Chapitre 1 - Calliste 1/2
Les pas déterminés de Calliste résonnaient dans les couloirs du palais. Elle avançait vers son destin, flanquée de son garde et de ses instructeurs. Digne, la princesse ne laissait rien paraître de la tempête qui faisait rage dans son esprit. Aurait-elle laissé sa gorge se serrer, ses poings se fermer ou son regard glisser vers ses amis, que ses genoux l'auraient lâchée. Et il lui était hors de question de céder maintenant à ses émotions. Certainement pas si proche de l'issue.
Quinze ans qu'elle arpentait ces boyaux de marbre chaque semaine pour rendre des comptes à son père, à l'assemblée de ses gouverneurs. Quinze ans que ses maîtres successifs louaient ses compétences. Quinze ans qu'elle luttait pour faire comprendre qu'être née femme n'était pas un motif suffisant pour l'écarter de la succession. Quinze ans qu'elle se démenait pour survivre. Alors, elle ravala sa colère, balaya son anxiété et progressa dans les allées immaculées, impériale.
Ses compagnons lui faisaient honneur, même s'ils n'oubliaient pas les enjeux de cet ultime rapport. Dans quelques minutes, ils s'adresseraient à l'empereur pour la dernière fois et le sort de Calliste serait tiré. Une chance sur deux. C'était mieux que rien et c'était tout ce à quoi elle pouvait, comme eux, se raccrocher. Elle déglutit et chassa la moindre de ses pensées fatalistes.
Garmond Onfroi, son précepteur depuis sa plus tendre enfance, semblait, lui, s'être perdu dans les siennes. Son défaitisme s'affichait sur son visage émacié, mais aussi sur le costume noir qu'il arborait, comme s'il portait déjà son deuil. Tout, de son humour caustique, l'avait quitté. Calliste devinait que derrière son silence et la distance qu'il mettait entre eux, qu'il ne se préparait ni à louer son travail ni son intelligence. Non, cette semaine, il dicterait son épitaphe. Et bien que cette idée lui fendait le cœur, elle ne pouvait la laisser l'emporter.
La main de Thorian effleura ses doigts, comme s'il avait lu dans sa tête et qu'il voulait la rassurer par sa présence. Calliste ferma les yeux et se réfugia dans la douceur de cette brève caresse. Le jeune maître d'armes était le plus récent membre de leur petit groupe. Fils du général des armées de l'empereur, il avait été appointé à son service deux ans plus tôt. Deux ans pendant lesquels il avait, en secret, réchauffé son lit après chaque leçon. Seul Emeric, qui fermait la marche, était au courant de leur relation.
Emeric... Elle se demanda ce qu'il adviendrait de lui si elle devait mourir. Il n'avait ni famille ni fortune pour le soutenir. Son ascension était le fruit de leur longue amitié et elle n'avait rien à lui laisser. Vingt ans déjà qu'il avait porté seul la responsabilité de leur larcin commun dans les cuisines et assumé la terrible fessée qui avait servi de punition. Jamais il n'avait voulu admettre qu'elle n'aurait pas été frappée pour quelques biscuits. Mais depuis ce jour, ils étaient inséparables et partageaient quotidiennement leurs gâteaux secs préférés. Si le tirage devait mal se passer, sa priorité serait d'organiser la fuite de son ami.
Encore quelques enjambées et les portes laquées tant craintes se dressèrent devant eux. Alors qu'elle soupirait, les gardes annoncèrent :
— Calliste Valdorion, Maître Garmond Onfroi et Maître Thorian Volombre.
Elle pénétra dans la salle du trône, peut-être pour la dernière fois, suivie de ses instructeurs et de son fidèle garde.
La pièce, grandiose, s'ouvrait sur le siège des princes de Novia. Un moment qui racontait comment les valeureux Valdorion avaient exterminé les dragons. Les rayons du soleil matinal en soulignaient les sculptures marmoréennes et formaient comme un halo de lumière, une couronne de flammes, autour de l'homme qui l'occupait, Hélior Valdorion, l'empereur de Novia, l'homme qui régnait sur tout Eosel, son père.
Sur le pourtour de la salle, l'assemblée des gouverneurs l'observait et murmurait. En contrebas et à la droite de son père, son frère jumeau, Maximilien et sa suite étaient déjà présents. Son dernier rapport avait été entendu la veille. Le prince lui adressa un demi-rictus mauvais de sa moitié de face non paralysée. Son regard, plus violent encore, lui témoignait de l'impatience, non de l'excitation. Le sang de Calliste ne fit qu'un tour, mais elle résista à sa colère et lui envoya un clin d'œil moqueur. Le grognement qu'elle entendit alors qu'elle se penchait pour saluer l'empereur la ravit. Son sourire ne dura qu'un instant et quand son père lui fit signe de se relever, elle était de nouveau stoïque.
