II - Kaze - Ærulya
— Votre Altesse, une lettre pour vous.
Le jeune homme, aux cheveux bruns mi-longs et ébouriffés, releva ses yeux d'un bleu très clair vers le garde qui l'avait interpelé et qui lui tendait une enveloppe noire ornée d'un sceau violet.
— La princesse des Démons m'a chargé de vous la remettre.
— Vraiment ? La princesse des Démons ? s'étonna Kaze, en relevant un sourcil comme intrigué, tout en se saisissant de l'enveloppe.
Il était fort étonnant que l'héritière légitime du peuple des Démons lui écrive en personne, surtout à peine quelques mois après sa nomination en tant que seigneur du Domaine d'Ærulya, territoire de l'un des quatre peuples d'Humains qui remplissaient la terre d'Elementia, protecteur de l'Élément du Vent. Alors que Kaze venait tout juste d'atteindre l'âge adulte, ses parents avaient succombé à une étrange maladie dont on ne savait toujours rien, et il s'était retrouvé subitement dirigeant du Domaine, héritant au passage du pouvoir sacré du Vent qui se transmettait de génération en génération depuis la nuit des temps.
Peut-être la princesse du Royaume d'Outre-tombe lui écrivait-elle pour lui adresser ses condoléances quant à la perte de ses parents et pour lui souhaiter une bonne chance dans son nouveau devoir. Mais Kaze refoula rapidement cette hypothèse : jamais un Démon n'aurait fait preuve d'empathie, encore moins l'héritière au trône que les rumeurs dépeignaient comme toute aussi cruelle que Tenebrohr Septième, son père. Non, le motif était sans doute sournois et piégeur, puisque tous estimaient sûrement que Kaze, en raison de son jeune âge, était incapable de gouverner avec sagesse.
Refusant de se perdre plus longtemps en hypothèses concernant le contenu de cette lettre, Kaze remercia le garde, quiquitta la salle du trône de l'humble sculpté au sommet de la plus haute desfalaises qui constituaient Ærulya, avant d'ouvrir soigneusement l'enveloppe. Il découvrit alors un court message de seulement quelques lignes, écrit en petites lettres violettes, et Kaze le parcourut rapidement :
« Au Souverain du Domaine d'Ærulya.
« Je vous convie lorsque le Soleil sera à son zénith, le 24 Lune d'Eternalia à la plaine d'Equities. J'ai une offre à vous faire, à vous ainsi qu'aux autres dirigeants Humains.
« Signé : Obscura, Princesse d'Outre-tombe.
Kaze n'avait pas besoin d'être très expérimenté ou très sage pour immédiatement comprendre qu'il y avait anguille sous roche. Enfin, il s'agissait plutôt de grosse baleine sous petit caillou, à ce stade. Mais avait-il le choix ? Pouvait-il refuser une invitation qui venait de l'héritière des Démons, alors qu'aucune agressivité n'y était explicite ? Ce serait vu comme une offense, voire comme un geste d'hostilité, surtout que cette Obscura avait veillé à livrer cette lettre elle-même. Il n'avait donc guère le choix, à son grand dam.
Le 24 Lune d'Eternalia : c'était dans à peine une Lune... De toute évidence, l'offre de la princesse était urgente et lui tenait à cœur. Et cela ne pouvait rien présager de bon ; ses défunts parents l'avaient souvent averti quant au caractère roublard des Démons, mais malheureusement, ils ne lui avaient jamais véritablement prodigué des conseils pour déjouer ces mesquineries après les avoir détectées.
Tant pis, il improviserait au moment venu ; de toute façon, les autres dirigeants Humains étaient également convoqués. Il ne serait pas le seul dérouté et, au cas où la réunion dégénérait, il aurait toujours le pouvoir du Vent à ses côtés ; Kaze pourrait toujours s'enfuir si la situation l'exigeait.
Le prince expira lentement, s'assit en tailleur sur le socle en pierre qui lui servait de trône comme il avait l'habitude de le faire pour se détendre, ferma à moitié ses paupières et joignit ses mains, avant d'écouter les murmures du Vent. Ils étaient toujours porteurs de bons conseils, Kaze le savait depuis qu'il était né. Il lui suffisait d'attendre et d'écouter...
