Chapitre 16 - Carth

  Fort Toller, Plaines de Warden.

  J'étais arrivé à pied devant le fort, couvert d'un épais manteau de neige. Il faisait nuit et les lumières de la forteresse étaient les seuls points d'appui à des kilomètres. Une aubaine pour moi ! Je venais ici pour prendre possession du fort. Seul, sans plan, c'était comme si je venais nu. Cependant, je savais qu'il existait un passage discret qui reliait les latrines à l'extérieur. Je m'y dirigeais d'un pas alerte : une erreur et c'était la fin pour moi. L'odeur...c'était immonde. Je m'approchais, pataugeant de plus en plus loin dans la merde. Merci Haral, vraiment. Cela me rappelait une vieille histoire avec Darvin. Nous étions à la recherche d'un homme qui avait prétendument disparu, cependant, nous l'avions retrouvé dans une grange empestant le fumier, dans les bras de sa maîtresse. Ce n'était pas une grosse paie, mais ça nous fait toujours une anecdote à raconter. Les Dagues Pourpres, c'était une sacrée époque. Avant ce contrat fatal.

  Il me fallait escalader un mur de pierre pour pénétrer l'enceinte du fort. Je montais péniblement avant de m'étaler par terre. Une pierre avait lâchée. J'étais donc encore plus bas, encore plus sale et encore moins discret. Je tentais ma chance une nouvelle fois, et cette fois ci, aucune pierre de s'était dérobée. Toutes ces années m'ont fait perdre la main, mais je ne me décourageais pas ! J'étais enfin rentré, arrivant dans une salle vide. Quelques instruments obscurs étaient entreposés dans la pièce : c'était sans aucun doutes une salle de torture. Au moins si je me faisais attraper, je savais où je finirai. Je parcourais, d'un pas lent et alerte, les couloirs du fort, guettant l'arrivée des gardes. Pour livrer le château, il me fallait en prendre possession. Pour cela, je devais rejoindre la grande salle de réunion au dernier étage de l'immense forteresse. C'était pas gagné...

  Un grand escalier qui menait vers les quartiers des habitants se dressait devant moi. Je n'hésitai pas et montai jusqu'à en voir le bout. En haut, les gardes ronflaient et masquaient tous les bruits, intérieurs comme extérieurs. Parfait pour rester furtif. L'un des gardes avait un trousseau de clés pendant à sa hanche. Cela allait grandement faciliter ma traversée sans ce territoire hostile. Sur les talons, je me rapprochais lentement du garde somnolent. Je tendis une main avant de la ramener à moi aussitôt, le garde manquait de se faire réveiller par son propre raffut. Accroupi derrière lui, retenant mon souffle, je pris mon courage à deux mains et saisis le trousseau en joignant toutes les clés dans le but de les faire taire. D'une roulade furtive, je m'éloignais de ce soldat de malheur. Il ne me restais plus qu'à monter ces escaliers et déverrouiller l'ultime entrave à ma liberté. Les marches en bois contrastaient avec cette pierre mousseuse d'un gris vert immonde qui servait de mur à ce fort. J'enfonçais lentement la clé dans la serrure de la porte et la fis pivoter lentement. Un léger cliquetis retentit, la porte était ouverte. Je la poussais calmement, sans un bruit jusqu'à apercevoir le chef du fort. Il était grand, les cheveux grisonnants et vêtu d'une armure lourde parée de fourrures noires. J'avançais doucement derrière lui, sûr d'être discret lorsqu'il se retourna.

- Que faites-vous là ? me dit-il d'un ton étonnamment très calme.

  Sa face était atroce à voir. Ridé de partout, les yeux pochés et une barbe jaunâtre, rien à voir avec un chef de guerre respectable.

- Je prends le fort, lui répondais-je aussitôt.

- Ah oui ? Savez-vous seulement combien de soldats sont à mes ordres dans le fort ? Je pourrais vous faire exécuter sur-le-champ.

- Le nombre de soldats à l'intérieur m'est bien égal, en revanche, le nombre de soldats dehors devrait vous intéresser.

  J'étais absolument seul ici, mais je tentais un bluff. Eviter l'affrontement n'était pas une mauvaise idée.

- Comment ça ? me répondit-il en fronçant les sourcils.

- Un millier hommes sont là, dehors, encerclant la forteresse. Ils sont tous armés, équipés, portant la bannière de l'ours et attendent mon signal pour attaquer.

- Vous mentez. Haral n'enverrait jamais de gens comme vous. Ces soldats sont chez eux en train de se réchauffer les miches par un temps pareil, encore faut-il que ces soldats existent.

- Allez vérifier !

  Il décida de se retourner pour en avoir le cœur net. C'est alors que je lui lança mon couteau. Il se planta net dans sa tête, laissant la plaie expulser en jets son sang. Il tomba raide comme une lance au sol. Je remarquais, près de la fenêtre, que plusieurs soldats étaient postés près de l'enceinte du fort. C'était une bannière jaune et brune qui flottait dans le vent glacial de cette nuit d'hiver. Finalement, mon bluff n'en était pas véritablement un, au même titre que celui d'Haral qui m'a fait croire que je serais seul. Pour les inciter à lancer l'attaque, je pris une chandelle qui trônait sur le bureau de l'ancien chef du fort, et je grimpais tout en haut du toit, là où flottait la bannière des Toller. Avec le feu encore animé de la chandelle, j'embrasais le pavillon ennemi et fis signe aux soldats avec de grands gestes de bras. L'un d'eux répondit par un pouce levé et commença enfin l'assaut. Je descendais du toit avec habileté et ressentit une sensation agréable lorsque le sol enneigé vint me chatouiller les pieds. Les deux camps s'affrontèrent toute la nuit, remplaçant les habituels grincements des insectes par des hurlements et des sons métalliques. Au petit matin, Haral se déplaça de lui-même dans son nouveau territoire.

- Bon sang ce que tu empestes, beugla-t-il en battant sa main devant son nez dès qu'il s'approcha de moi.

- De rien Haral, fis-je, lassé.

- Tu m'as rendu un fier service enfoiré ! Tu es acquitté de ta dette, troufion, maintenant dégages.

- Ais-je droit à un cheval pour rentrer ?

- Tu veux pas non plus que je te ramène en te prenant la main ? J'ai déjà dépêché mes hommes pour te sauver la peau.

  J'entamais alors mon voyage de retour. Seul, couvert de merde et à pieds. Mais débarrassé d'une dette importante.

Si j'avais su...

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