La princesse s'écarta pour laisser Garmond et Thorian passer et s'agenouiller à leur tour. Puis ses maîtres et amis débutèrent leur rapport. L'archiviste commença :
— Son Altesse la princesse Calliste m'a encore une fois impressionné. Ses connaissances en matière d'histoire, de géographie, de philosophie ont dépassé mes attentes. Elle a su résoudre tous les problèmes mathématiques que je lui ai présentés et a grandement contribué à la traduction des ouvrages sur lesquels je travaille. Ce fut un honneur que de former un si brillant esprit au cours des dix-neuf dernières années. Je n'ai aucun doute sur sa sagesse et sa capacité à prendre votre relève un jour, Votre Majesté.
Garmond fixa ses yeux bruns sur les siens et elle n'y trouva que fierté et tendresse. Elle aurait aimé le prendre dans ses bras, le remercier pour toutes ces années, pour sa patience, pour lui avoir tout appris, surtout des dragons, quand bien même les ouvrages qu'il lui avait donnés étaient prohibés. Tout cela attendrait, se dit-elle en inclinant sa tête.
Thorian se tenait déjà à la place du précepteur. Le torse bombé et les bras croisés dans le dos, il la contemplait avec une telle intensité que Calliste ne savait pas à quoi s'attendre. Le maître d'armes avait pris l'habitude de fausser ses rapports de manière à induire Maximilien en erreur sur ses progrès et ses capacités. Il avait, par exemple, oublié de louer ses compétences au pistolet. Un an s'était pourtant écoulé depuis la dernière fois qu'elle avait manqué sa cible. Son équilibre au combat avait été décrié plus d'une fois, bien qu'il s'agissait de son point fort. Quelques vérités avaient malgré tout été glissées. Tous ces mensonges pour la rendre imprévisible. Tous ces risques dans l'espoir, ténu, que le jour venu, son frère se trompe, choisisse le mauvais défi et ne s'en relève pas. Et maintenant que ce jour était arrivé, il aurait pu continuer de les tromper. Mais ce regard, cette ardeur qu'elle y lisait... Thorian ne jouait plus.
— Je n'ai plus rien à apprendre à Son Altesse, déclara-t-il.
Ses deux grands iris bleus ne quittèrent pas les siens. L'admiration, non, la dévotion qui s'y affichait, lui coupa le souffle. Il ignorait les gouverneurs, l'empereur, pour maintenir leur contact visuel. Il n'y avait qu'elle et il avait choisi ce moment fatidique pour le faire savoir au monde entier. Le cœur de Calliste se serra, elle ne méritait pas un tel sacrifice.
Les murmures des nobles s'amplifièrent. La confusion était à son paroxysme. Maximilien chuchotait maintenant avec ses maîtres. Sans doute essayaient-ils de tirer le vrai du faux, de comprendre ce que le maître d'armes venait de confesser. Son rictus oublié, nota Calliste. Thorian n'avait toujours pas bougé et soutenait maintenant le regard de l'empereur. Hélior Valdorion leva finalement la main et le silence se fit.
— Fille, pile ou face ?
Calliste lança un dernier regard vers son amant puis se tourna vers son père et sans hésiter elle choisit :
— Pile.
L'empereur jeta une pièce d'or en l'air dans un silence des plus solennels. Le palais entier retenait sa respiration. Le métal virevolta puis arrêta sa course sur le marbre froid dans un horrible cliquetis. Calliste se pencha pour contempler le résultat. Le profil paternel, tant redouté, l'accueillit. Les jeux étaient faits. Elle avait perdu. Et derrière son épaule, Maximilien exultait.
— Quelle arme choisis-tu, fils ? questionna l'empereur.
— L'épée, répondit-il avec avidité.
Hélior se tourna ensuite vers elle :
— Où aura lieu le duel ?
Calliste ne laissa rien paraître de la terreur qui l'habitait. Elle prit quelques secondes, tant pour se contenir que pour réfléchir. L'épée était le pire qui pouvait lui arriver. Malgré quinze ans d'entraînement, elle n'avait jamais manié l'arme avec une dextérité suffisante. Elle n'avait pas non plus la musculature massive de son jumeau pour compenser et aucun espoir de le surpasser. Du moins, il l'escomptait. On lui laissait maintenant le gracieux choix du lieu de sa mort. Elle aurait pu sombrer dans la nostalgie et choisir la plage ou bien jouer contre la montre et choisir l'autre bout du monde. Mais cela revenait à admettre sa défaite. Ses poings se serrèrent et une idée germa. Ses chances de l'emporter restaient minces, négligeables même, mais elle n'avait jamais été du genre à baisser les bras. Elle leva des yeux brillants de détermination et décida :
— Sur le toit de la cathédrale.
