IV - Myzu - Maryndorg
Un léger bruit se fit entendre au loin, mais ce fut suffisant pour attirer l'attention du requin blanc qui vira vers la gauche. Fendant l'eau de ses majestueuses nageoires, il se rua vers un immense récif de coraux – le plus grand qu'il y eût dans la cité sous-marine de Maryndorg – où était dissimulée sa proie. Guère surprenant, elle allait toujours ici. Il finit par la trouver : une peau bleu-grise tachetée sur le dessus et d'un blanc pur en dessous, une royale allure élancée avec ses deux amples nageoires céphaliques, et une large tête où luisaient sur ses côtés deux pupilles bleu marine ; une magnifique raie Manta. Sentant la satisfaction l'envahir, le requin fondit sur sa proie et au moment où il l'atteignait, un rayon bleuté enveloppa les deux créatures aquatiques.
L'instant d'après, ils avaient tous deux disparu pour laisser place à un jeune homme aux courts cheveux gris cendrés aux reflets azur et à une jeune fille aux yeux bleu marine pétillants de joie. Communiquant par ultrasons comme tous les Maryndores en avaient l'usage sous l'eau, la jeune fille s'exclama gaiement, alors que son frère l'enlaçait en faisant mine de la dévorer :
— Myzu, tu m'as encore trouvée !
— Facile, ma petite raie, j'entends le moindre bruit. Je suis imbattable à ce jeu.
— J'avais pourtant demandé à Marina de faire du bruit ailleurs pour te leurrer...
— Il ne faut jamais avouer ses stratégies, ma chère Ocyann, remarqua Myzu en souriant. Je le saurai pour la prochaine fois.
— Tant pis, je trouverai autre chose ! répliqua Ocyann en esquissant l'un de ses habituels sourires rayonnants.
Le frère et la sœur n'eurent le temps d'échanger davantage car arriva à cet instant un dauphin entouré de deux orques, tous les trois drapés de l'uniforme de la garde royale. Un éclat bleuté les envahit, ils reprirent leur apparence humaine, révélant un homme d'une quarantaine d'années – chef de l'escouade identifiable par la bannière bleue et noire qui traversait son habit de haut en bas –, encadré de deux jeunes gens, visiblement ses apprentis.
Chaque habitant de la Cité avait la capacité de se métamorphoser en une unique créature marine, représentative de son statut social. Les traits majestueux du requin et de la raie Manta, suprêmes animaux pour le peuple de l'Eau, étaient propres à la famille royale, les gènes se transmettant de génération en génération, tandis que ceux du dauphin et de l'orque signifiaient l'appartenance à la garde de la Cité. Les dauphins étaient des messagers hors pairs, alors que leurs comparses plus agressives étaient spécialisées dans l'art du combat. Malgré leurs différences, il n'était pas surprenant qu'un dauphin ou une orque vétéran soit chargé d'une partie de l'instruction de jeunes de l'autre espèce, les deux étant souvent contraints à faire équipe dans une même patrouille. Bien entendu, des centaines d'autres espèces fourmillaient dans la cité sous-marine, lui conférant une diversité sans pareille, dont Myzu était particulièrement fier.
Chaque habitant se voyait conférer héréditairement une espèce de métamorphose, qu'il conservait jusqu'à l'issue de son service guerrier, l'année obligatoire de ses quinze ans pendant laquelle chacun était formé par l'armée de la Cité à la défendre, en prenant notamment part aux patrouilles quotidiennes aux côtés des vétérans. À son terme, le jeune était officiellement habitant de Maryndorg et, au cours de cette cérémonie, il avait la possibilité de se rendre au Flot de l'Horizon, source sacrée située dans les paisibles souterrains du palais royal, afin de lui demander un changement de classe. Ces échanges se faisaient cependant rares, chacun semblant apprécier ce que la nature leur avait conféré. Comme Myzu se plaisait souvent à le penser, les nés poissons rouges n'allaient pas se transformer du jour au lendemain en de féroces orques.
— Votre Altesse, vous êtes demandé au palais par votre très honoré Père, déclara solennellement le chef de l'escouade.
Myzu fronça ses épais sourcils gris-bleu, surpris par une telle convocation, et il répondit tout aussi formellement, comme son statut l'imposait :
— Fort bien, j'arrive.
Il se retourna vers sa sœur qui l'observait de ses grands yeux admiratifs et lâcha à son intention :
— Nous reprendrons un autre jour, ma petite raie. Réfléchis à ta tactique en attendant.
Myzu prit congé de la jeune fille aux longs cheveux bleu clair ondulés et des trois gardes, et, se retransformant en requin sous les regards admiratifs des deux apprentis orques, il se rendit rapidement au palais royal, situé en plein cœur de la Cité. Il atteignit la salle du trône où son père l'attendait : Aquus III était un homme d'un certain âge déjà mais toujours en pleine forme physique, et il possédait, à l'instar de son fils, la capacité de se métamorphoser en requin. Myzu s'inclina avec respect face à son père puis déclara :
— Père, vous m'avez demandé.
— Effectivement, Myzu. J'irai droit au but ; j'ai reçu de la part d'Obscura, héritière des Démons, une invitation à me rendre dans à peine une Lune à la plaine d'Equities. Les dirigeants des autres nations humaines seront également présents, s'ils acceptent l'invitation de la princesse, et je pense que tu devrais y aller à ma place : tu représentes le futur de notre peuple et puisque c'est Obscura et non Tenebrohr Septième qui invite, j'ai jugé bon que tu t'y rendes.
