origines démoniaques, bien que sa couleur de peau foncée, sans compter ses deux belles ailes gris clair accrochées dans son dos, trahît ses origines.

Cendrya était effectivement une Démone, abandonnée par ses pairs à la naissance, et qu'Angélique, dans toute sa bonté d'Ange, avait recueillie et élevée comme sa propre fille. La reine des Anges avait tout tenté pour lui conférer une apparence plus angélique, notamment en teintant ses cheveux, éclaircissant sa peau, ses ailes et ses yeux – qui tiraient sur le violet foncé à l'origine –, coupant ses cornes de Démons, mais la jeune fille était toujours très reconnaissable. Célestin savait qu'elle souffrait beaucoup de ces différences, sans compter qu'Angélique veillait à maintenir son existence la plus discrète possible, et le jeune prince passait beaucoup de temps en sa compagnie pour la réconforter. Il appréciait grandement la Démone, qui, en plus de sa tare d'origine, possédait l'irrémédiable défaut d'être sourde et muette ; ainsi, avaient-ils inventé tous deux un moyen de communiquer à travers d'étranges signes qu'eux seuls comprenaient – Angélique n'ayant jamais trouvé le temps pour s'y intéresser.

Célestin commença à effectuer quelques signes pour prendre des nouvelles de son amie, mais celle-ci interrompit son geste en saisissant vivement ses mains. Elle secoua la tête de droite à gauche et l'Ange comprit immédiatement que quelque chose tracassait la jeune fille. Cendrya finit par le lâcher, elle remit sur sa courte chevelure sa capuche albe, ce qui déplut à Célestin qui détestait que son amie se cachât ainsi, puis elle effectua une série de gestes vifs. Bien qu'ils fussent particulièrement rapides, Célestin était le seul à pouvoir les décrypter et il comprit la raison de l'anxiété de la Démone.

— Angélique a reçu de la visite ce matin, et pas n'importe quelle visite ; celle d'une Démone. J'ignore ce qu'elles se sont dit, j'ignore qui la Démone est, elle avait l'air d'être de haut rang social cependant avec ses vêtements luxueux, mais ce qui est sûr, c'est qu'il s'agissait bel et bien d'un Démon, son odeur fétide la trahissait. Son apparence aussi, bien sûr.

Cendrya, en raison de sa double cécité, possédait un odorat particulièrement développé et était capable de reconnaître n'importe qui rien qu'à son parfum.

— Elles ont longuement échangé, toutes les deux seulement, elles semblaient essayer de trouver un accord, car à la fin, elles se sont serré la main. Cet échange atroce d'odeurs... fétidité et fragrance...

Cendrya fronça les sourcils, dégoûtée par ce souvenir qu'elle seule était capable de percevoir ainsi, et Célestin posa doucement sa main pâle sur son bras pour la rassurer.

— Puis la Démone est partie... Je crains qu'Angélique ou son interlocutrice m'aient repérée... Célestin, je t'assure, je ne voulais pas les espionner, j'étais juste là au mauvais moment et je ne voulais pas apparaître devant la Démone pour quitter la pièce. Célestin, que dois-je faire ?! Je t'en prie, ne me dénonce pas à ta mère, elle me châtierait ! Aide-moi ! Pas une nouvelle séance de teinture ! Ou de décoloration ! Ou de coupe ! Ou encore...

Les gestes de Cendrya étaient de plus en plus désordonnés, ses doigts ne parvenant à suivre le flot tumultueux de ses pensées, et Célestin l'interrompit en posant ses fines mains de part et d'autre de son visage basané. Il ancra ses yeux turquoise dans ceux rosés de la jeune fille qui se calma légèrement. Après quelques longs instants – afin d'être sûr que Cendrya ne reprenne pas sa crise d'angoisse –, Célestin retira ses mains et commença à communiquer lentement avec elle :

— Ne t'inquiète pas, Maman n'est pas au courant, elle m'en aurait parlé sinon, je le sais. Et puis, elle t'aime, elle ferait tout pour ton bien, alors ne crains rien...

Célestin croyait fermement à ces paroles et ses gestes assurés eurent l'effet bénéfique de calmer la Démone angélisée. Si Cendrya n'appréciait pas naturellement Angélique, elle vouait en revanche une confiance aveugle en Célestin, qui lui-même aurait confié chaque instant de sa vie aux mains expertes de la reine des Anges...

***

Merci encore mille fois pour être arrivés à la fin de ce chapitre ; j'espère qu'il vous a plu ! 😊
J'ai personnellement beaucoup aimé introduire le personnage de Cendrya ; que pensez-vous d'elle d'ailleurs ?

Je vous dis à jeudi prochain, pour un chapitre très important, qui sera narré par Obscura !

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