Le souverain la toisa avec un mélange de respect et de méfiance, puis elle crut voir un élan de compréhension et peut-être de regret alors qu'il déclara :
— Dans sept jours, la Princesse Calliste Valdorion et le Prince Maximilien Valdorion s'affronteront dans un duel à l'épée sur le toit de la cathédrale. Le survivant sera déclaré héritier de l'empire de Novia. Le perdant sera Oublié.
Le retour à ses appartements avait été plus silencieux encore que l'aller. Calliste sentait le regard courroucé de Thorian dans son dos. Le maître d'armes détestait quand elle prenait des décisions sans l'avertir. Mais qu'aurait-elle pu dire ? Avouer qu'elle n'avait pas tout anticipé ? Qu'elle avait refusé de penser au scénario qui venait tout juste de se dérouler ? Elle avait agi à l'instinct, sauté sur l'occasion de mettre son frère en difficulté, sur la dernière lueur d'espoir qu'il lui restait. Et Thorian pouvait bien se fâcher, elle ne s'excuserait pas.
Garmond avait quitté le groupe à l'approche de la bibliothèque. Craignait-il d'assister à la tempête qui éclaterait derrière les portes closes ? Le sage homme avait toujours préféré éviter les conflits. La princesse retint un soupir alors qu'elle entra dans son salon. Sa servante s'affairait, réarrangeant les coussins de tissus pâles du sofa et disposant quelques plateaux de sucreries sur la table basse qui lui faisait face.
— Merci, Sidonie, lui dit Calliste, l'invitant à disposer.
La vieille femme observa le groupe et distinguant la mine du grand brun, disparut dans le couloir de service. Sitôt que le bruit caractéristique de la clenche eut retenti que Thorian s'emporta :
— La cathédrale ? As-tu perdu l'esprit ? Tu arrives à peine à manier l'épée au sol !
C'était vrai. Dotée d'une fine stature, la puissance de ses mouvements était compromise. Son poids ne suffisait pas pour bousculer son opposant, le projeter au sol et revendiquer la victoire. Elle avait bien entendu essayé de trouver des chemins détournés pour arriver à ses fins. Les plus efficaces restaient son endurance et sa vitesse. La première ne lui serait d'aucune utilité dans un face-à-face avec Maximilien, la seconde pourrait se révéler salvatrice. Malheureusement, plus sa vitesse augmentait et plus sa technique et son équilibre en pâtissaient. Or, perchée à plus de cent mètres au-dessus du vide, elle ne pouvait se permettre la moindre erreur. Néanmoins, elle maintenait son choix pour le duel, car elle comptait sur un paramètre en particulier. Son idée ne plairait pas du tout à Thorian, mais elle n'en avait pas de meilleure.
— Maximilien a choisi une épée, je n'ai jamais dit que je l'utiliserai. Qu'est-ce qui m'empêche d'y aller à mains nues et de le jeter du haut du toit ?
Thorian la considéra bouche bée. Calliste ne lui en tint pas rigueur. Après tout, c'était elle qui se conformait toujours aux codes d'honneur. Cependant, en choisissant l'épée, en refusant de mener un combat équitable, Maximilien ne les enfreignait-il pas ? Si son plan fonctionnait, elle n'aurait aucun remords. Et si son frère comptait sur sa haute opinion d'elle-même pour se plier à sa volonté, il ne manquerait pas d'être déçu.
— Le vertige ! sautilla Emeric, exalté. Max a toujours eu le vertige.
La princesse lui décrocha un clin d'œil entendu et s'effondra dans un fauteuil de velours crème. Thorian les dévisageait, comme si des inconnus avaient pris possession des corps de ses amis.
— Pas toujours, pointa-t-elle, malicieuse avant d'attraper une friandise et de continuer la bouche pleine, mais depuis qu'il s'est blessé la jambe en tombant d'un arbre à huit ans. Il arrive à peine à monter à cheval.
Thorian, toujours sous le choc, se plaça face à elle, les bras reposant sur le dossier du sofa assorti.
— Si tu vas au bout de ce plan, questionna-t-il. Comment géreras-tu les conséquences ? On ne peut appeler ça un duel honorable, pousser son adversaire du haut d'un monument ?
