Préface- Monologue: Je ne sais pas parler
Décor : Il ne doit y avoir aucune séparation entre le public et l'acteur (aucune fosse, ...).
AUTEUR s'avance intimidé. Il regarde autour de lui. Respire un grand coup. Et se lance.
Information d'importance capitale : l'acteur doit être naturel, lui-même, tout au long de son discours, le ton doit être non-récitatif. L'acteur doit être le personnage.
AUTEUR : Vous savez, moi je ne sais pas parler. Il y a bien longtemps que j'ai arrêté d'essayer de parler avec les bonnes phrases, les bons mots. Mes phrases s'embrouillent, mes mots sont tordus. Donc, quand les autres parlent, je me tais. Je la ferme... Exception faite pour cet instant précis. Je parle par le biais de mots pré-pensés, pré-mâchés. C'est facile de répéter quelque chose que vous avez laissé mijoter auparavant. C'est comme écrire. Ecrire, c'est affiner quelque chose de brute, au fur et à mesure, pas après pas.
Mais, moi je ne sais pas parler. Parler c'est réussir à présenter un bloc affiné, sans que personne n'ait besoin de repasser après vous pour vous dire : « Ce n'est pas le bon mot. Tu n'aurais pas dû dire ça ». Parler, c'est être clair, c'est être l'eau de source même, limpide et pure. On ne parle plus quand on s'embrouille, quand les mots s'emmêlent : c'est une phrase silencieuse, quelque chose qu'on entend mais pas les autres.
Je ne sais pas parler ... Mes mots sont lourds. Parfois lourds de maladresse, ou lourds d'émotion. Ils explosent en même temps que mon cœur. Je ne les contrôle pas. Je ne suis pas un magicien, je ne suis pas un sage. Je ne suis pas le Créateur des mots. Ne m'admirez pas. Je suis un homme. Un homme aux diverses faiblesses. Dont les mots.
Je ne sais pas parler... Imaginez-vous un instant. Un instant. Vous avez dit quelque chose à cette personne. Cette personne, elle se retrouve meurtrie par votre faute. Vous vous rendez compte que les mots peuvent blesser. Que vous ne savez pas les maîtriser.
Vous savez, parfois, je rêve de vivre dans un placard. Vous savez, ces tout petits placards dont tout le monde oublie l'existence. Je crois que j'aimerais vivre dedans. Avec peut-être quelques petits choux. Des carottes. C'est bon les carottes. De concombres arrosés de poire. Le tout saupoudré de maïs salé. Puis des livres aussi. Enfin, tout ça pour dire que j'aimerai vivre dedans. Parce que je ne sais pas parler au monde. C'est drôle hein ?
Oui, Monsieur, oui, Madame, riez de ces invraisemblances. L'écrivain qui a voulu s'isoler du monde se retrouve aujourd'hui en plein dedans. L'écrivain qui écrit au monde ne sait pas lui parler. Mais vous oubliez que je suis tout autant paradoxal que vous. J'ai pleuré de rire face à l'absurde. J'ai ri en pleurant face au réel.
Non, je ne sais pas parler. L'écrivain, c'est avant tout un homme.
L'écrivain, c'est un bègue qui s'adresse à un borgne, le lecteur.
L'écrivain, c'est le frère du lecteur.
L'AUTEUR reste debout sur scène pendant quelques minutes. Puis se retourne et sort.
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