Victoire

De tous les combats que j'ai été amenée à faire celui-là était le plus éprouvant.
J'étais enfin arrivée à destination après tout ce chemin parcouru pour le trouver, ce trésor espéré.

Entourée par la tribu gardienne du trésor, les Masqués, je ne pus réprimer un mouvement de crainte.

J'avais refusé l'aiguille du repos qu'ils m'avaient proposée.
Je voulais faire face à la douleur tout en la redoutant.

Seul mon plus fidèle coéquipier était présent.
Sa main calleuse et lézardée de cicatrices pressait la mienne avec force.
Le sourire malicieux qu'il arborait si bien en temps normal s'était évaporé pour laisser place à des lèvres pincées qui trahissaient son inquiétude.

« Tu es sûre que tu ne veux pas l'aiguille ? »

« Non, avais-je alors croassé, la sueur perlant sur mon front. »

« ... »

« Ne me regarde pas, comme çaaaaAAAAAAAAAHHHHHHHHHHH !! »

Une chose semblait m'étirer avec force au plus profond de ma chair.
Perdant de la voix, je sentais ma mâchoire se crisper.

Une des Sages de la tribu s'avança pour me dévisager.

« Ca a commencé, lança-t-elle à ses compagnons. »

Dès lors, les masqués bataillèrent.
Plusieurs d'entre eux avaient entrepris d'éloigner mon allié qui hurlait à plein poumon.

« NON, NON !!! JE NE VEUX PAS LA LAISSER SEULE !!! ROUUUUUSSE !!! ROUUUUSSE !!! LAISSEZ-MOI AVEC ELLE !!! »

« Allons, soyez raisonnable, c'est la dernière étape et il faut qu'elle soit seule. »

« ROUSSE !!! »

« Elle va se débrouiller sans vous, ne vous en faites pas. »

« DamiieeeEEEEENNNNN, criai-je en subissant un nouveau tiraillement »

« VOUS NE POUVEZ PAS M'EMPÊCHER D'ÊTRE AVEC ELLE !!! ELLE EST EN TRAIN DE M'APPELER AUPRES D'ELLE POUR L'AIDER, VOUS L'ENTENDEZ ??!! »

« Je vous en prie, calmez-vous. Plus vous resterez ici, plus vous nous dérangerez, plus son combat se rallongera, et plus les chances de perdre votre trésor, voire elle-même, augmenteront. »

Damien fixa longuement des yeux le Masqué qui avait prononcé ces paroles.

Poussant finalement un long soupir, il me regarda longuement.

« DamIEEEEN, poussai-je à nouveau, désespérée »

« Rousse, écoute-moi, fit-il alors, en bousculant quelques Masqués avant de s'agenouiller. Quand je vais franchir cette frontière, il ne restera plus qu'eux, toi, et ta souffrance. Je serai de l'autre côté, je t'entendrai toujours crier, hurler de douleur. Je serai à un mur de toi. Et je ne cesserai pas de te soutenir de loin. J'imaginerai ta main, aux longs doigts et aux ongles mal coupés, pour la prendre et l'embrasser à chaque coup que tu subiras. Je ne négligerai aucun de tes maux, je ne t'abandonnerai pas. Tu te souviens : on est une équipe. Et quoiqu'il en coûte, ce sera toi et moi contre le monde. Même si l'on est séparé par la distance. »

Il posa ses lèvres sur mon front pâle et tiré, avant de me lancer un sourire déterminé.

« Tu vas réussir ma Rousse. »

« Da... MIEN, hoquetai-je »

« Oui ? »

« Fais pas chier en jouant au héros ; d'habitude, c'est moi qui dois te secourir à chaque fois que tu te mets inutilement en danger, grommelai-je finalement, la voix basse »

« Qui aime bien, châtie bien, ma douce, déclara-t-il en clignant de l'œil »

« Pars ... avant que ... je ne réussisse... à t'assommer ... en m'associant avec un des Masqués qui veut te mettre à la porte, m'essoufflai-je. »

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« C'est vraiment ce qui s'est passé lorsque je suis née, Maman ?

- Non, ça c'est parce que ton père fait l'idiot en interrompant l'histoire.

Lorsqu'il a su qu'il devait me laisser, il m'a dit « Je t'aime, je te promets que je ne t'abandonne pas », en m'embrassant le front, avant d'être poussé vers la sortie par une armée de Masqués.»

- Rousse, arrête de me décrédibiliser devant la petite !

