A
Ça chuchote derrière moi...
Ils aiment casser du sucre sur le dos des gens. Du haut de mes huit ans, j'avais déjà un regard cynique sur le monde, que j'avais divisé en cinq catégories.
La première, celle des adultes.
Toujours méprisants, catastrophés, affolés, écœurés. Jamais un sourire, jamais un regard.
À l'école, la maîtresse ne m'interrogeais pas.
À la maison, mes parents ne me regardaient pas.
Aux dîners de famille, j'étais mis à l'écart.
Ensuite, la catégorie des enfants, la plus cruelle. Toujours à médire, se trahir, se déchirer, se faire des serments d'amitié qu'ils briseraient dans les secondes à venir.
La catégorie des filles, des femmes, celles qui avaient le droit de porter des jupes. Je ne me sentais pas spécialement comme elles, pas vraiment l'impression d'appartenir à leur monde ; les discussions sur l'amour, sur les animaux choupis, la beauté de la nouvelle cantinière... non, tout cela ne m'intéressais pas. Moi, je voulais juste porter des jupes en garçon, pas être une fille.
Celle des garçons. Pas pleurer, courir, bouger, faire du sport, répondre aux professeurs, être le meilleur au foot, compétitivité, rivalité. Quelques filles aussi aimaient faire comme nous ; les maîtresses trouvaient ça très bien, pour l'émancipation de la femme et tout le tralala. Moi, à cet âge, ce que je voyais, c'était que les filles avaient le droit de faire comme les garçons, mais pas l'inverse.
Et ce constat me rendait terriblement jaloux.
J'aimais bien la catégorie des garçons, même si je ne m'y sentais pas totalement à ma place. Certes, l'esprit de camaraderie, la politique << Courir, manger, dormir et surtout ne pas réfléchir >> était assez drôle à mon goût, mais je pensais un peu trop — à ma place en ce monde, aux injustices ( je me considérais alors comme la première victime de la société ) et surtout, au fait que je ne pouvais pas porter de jupes.
Quand je marche dans la cour, pour rejoindre les garçons qui jouent au foot, un petit groupe de grands me regardent. Ils rient fort, mais se taisent dès que je passe devant eux. Ma grande sœur ne me regarde pas, je lui fait honte. C'est son frère, celui qui porte des jupes chez lui, en cachette. Donc son frère, forcément, est un pédé. Une tapette, une pédale. Comment des gamins de neufs, dix ans connaissent ces mots là ? Les utilisent pour faire du mal, en toute conscience ?
La dernière catégorie, enfin, est la mienne. Je suis seul, je suis un garçon qui aime porter des jupes et qui n'en a pas le droit.
Pourquoi ?
Pourquoi les filles peuvent faire des activités dites de garçons, s'habiller comme des garçons, jurer comme des garçons, mais aussi porter des jupes ?
Pourquoi moi qui fait tout comme les filles qui font comme les garçons, pourquoi moi n'ais-je pas le droit de porter une seule petite jupe de rien du tout, sans que le quartier, la ville soit au courant et me traite comme un pestiféré ?
Ça chuchote derrière moi, en classe. On me tape sur la tête avec une règle, le bruit résonne dans la classe.
Ça chuchote derrière moi, en sport. On me pousse vers le file des filles.
Ça chuchote derrière moi, en permanence, mes parents, ma sœur et ses amis, mes camarades de classe.
Pour Noël, j'ai commandé une jupe. Une jolie jupe, bleue, courte.
J'ai entendu mes parents parler, discuter à voix basse avec un air d'adulte. J'ai entendu mon prénom. J'ai entendu dérangé, inconscient, pas un vrai garçon, anormal. J'ai entendu monstre.
Sur ma liste de noël, j'ai rajouté du maquillage.
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