Chapitre 9 - Nalia
Rivages nordiques, pleine lune
J'étais la première à me réveiller sur cette grève rêche et glacée. Pas de doutes, nous étions arrivés à destination. Mes bras n'arrivaient plus à répondre et des litres de sang m'avaient quitté. Le choc avait dû me projeter contre la côte. Heureusement, la flore côtière était riche et me permettrait de concocter un baume de guérison. Mon sort de soin ne serait pas assez puissant. Quelques feuilles de ciran, jonquilles et pieds-de-louve, un pilon de fortune taillé dans le bois et quelques minutes : le baume était prêt. Les corps désanimés de mes compagnons gisaient là, ensanglantés. Moins que moi cependant, leur armure a dû encaisser la roche vu leur état. Mais la brûlure de Darvin demeurait. Je traînais alors Carth par les bras, tant bien que mal. Quand vint le tour de Darvin, la soirée d'hier me revint. Un regard vers Carth, puis vers Darvin. Qui sont-ils ? Que m'ont-ils caché ?
Les heures passaient et petit à petit, un camp se montait. Les deux toujours assoupis, je bandais mes plaies avant de tailler un bâton pour pêcher. Les roches nordiques sont étonnamment tranchantes, mes bras en sont témoins ! J'essayais de chasser mes questions mais elles revenaient sans cesse. Mon plus grand ami et l'homme que j'aime m'auraient menti pendant aussi longtemps ? Mes pensées me disaient de partir, laisser ces deux corps sur la plage et partir en sécurité. Mais mon cœur lui, me sommait de prendre soin d'eux, de rester à leur chevet comme ils l'ont fait pour moi.
Je revenais de ma pêche avec cinq pauvres poissons. A peine assez pour nourrir une personne mais cela suffirait, je n'avais pas très faim. C'est alors qu'entre quelques crépitements de bois, un corps s'anima. Carth peina à se relever.
- Nalia ? se questionna alors mon ami en s'accoudant avec difficulté à un arbre.
- Je vois que tu es toujours aussi perspicace, répondis-je d'une façon étonnamment froide.
Je me demandais encore pourquoi ils m'avaient menti. Ne suis-je qu'un outil pour eux ? Se servent-ils de moi ?
Carth comprit tout de suite que quelque chose n'allait pas.
- Comment va Darvin ?
- Sa brûlure s'est calmée, fis-je sèchement.
- Tant mieux...
Et un long silence régna, silence qui n'était brisé que par les grillons et les craquements du bois.
- A son réveil, vous avez intérêt à tout me raconter.
Il acquiesça simplement, le regard triste, vissé vers le feu qu'il ne lâchait pas du regard.
La nuit tombée, c'était au tour de Darvin de se réveiller. J'étais rassurée de voir qu'il ne souffrait plus.
- Je vois que vous m'avez attendu, grogna-t-il en se levant.
Il fléchit et tomba sur ses cuisses en râlant.
Une idée me vint alors.
- La nuit sera longue. Et il me faut des réponses. Qui êtes-vous ? Pourquoi tant de mystères vous entourent ?
Et le silence revint à la charge. Carth prit la parole :
- Je vais commencer alors... Je suis né au sein d'une des familles les plus puissantes de Batria : Les Weiss. Avec un nom comme ça, tout est possible pour vous. Gloire, richesse, pouvoir, tout cela m'attendait. Une quinzaine d'années durant, j'ai vécu la plus belle des vies. Et c'est à cet âge-là que j'ai rencontré mon premier amour. Attan était beau, charmant et très savant. Nous vivions une idylle secrète par peur du jugement des autres. Mais un jour, mon frère nous a surpris dans ma couche et l'a de suite reporté à mes parents. Dans la même journée j'ai été déshonoré et déshérité. Mes titres sont partis en fumée et on m'a chassé de chez moi sans que je puisse prendre de quoi survivre. Je n'ai plus jamais revu quiconque de ma famille après cela.
Alors Carth cache bien son jeu. Il semblait toujours si souriant et joyeux alors qu'il a vécu une terrible injustice. Les Hommes sont souvent bien cruels avec les autres. Avant que Darvin ne commence à parler, je décidais de raconter ce qui m'était arrivé d'abord.
- Je suis l'héritière de la famille Boisbrise. Famille royale de Lindra. J'étais très jeune lorsque tout ça est arrivé alors je n'ai que de vagues souvenirs de cet évènement.
Après une grande inspiration, je me livrais à eux.