— Et comment veux-tu que ça se sache ?
Elle attrapa une autre gourmandise et s'étira.
— Les gouverneurs le verront ! rétorqua-t-il.
— Ah oui, du bas de la cathédrale, tu vois ce qui se trame sur le toit ? Oeil de faucon, se moqua-t-elle.
Thorian fronça les sourcils. Était-elle allé trop loin ? Le maître d'armes avait beau tenir à elle, il ne valait mieux pas le mettre en colère.
— Tu crois vraiment que personne ne sera présent ?
— Oh si, si.
Elle leva sa main et commença à compter sur ses doigts :
— Toi, mon père et Varin Galendron. Il n'y a pas plus de place là-haut. Et qui au juste parmi ces témoins relaterait que Maximilien est mort sans honneur ? Son fidèle maître d'armes ? L'empereur ? Nous ? Personne ne dira quoique ce soit et les gouverneurs ne verront que son corps broyé par la chute. Pas une seule question ne sera posée. L'Oubli sera décrété et mon frère n'aura jamais existé.
Thorian la fixa encore un instant. Sa bouche s'ouvrit comme s'il s'apprêter à objecter, mais elle lui interdit du regard. La discussion était close. Ce qu'il pensait de son plan ne l'intéressait plus et les dés étaient jetés. Elle se leva d'un coup et poursuivit :
— Peu importe le duel et ses modalités, nous avons beaucoup de choses à organiser.
— Comme ? demanda Emeric.
— Ton départ, répondit Thorian, qui avait tout de suite compris.
— Non. Non, non, non, refusa Emeric.
Calliste le caressa du regard quelques secondes. La peine, la colère, le ressentiment presque qu'elle voyait sur le visage de son ami la touchait. Mais encore une fois, elle devait se montrer pragmatique.
— Si tu restes ici, tu ne vivras pas cinq minutes de plus que moi.
— Même pas en rêve. Si tu crois que je vais t'abandonner à ton sort, tu te mets le doigt dans l'œil jusqu'au coude.
Le garde secouait encore la tête après avoir parlé. Elle sourit, inflexible.
— Non, répéta-t-il, agité.
— Je ne te laisserai pas gâcher ta vie pour moi, insista-t-elle.
— Arrête de parler comme si tu allais mourir.
— Mais je le pourrais bien !
— Non, exclut-il.
Calliste se rapprocha, attrapa ses mains et les caressa du bout des pouces.
— Je t'en prie Emeric. Si je ne redescends pas, ou trop vite, grimaça-t-elle, de ce toit, que crois-tu qu'il va se passer ?
— Je serais là pour toi, pour t'honorer.
La princesse émit un petit rire triste et plongea, sérieuse, dans les iris marrons de son plus vieil ami.
— Je n'en aurais rien à faire, Emeric, je serai morte. Et tu n'en auras pas le droit, je serai Oubliée. Ce qui m'honorerait vraiment, c'est que tu vives.
— Cal...
La supplique d'Emeric lui fit monter l'eau aux yeux, mais elle ne le laisserait pas l'avoir comme ça. Elle avait besoin de le savoir en sécurité.
— Je te vois bien t'occuper d'un bout de terrain, près du rivage, en Coruscel. Tu pourrais te trouver un joli garçon. Loin de tous ces complots, de toute cette violence. Une vie simple, belle. S'il te plait...
Calliste su qu'elle avait touché juste. Les mots semblaient l'avoir quitté. Il luttait pour retenir ses larmes, mais elles lui brouillaient le regard. Elle leva une main vers son visage et lui caressa la joue. La tête légèrement inclinée dans un mine suppliante, elle lui adressa un sourire tendre et désolé qui finit de l'achever. Il baissa alors les yeux et renifla.
— Bien, dit-elle en hochant légèrement la tête après s'être éloignée d'un pas. Tu partiras avant le duel. Si je survis, nous viendrons te chercher. Thorian, poursuivit-elle en se tournant vers son amant, après ce qu'il vient de se passer, nous devons aussi parler de ton avenir.
— Il n'y a rien à en dire.
Calliste se durcit, l'air sévère, mais le grand brun resta ferme. Il planta son regard dans le sien et croisa les bras avant de continuer :
— Ma position ne sera pas compromise. Mon père est puissant et c'est ton plus grand soutien, à part peut-être ton père, même s'il n'a jamais pu le montrer.
Calliste leva un sourcil. Personne n'avait jamais qualifié l'empereur de soutien. En vingt-cinq ans, il l'avait presque toujours ignorée, ne montrant qu'un intérêt modéré lors de leurs rencontres hebdomadaires.
