Haben, périphérie de Batria.

 Cette nuit fut l'une des plus longues que j'ai jamais vécues, toujours à fureter d'une fenêtre à l'autre. J'ai bien cru que mes yeux allaient tomber à force. Mais personne n'est venu. Alors à l'aube, nous partions en direction du Nord. Avant d'entamer notre traversée, nous nous étions penchés sur les détails du voyage : Nous ne voyagerons seulement de nuit, nous éviterons les routes, nous laisserons les chevaux à Ilmaris et nous n'allumerons pas de feu. Une vraie vie nocturne. Lors de notre départ, les histoires de Carth nous aidaient à surmonter la terrible marche qui nous attendait. Nous passions outre les panneaux et les villages pour nous pencher vers des paysages plus boisés. La nuit tombée, Carth raccrochait son habit de conteur pour endosser celui du félin. En effet, ce vieux frère est un homme bien discret, avec une vue redoutable et une patience des plus inébranlables. Nalia, elle, semblait heureuse de faire cette traversée, malgré une terreur palpable. Allait-elle devoir se couper les oreilles pour ressembler à une humaine ? Allait-elle devoir se salir les cheveux pour cacher cet éclat elfique ? J'espérais au plus profond de moi que ce n'était qu'une peur sans fondement. De mon côté, je surveillais. Aussi bien le camp, tant est que s'en soit un, que mes acolytes. Le premier jour, nous avions traversé Molda et Batria, le second, Jolagrad et Verprun. Le Bastion se rapprochait même s'il ne figurait pas sur notre itinéraire. Cela nous ferait perdre au moins une journée vu le détour que l'on doit prendre pour y parvenir. Néanmoins, je me devais de prévenir les autres Chasseurs. Le troisième jour, nous embrassions le climat du Nord, pas aussi froid que les Îles, mais quand même. Alors la nuit, nous dormions blottis les uns contre les autres, essayant de garder un maximum la chaleur dans cette obscurité glaciale, sans feux pour nous sauver. Heureusement, les elfes résistent au froid et Carth y est habitué. Il n'y avait alors que moi qui grelottait, comme un enfant. C'est le cinquième jour que notre chemin croisa celui d'un blessé sur la grand route, endroit que nous devions éviter à tout prix.

- Darvin, on ne peut pas le laisser mourir ici !

- C'est lui ou nous, malheureusement Nalia...

 D'un regard furieux, que je pensais impossible à voir chez un être d'une aussi grande beauté, l'elfe couru en direction du mourant. Nous l'avons donc suivie, Carth et moi.

 En arrivant près de lui, je me sentais observé de toutes parts, je pensais alors qu'il s'agissait seulement d'une impression après avoir passé presque une semaine dans une forêt sombre et froide. L'homme hurlait et en jetant un coup d'œil à ses blessures, je me rendis compte qu'elles étaient factices, le sang n'étant qu'un colorant fait d'épices de Golonn, connues pour leur teint pourpre et leur odeur métallique. Alors que je m'apprêtais à révéler la supercherie, plusieurs hommes sortirent de la forêt et foncèrent, armes au clair, vers nous. Ils nous encerclaient mais heureusement, ils se battaient mal. L'un d'eux, un jeune elfe, pris les jambes à son cou en voyant ses compagnons se faire trancher, bras, gorges et têtes. Carth esquivait, à sa grande habitude, avant de trouver la faille chez l'adversaire et y planter sa dague. Nalia usait de ses dagues plutôt bien malgré quelques erreurs. Un nain s'approcha de moi, sa hache sortie, et la fit virevolter autour de moi. J'effectuais quelques pas de côté avant de lui planter ma lame dans le ventre, l'éviscérant en remontant jusqu'au sternum. Les derniers combattants furent le jeune fuyard et le faux blessé. Je m'approchais de l'elfe, le pris par le col de sa chemise en lin, et le fixa. Parfois les mots sont moins efficaces que le regard. Et le jeune aux grandes oreilles, une fois libéré, s'en alla très vite. Le faux blessé se leva et profita de la distraction offerte par son jeune acolyte pour planter une dague dans le flanc de Nalia. L'entendant hurler puis s'effondrer, Carth se retourna avant d'étrangler le dernier survivant de ses mains nues en hurlant.