— Vos désirs sont des ordres, Père, répliqua simplement Myzu, même si son visage s'était renfermé à la suite de cette annonce.
Une invitation de la part des Démons était plus que suspecte et il était surprenant que son père, d'ordinaire si avisé, ne manifeste pas davantage d'inquiétude.
— Je perçois ton trouble, Myzu, finit par déclarer Aquus III couvant son fils d'un regard bienveillant, et sache que je l'ai partagé. Nous ne portons guère les Démons dans notre cœur, mais après un long moment de réflexion, j'ai jugé préférable de répondre présent, afin de ne pas offenser la princesse et de ne pas renvoyer une image pleutre de notre peuple.
Cela faisait sens effectivement. Si les trois autres nations humaines étaient conviées, ne pas s'y rendre serait considéré comme un acte de faiblesse intolérable. Sans compter que décliner l'invitation aurait à coup sûr offusqué la famille royale des Démons, ce qui était bien entendu à éviter.
— Ainsi, ai-je fait appel aux Anges, poursuivit calmement le souverain. Je leur ai envoyé un messager pour les informer de la situation ; je suis convaincu que la noble Angélique saura intervenir si nécessaire.
Une certaine forme de soulagement s'empara de Myzu : tant mieux, si les Anges avaient été mis au courant, eux seuls étaient capables de fournir un véritable contrepoids si les Démons venaient à répandre leur venin. D'autant plus que les Anges et le peuple de l'Eau avaient toujours été en de très bons termes, sans compter qu'Aquus III était proche d'Angélique, souveraine de la nation lumineuse, l'invitant souvent dans la Cité.
— Je sais que tu représenteras dignement le peuple de Maryndorg lors de cette réunion et je suis persuadé que ce sera un excellent entraînement pour ta formation de futur souverain. D'autant plus que Kaze sera présent puisque ses parents ont rendu l'âme : je suis convaincu que ce sera une très bonne occasion pour tisser des liens avec lui afin de perpétuer l'alliance militaire que j'avais avec son défunt père.
Myzu approuva en silence, tandis qu'une lueur attristée passait brièvement dans le regard obscur de son père. Le prince savait qu'Aquus III regrettait grandement le trépas soudain des anciens souverains du Domaine, avec lesquels il avait noué de forts liens : depuis, presque aucune nouvelle ne leur était parvenue d'Ærulya, si bien que Myzu comprenait la nécessité de renouveler leur alliance. Soucieux cependant qu'une autre raison plus préoccupante anime la décision de son père, le prince s'enquit :
— La menace de l'Empire se fait-elle de plus en plus présente, Père ?
Aquus III étouffa un léger soupir, ce qui ne fit que confirmer les craintes de son fils, et il daigna répondre :
— Nous ne pouvons guère nous permettre d'ignorer ces sorcières, d'autant plus que leur territoire est voisin au nôtre.
Myzu ne le savait que trop bien ; il avait effectivement coordonné les patrouilles quotidiennes à la frontière du territoire incandescent pendant un an, lors de son service dans l'armée. Si les rondes près du territoire du Vent, leur second voisin, étaient peu fréquentes, il était en revanche nécessaire de surveiller de près les agissements des soldates de l'Empire d'Ardhantal ; il n'était pas rare de les voir tenter de transgresser les limites. Mais elles n'allaient jamais bien loin, les vaillantes orques de la Cité y veillaient.
— Avez-vous repéré des mouvements inhabituels de leur part, Père ? s'informa Myzu.
— Les infractions se font seulement de plus en plus fréquentes et j'aimerais leur faire comprendre définitivement qu'elles n'ont aucune chance contre nous. Lors de cette réunion à la plaine d'Equities, tu seras très certainement confronté à l'Impératrice en personne, ou peut-être sa fille. Je compte sur toi pour lui montrer que nous sommes toujours aussi puissants : l'intimidation est un atout important.
— Je sais, Père, vous me l'avez maintes fois répété.
Aquus III esquissa un sourire bienveillant à l'égard du prince et il souffla :
— Je suis fier de toi, mon fils... Je sais que tu seras mon digne successeur le jour où je partirai.
— Ne dites pas cela, Père, se hâta de réfuter Myzu, guère satisfait des insinuations de son père, qui se faisaient cependant récurrentes ces derniers temps. Vous êtes en parfaite santé et vous serez souverain encore longtemps.
Un regard amusé passa dans les prunelles grises du souverain de Maryndorg et il répliqua avec prévenance :
— Je saurai prendre ma retraite au moment voulu, mon fils, n'aie crainte. Je ne te laisserai pas assumer seul la dure tâche qui t'incombera un jour, tant que je ne te jugerai pas prêt pour cela. Comme Maryndorg le Téméraire le disait souvent à ses fils : un grand pouvoir va de pair avec de grandes responsabilités.
***
Et voici la troisième nation humaine d'introduite ; il n'en restera plus qu'une seule, au prochain chapitre. Comment trouvez-vous le peuple aquatique ? Personnellement, j'ai bien aimé écrire les mœurs de la Cité et j'espère que cela vous a plu également ! 😊
Merci infiniment pour votre soutien et vos nombreux retours qui m'aident beaucoup à enrichir mon texte 💞
Je vous donne rendez-vous jeudi pour la suite 😉, bon dimanche !
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