V - Nathalyia - Huterryll

Protéger Son Altesse,
Telle est ma promesse,
La tâche qui m'incombe,
Jusqu'à la tombe.
Je serai son bouclier,
Je ne pourrai pas l'oublier,
À jamais son armure,
Car lui seul est notre futur.
Donner pour lui ma vie,
Il en va de notre survie,
J'y suis déterminée,
Cela est ma destinée.

À l'issue de ce serment qu'elle se récitait chaque jour, Nathalyia ouvrit ses yeux en amande de couleur vert fougère ; plus résolue que jamais, elle quitta la petite maison en bois dans laquelle elle vivait lorsqu'elle n'était pas dans le temple érigé en plein cœur de la forêt d'Huterryll, auprès de l'Écorce Éternelle. Marchant pieds nus sur le chemin en terre recouvert d'un doux tapis de mousse et de feuilles en décomposition, sa longue robe verte traînant lâchement dans la poussière sablonneuse, Nathalyia savourait ce contact avec la nature qui apaisait chaque parcelle de son être. Elle finit par arriver au lieu sacré construit en rondins de bois qui prenait appui sur l'Écorce Éternelle, un chêne immense, né en même temps que la Tribu, dont l'enveloppe refermait le pouvoir du peuple de la Terre. Lorsqu'elle y pénétra, son commandant en chef, Yhrn, la salua avec respect, tout en s'inclinant :

— Dame Nathalyia. La future Impératrice d'Ardhantal est arrivée et vous attend dans la salle du trône.

Elle acquiesça en silence sans lui accorder un regard, geste qu'elle regrettait au fond d'elle, étant donné toute l'affection qu'elle éprouvait pour lui, mais la présence de la future Impératrice ne lui autorisait guère cette œillade complice. Nathalyia se dirigea vers la jeune femme à la longue tresse rousse qui l'attendait au centre du temple : vêtue d'une combinaison rouge moulante chargée de prestigieux anneaux métalliques noirs et de bottines cuivrées à hauts talons, elle détonnait totalement avec le charme du lieu sacré. Nathalyia ne put s'empêcher de ressentir un pincement au cœur en voyant une telle intruse en ce havre qui n'était rien d'autre qu'un hymne à la nature, mais elle s'efforça de refouler ce premier sentiment. Même si elle l'aurait ardemment souhaité, elle ne pouvait exiger que chaque visiteur s'habille sobrement, à la façon des Huterrylliens. Les deux jeunes femmes s'inclinèrent respectueusement et Nathalyia s'enquit sur un ton impassible :

— Que souhaitez-vous, Madame ?

L'interpellée émit un petit rire – Nathalyia ne laissa cependant pas paraître la moindre émotion, même si l'irritation la gagnait face à un tel comportement surjoué – avant de déclarer d'un ton mielleux :

— Allons, Nathalyia, pas autant de formalités entre nous. Il n'y a aucune raison pour que nous instaurions une telle hiérarchie ; appelez-moi Ruby, ce sera plus simple.

— Si vous le souhaitez, Ruby. Quel est le motif de votre venue ici ?

— Je suis venue en quête d'une alliance avec votre peuple : vous avez très certainement reçu l'invitation de la part des Démons – Nathalyia approuva d'un geste de la tête, sachant parfaitement que dans seulement une demi-lune, elle devrait se rendre à la plaine d'Equities en tant que représentante de son peuple, même si cela ne l'enchantait guère – et je crains que les tensions entre les peuples Humains ne s'attisent à la suite des rencontres entre les différents dirigeants.

Nathalyia comprit aisément que Ruby pensait aux peuples de l'Eau et du Vent, nations toutes deux dirigées par des hommes – fait tout à fait bénin, mais qui suffisait à l'Empire pour les prendre en haine –, mais elle s'abstint de relever. L'Empire n'était guère la nation à qui on voulait chercher des noises. D'ailleurs, Nathalyia préférait grandement la paix et le silence à toutes ces tensions, et elle aurait mille fois préféré ne pas s'en préoccuper. Mais en tant que représentante de la Tribu d'Huterryll, elle n'avait pas le choix : elle devait s'y confronter.

— Qu'en dites-vous, Nathalyia ?

— Je suis fort honorée par une telle proposition que j'accepte sans outre mesure. Il m'a d'ailleurs toujours semblé évident que nos nations soient en bons termes en raison de leurs cultures similaires.