- J'étais âgée d'environ cinq ans lorsque ma famille fut tuée sous mes yeux. Tout allait bien quand un soir, une foule frappa à la porte et envahit le palais. Les gardes furent submergés et tués sous mes yeux. Ils ont commencé par mon père qu'ils ont égorgé avec des fourches. Puis ma mère qui fut éventrée, comme mes frères et mes sœurs. J'ai dû assister à tout cela. Mais un valet réussit au péril de sa vie à me faire sortir du palais et quitter la région. J'étais donc devenue la seule Boisbrise, la Princesse Rouge. J'ai alors erré sans but des années durant, essayant tant bien que mal d'oublier ce funeste jour.
Et voilà. Les larmes coulaient, mes mains tremblaient et dans ma tête ne résonnaient que ces hurlements. Je fixais alors Darvin qui pleurait lui aussi. Il essayait de le cacher mais c'était un fait. Les grillons firent leur grand retour avant que Darvin ne les chasse aussitôt.
- Je suis né à Haben, à l'époque où c'était encore peuplé. Ma naissance a causé deux choses : la mort de ma mère en couche et le chagrin de mon père qui l'aimait comme un fou. En cinq ans de vie, jamais il ne m'a adressé un mot agréable. Soit des grognements, soit des ordres. Je l'aidais néanmoins, il était forgeron et c'était à moi de reprendre son travail. Mais je l'ai un jour trouvé pendu dans son atelier. Dès lors, je n'ai su que faire. Je demandais de l'aide à tout le monde. De quoi manger, de quoi boire, mais personne n'avait jamais rien pour moi. Je suis alors parti pour Batria et là-bas j'ai mendié. Quand je fus en âge de rejoindre l'armée, je le fis. Tous les orphelins faisaient de même. Juste à côté de moi dans le rang se tenait l'héritier déchu des Weiss. C'est ainsi qu'une belle aventure commença. Nous ne venions pas du même milieu mais nous comprenions étonnamment bien. Des années durant, nous servions toujours le même banneret, dirigé par le même enfoiré. Nous nous démerdions tellement bien ensemble que nous avions plusieurs fois reçu les honneurs royaux. Jusqu'au jour où le Roi Siegfried II nous invita personnellement au palais de Batria pour parler affaires. Nous étions venus pour le banquet, nous sommes repartis avec des postes de défense royale. Carth était alors le garde du corps personnel du Roi, l'accompagnant partout, traduisant les textes elfes, nains, et sudistes pour lui. Moi, j'étais le Gouverneur Royal des Armées de Batria, rien que ça. Pendant des années, nous étions tous les trois les plus grands amis du monde avec notre bon Roi, je rencontrais alors Alfina, j'avais une fille et de quoi vivre décemment. Jusqu'à l'offensive du Sud sur nos terres. Au début, les ordres de Siegfried étaient clairs : repousser l'ennemi. Mais il décida, après les avoir chassés, de les poursuivre dans leur Royaume. Pour la première fois après environ une décennie de services avec lui, je refusais d'appliquer ses ordres. Nous avions gagné la guerre, nul besoin d'aller les tuer chez eux. Mais il changea totalement et perdit la tête. Il fit pression sur ma famille, la menaçant. J'étais forcé d'obéir. Lorsqu'il fallait tuer femmes et enfants, brûler des villes et détruire des bourgs, j'essayais d'alléger les pertes, annonçant la venue de l'armée tôt pour que les habitants aient le temps de s'enfuir avant l'offensive. Le Roi Siegfried l'a appris et a ordonné à ses nouveaux gardes personnels de pendre ma famille. Carth prit ma défense et fût alors une nouvelle fois destitué. Nous voulions alors nous venger : c'était le début des Dagues Pourpres. Mais un jour, un contrat tourna au vinaigre et le Roi faillit nous mettre à jour. Nous avions décidé d'arrêter ça et d'accepter ce que nous avions toujours redouté : Nous avions été abandonnés. Carth voulut se refaire une fortune et prouver à Siegfried que nous étions encore ses amis en lui offrant la Lame de Sang. Tu connais la suite de son histoire. Après avoir perdu mes titres et enterré ma famille, je partais chez les Chasseurs dans l'espoir d'oublier mon passé. Ça n'a jamais marché. Les suppliques de ces femmes et enfants que l'on brûlait vifs résonnaient dans ma tête. Chaque jour, chaque nuit. Devant mes talents à l'épée, le Conseil des Chasseurs m'a offert une place en leur sein mais, craignant une nouvelle fois que l'histoire se reproduise, je déclinais. Tu connais la suite Nalia.
Nous étions alors tous les trois brisés, ils ne me cachaient rien mais craignaient le jugement, la haine de leurs actions passées. Je les comprends. Nous avions alors passé la nuit à parler, racontant des histoires et anecdotes plus inutiles les unes que les autres mais toujours souriants, gravant ce moment dans nos mémoires et dans nos cœurs. Le lendemain, nous partions en quête de réponses.
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