Encore fallait-il qu'il n'y eût aucun bruit environnant, car à peine avait-il commencé à entrer en communion avec le Vent qu'une voix féminine bien familière se fit entendre à l'entrée de son palais :
— Hé, grand frère, tu sais quoi ?! J'ai réussi à faire une triple voltige dans les airs et mon prof a dit que je suis l'une des meilleurs élèves qu'il a jamais eus ! Je suis trop contente !
— Oui, d'accord, Airy, c'est bien, fit Kaze, ravalant difficilement sa frustration.
Pourquoi fallait-il toujours que sa sœur, de six ans sa cadette, l'interrompe lors de sa méditation ?
— Je sens d'ici ton enthousiasme, râla Airy en croisant ses bras sur sa longue robe légère d'un orange très pâle, avant de demander sèchement : Qu'est-ce qui te préoccupe encore ?
— Encore ? Je suis simplement le souverain d'Ærulya, ce n'est rien, aucune responsabilité, cingla Kaze, en figeant son regard bleu clair dans celui un peu plus foncé de sa sœur.
Depuis la mort de leurs parents, Airy se comportait de façon encore plus excentrique qu'auparavant et ne l'aidait nullement dans sa lourde tâche, ce qu'il ne pouvait s'empêcher de lui reprocher. Certes, elle n'avait que seize ans, elle était encore une enfant, mais Kaze aurait souhaité qu'elle se montrât un minimum mature – à la rigueur moins perturbatrice.
— Arrête de faire comme si tu étais le seul à souffrir de la mort de Papa et Maman ! riposta Airy en lui rendant sans difficulté son regard foudroyant.
— C'est faux, je sais que tous en souffrent énormément ! J'aimerais simplement que tu te montres un peu plus responsable et que tu arrêtes de te comporter comme une enfant pourrie-gâtée.
— Être souverain ne te donne aucunement le droit de me traiter ainsi. Tu dois être humble et à l'écoute de tes sujets, c'est ce que Papa et Maman nous ont toujours appris ; et je suis l'une de tes sujets.
— Je sais, Airy, articula distinctement Kaze, à la fois pour se calmer et pour faire partir sa sœur. Je t'ai écoutée, je t'ai dit que ta performance était remarquable, je suis très content pour toi. Maintenant, veux-tu bien me laisser ?
— Non. Pas tant que tu ne m'auras pas expliqué pourquoi tu es tracassé. Je suis là pour toi aussi, au cas où tu l'aies oublié. Je partage le même sang que toi, tes pouvoirs sont aussi les miens. Alors parle.
Kaze poussa un soupir. Il savait qu'il était injuste avec sa petite sœur : elle avait bon cœur, elle faisait tout pour paraître forte et enthousiaste malgré la peine qui la rongeait intérieurement. Et lui... lui, il se montrait sans cesse désagréable avec elle... Peut-être parce qu'elle lui rappelait trop sa mère... Oui, mère et fille se ressemblaient en tout point, aussi physiquement que mentalement... Penser à l'une comme à l'autre n'engendrait ainsi que souffrance...
— Grand frère ?
Le ton d'Airy était redevenu chaleureux, comme à chaque fois qu'elle l'appelait ainsi ; sa colère lui était passée, aussi rapidement qu'elle lui était venue. Tout comme celle de Kaze d'ailleurs. Et le jeune prince se résigna à tout lui raconter. Car de toute façon, elle était la seule qui lui restait...
***
Et voilà le deuxième chapitre de l'histoire de publié ; j'espère qu'il vous a plu !
J'ai prévu d'alterner sur chaque chapitre le point de vue entre les différents protagonistes (on ne peut se fier à la seule version des Démons 😅) ; j'espère que cela vous plaira ! D'ailleurs, qu'avez-vous pensé de Kaze ? 😊
Je tiens également à vous remercier chaleureusement pour votre soutien et tous les commentaires encourageants que vous avez écrits sur les chapitres précédents, j'ai énormément de chance d'avoir des lecteurs aussi dévoués que vous ! 💞
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