— Tu ne t'en es pas rendu compte ? Encore aujourd'hui, la colère et le regret dans ses yeux quand la pièce est arrivée au sol. Tu as toujours été sa préférée. Il a tout fait pour que tu aies les meilleures chances dans ce duel. Et le respect dans son regard quand tu as annoncé vouloir te battre sur le toit de la cathédrale. Je crois qu'il assassinerait Maximilien dans son sommeil s'il le pouvait.
— C'est peut-être ce qu'on devrait faire... dit Emeric en attrapant un biscuit.
— Non, soupira Calliste. Pour la même raison qu'on ne l'a pas fait hier, parce que ça reviendrait à faire preuve de faiblesse. Et que se passera-t-il quand mon frère héritera du trône ?
— Ton père est encore jeune et les Valdorion vivent longtemps. Si tu devais mourir, l'empire entier obéirait à l'Oubli. Ton nom et notre relation ne seront plus jamais mentionnés. J'ai un rang ici, je serai gouverneur de Valperle avant que ton frère ne soit couronné et il sera alors trop tard pour agir contre moi. Au pire, je n'aurais pas la carrière que j'aurais pu avoir. Mais cela ne m'importe plus.
À cause d'elle. Ce brillant soldat, fils du plus grand général de l'empire, renonçait à un prestigieux avenir pour elle, pour lui déclarer son soutien, son amour. Elle ferma les yeux et expira. Il avait raison. Il pouvait rester.
— Quoi, l'apostropha Emeric manquant de s'étouffer sur son biscuit. Tu me forces à fuir dans la nuit comme un voleur et tu ne vas même pas argumenter contre ça ?
— Thorian, concéda Calliste, promets-moi de fuir, toi aussi, si la situation devenait intenable.
Il hocha la tête, mais commenta :
— Je ne promets rien concernant un joli garçon par contre.
Ils éclatèrent de rire. Un rire profond, indomptable, qui lui réchauffa le cœur. Qu'il était bon de penser à autre chose ne serait-ce que l'espace d'un moment. Calliste avait beau prétendre avoir accepté la situation, savoir d'aussi longtemps qu'elle se souvienne être condamnée à affronter Maximilien le jour de leurs vingt-cinq ans, elle n'avait jamais souhaité mourir. La mort ne l'effrayait pas, mais elle regrettait de n'avoir pu découvrir le monde qu'à travers les livres. Elle savait que la vie avait beaucoup plus à offrir. Vingt-cinq années, c'était tout ce qui lui avait été accordé et depuis sa prison d'or et de marbre, elle devait s'en contenter, être heureuse d'avoir été si bien entourée. Comment avait-elle mérité une telle loyauté, de tels amis, resterait un mystère, mais elle s'en montrait reconnaissante et dédirait cette dernière semaine à leur faire savoir, à les mettre à l'abri.
— Bien, maintenant qu'on est tous d'accord. Je vous propose de poursuivre nos activités comme d'habitude. Nous ne voudrions pas que la cour doute de nous.
— Qu'est-ce que ça peut nous faire ce que la cour pense de nous ? dédaigna Emeric.
Calliste leva les yeux au ciel. Ils avaient déjà eu cette conversation un million de fois. Si elle survivait au duel, sa position resterait inchangée. Peu des gouverneurs acceptaient l'idée d'une impératrice, alors qu'ils avaient assisté aux rapports hebdomadaires de ses maîtres. Et ce n'était que la partie émergée de croyances bien plus profondément ancrées. Novia et tout le continent d'Eosel n'avaient jamais eu une très haute opinion des femmes. Que se passerait-il lorsqu'elle serait désignée héritière ? Que penseraient les petits nobles, les bourgeois, les ouvriers ? Et si la cour cessait de la craindre ? Ce n'était pas une épée à la main qu'elle rencontrerait son destin, mais au cœur de la nuit, durant son sommeil. Une mort dénuée d'honneur. Thorian l'avait déjà pointé du doigt : son père était encore jeune, il pourrait décider d'engendrer un nouvel héritier. Un autre mâle.
— J'ai compris... bouda Emeric.
— Allons-y, dit Calliste, je déteste être en retard.
Thorian se pencha vers elle et effleura ses lèvres des siennes, puis il posa sa main sur l'épaule d'Emeric et lui fit un signe de tête avant de sortir des appartements de la princesse. La jeune femme et son garde attendirent quelques minutes, comme il était d'usage, puis sortirent à leur tour pour rejoindre Élara, la maîtresse du roi, avec laquelle elle déjeunait chaque semaine.
Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top