- Ca veut dire quoi dé-cré-du-bli-ser, papa ?

- C'est quand maman exagère les faits et ne mets pas en avant ce que j'ai accompli héroïquement pour elle.

- Damien, si tu appelles héroïque le fait d'embrasser une main imaginaire à chacun de mes cris, dans une salle d'attente, entouré d'une multitude de personnes, il faut qu'on revoie la définition du mot ensemble.

- Tu vois, décrédibiliser, c'est ce que maman a dit à l'instant. Et ça me rend très malheureux, déclara Damien en contrefaisant sa voix pour imiter des sanglots.

- Oh pauvre choupinet d'amour ! Tiens, il a besoin d'un bon gros câlin, tu m'aides à lui en faire un ? demanda Rousse à l'adresse de sa fille. »

Damien poussa un cri de douleur suraigu. Il sentait à présent tout le poids de sa femme peser sur lui.

- OUIIIIII, TOUS SUR PAPAAAAAAAAA ! déclara la petite fille en se jetant sur son père, enserrant le cou de ce dernier entre ses deux bras.

- Rousse, chuchota-t-il à l'adresse de sa femme. Je te hais. Pour toutes les mauvaises idées que tu donnes à notre fille.

- Moi aussi je t'aime, mon chéri, susurra-t-elle, le sourire aux lèvres avant de se relever. Bon, on va laisser papa respirer un peu, tu veux bien ?

- Il aime pas les câlins, papa ? demanda la petite en restant collée à son père.

- Si si, répondit Damien d'une voix étouffée, mais trop d'amour me submerge.

- Ca veut dire quoi sud-merger ?

- Ca veut dire qu'on doit le laisser respirer, sinon il ne pourra plus nous faire de câlins, déclara Rousse en détachant son mari des bras de sa fille.

- Merci, chuchota Damien en massant son cou, encore un peu sonné.

- Sinon c'est quoiiiiii la suite de l'histoire ?

- Ah, tu veux savoir LA suite de l'histoire, fit Rousse avec un air mystérieux.

- La TRES BELLE suite de l'histoire, ajouta Damien en prenant sa femme par les épaules.

- Celle où papa a pleuré tout en reniflant dans son mouchoir ? demanda Rousse d'un air taquin.

- Ma fille, n'écoute pas cette vilaine dame.

- Nooooooon, rit la petite fille en sautillant, moi ce que je veux c'est quand moi j'étais dans les bras de maman, après la tribu des Masqués.

- Ah, ce fameux moment !! sourit Damien. »

Rousse échangea un air entendu avec son mari. Tandis que la petite fille escaladait les genoux de son père pour mieux entendre le récit qui allait suivre, Rousse toussota, préparant sa voix pour conter la suite de son récit.

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Enfin, le combat s'était achevé.

Des perles de sueur ruisselaient sur mon visage, mes vêtements se collaient à ma peau.
Epuisée par tant d'efforts, je ne pus m'empêcher de sourire en voyant la Sage des Masqués s'approcher de moi pour me remettre entre les mains un petit paquet enveloppé d'un drap.

« Félicitations, c'est une fille me dit-elle avec un grand sourire. 

- Merci »

Elle me remit alors entre mes mains un drap qui recouvrait ce que Damien et moi avions désiré le plus.

De cette enveloppe apparaissait deux petits yeux noirs grands ouverts qui semblait vouloir embrasser le monde par un seul regard.

Une petite quenotte émergea de cette rivière de tissus et s'agita doucement comme pour balayer le vide. 

Le cri de ce petit être qui avait envahi la pièce dès sa mise au monde semblait s'être éteint pour laisser place à un silence qui interrogeait l'univers.

Et tandis que j'observais ce petit trésor que mes bras soutenaient, Damien entra à pas de loup comme s'il voulait ne pas troubler ce moment.

Les yeux emplis de larme, il s'approcha de mes cheveux ébouriffés et y cacha ses lèvres le temps d'un instant.

« Et dire que c'est nous qui avons fait ça, murmura-t-il en ravalant ses larmes.

-Elle est belle hein ?

- Oui... C'est notre victoire à nous.

- Si on l'appelait comme ça ?

- Qui ?

- La petite ?

- Victoire ?

- Oui ? »

Damien dévisagea avec le plus grand sérieux sa fille, comme si elle détenait la réponse au plus profond d'elle-même.

Relevant les yeux vers sa femme, il esquissa un sourire en hochant la tête.

C'était leur bataille. Et leur victoire. 

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