Si Ruby ne saisit pas exactement la référence, Nathalyia, elle, savait parfaitement à quoi elle faisait allusion : avant l'Ère des Quatre Héros, les peuples du Feu et la Terre étaient tous les deux sous la bénédiction des Démons, ce qui les rendaient indéniablement plus proches. Mais étonnamment, beaucoup d'Humains ignoraient les anciens temps, ou, du moins, les oubliaient volontairement, préférant considérer que l'histoire débutait à partir de l'Ère des Quatre Héros. En revanche, Nathalyia avait toujours jugé bon de connaître l'intégralité de l'histoire d'Elementia, au lieu de rester aveuglée par les récents récits, perception qui était également partagée par les Anges et les Démons – dont l'existence remontait certes à plus longtemps.

— J'espère cependant que vos appréhensions ne se réaliseront pas, ajouta Nathalyia. Le calme de la paix est amplement préférable.

— Bien sûr, nous sommes toutes de cet avis, mais il faut toujours se préparer à l'inévitable.

Nathalyia s'abstint de remarquer que si tous souhaitaient la paix comme Ruby le laissait entendre, il n'y aurait jamais de guerre, ce qui n'était absolument pas le cas. Elle était affligée par ce triste constat, ce qui n'était pas du tout le cas de Ruby ; de toute façon, elle était bien le genre de personne à déclencher une guerre sans se soucier des dommages profonds. Nathalyia détestait cette prise en étau à laquelle elle était confrontée : elle ne voulait point s'attirer les foudres de l'Empire en refusant l'alliance, mais elle craignait d'être entraînée dans un conflit qui ne la concernait guère en l'acceptant. La jeune princesse se surprit à jeter un coup d'œil en direction de la porte d'entrée du temple, derrière laquelle se trouvait Yhrn ; elle aurait tant souhaité lui en parler encore une fois... Certes, tous deux en avaient discuté la veille, en apprenant l'arrivée de Ruby, et ils en avaient conclu que signer la potentielle alliance était la meilleure chose à faire... mais à quel prix... ?

— Nathalyia, vous semblez absente... fit la voix aiguë de Ruby, tirant la princesse de ses sombres pensées.

Nathalyia découvrit alors que la future Impératrice lui tendait un collier en perles nacrées, elle lui adressa un regard surpris, et Ruby déclara :

— Je vous ai ramené un cadeau en gage de notre alliance. Comme vous le voyez, il s'agit d'un collier de perles de nacre, l'une des richesses de notre peuple.

— Je ne puis accepter, déclina immédiatement Nathalyia, je n'ai rien de prestigieux à vous offrir en retour.

— Je n'ai besoin de rien, ma chère Nathalyia, répliqua simplement Ruby. Une offrande n'en demande pas une autre en échange.

— La politesse l'exige pourtant.

— J'insiste.

Nathalyia n'avait guère le choix, si bien qu'elle rétorqua :

— Fort bien. Je vous remercie.

Ruby lui tendit le bijou que l'héritière saisit délicatement. Un léger picotement l'envahit au contact du collier qu'elle attacha soigneusement autour de son cou, recouvert de tatouages représentant diverses feuilles, à l'instar de son visage – seul son œil gauche n'était pas entouré par ces beaux dessins, lui conférant un physique sans pareil. Ruby parut heureuse face à ce geste et elle s'enquit :

— Et si nous nous rendions ensemble à l'invitation d'Obscura ?

— Tenez-vous vraiment à montrer ouvertement notre alliance, Ruby ? releva Nathalyia.

— L'intimidation est le meilleur moyen d'éviter les conflits.

Cette fois encore, Nathalyia ne partageait pas son point de vue, mais elle s'abstint de le faire remarquer et elle se contenta d'accepter la proposition de Ruby. Elle n'avait de toute façon pour d'autre choix si elle voulait tenir sa promesse. La promesse qui la liait à son frère de cœur depuis sa naissance : elle devait le protéger à tout prix car l'avenir de la Tribu d'Huterryll dépendait de lui uniquement. Nathalyia, elle, n'était que la façade pour le monde extérieur, comme cela avait toujours été le cas pour le peuple de la Terre : un héritier officieux, une façade officielle. Et cette façade illusoire apparaissait de plus en plus nécessaire dans les temps actuels...

***

Et voici donc le dernier peuple Humain, j'espère que son introduction vous a plu ! J'espère aussi que ce n'est pas trop déstabilisant de suivre plusieurs histoires en parallèle, même si elles commencent déjà un peu à s'entrecouper !

À dimanche, pour la présentation du dernier peuple tant attendu (ou pas 😉) : les Anges ! 😇

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