Le mariage se découpait en trois temps pour une femme en Grèce antique : avant tout, la mariée passe ses derniers jours d'enfance avec ses proches, plus particulièrement sa mère — c'est la Proaulia, l'avant mariage. Ensuite, de nombreuses cérémonies sont organisées, telles que le sacrifice prénuptial, les offrandes, le bain de purification, le festin — c'est le Gamos, le pendant. Enfin, le lendemain, les proches de la mariée lui rendent visite à son nouveau domicile pour lui offrir des présents — c'est l'Epaulia, l'après mariage. 

          L'eau glaciale la faisait frissonner. Son long chiton, fait d'un tissu léger, flottait autour d'elle dans le courant de la source qui caressait ses cuisses. Elle laissa ses doigts glisser à la surface du courant calme, comme testant la température. Quand elle s'habitua enfin à celle-ci, la jeune femme osa enfoncer son corps un peu plus, pénétrant dans les eaux qui lui arrivaient désormais au bas du ventre. Le torrent qui frôlait son nombril lui fit l'effet d'un choc, une sensation étrange parcourant alors son corps tout entier ; l'eau était si froide qu'elle la brûlait intensément. Une grimace d'inconfort tira le visage d'Olympia qui se raidit aussitôt.

          Autour d'elle, plusieurs femmes la fixaient, leurs voix s'élevant dans la forêt. Un chœur harmonieux résonnait, accompagné du bruit calme de la source qui s'écoulait tranquillement. La future mariée fit un nouveau pas, plongeant à présent sa poitrine dans les eaux gelées. Elle eut le souffle coupé. Ses cheveux châtains tombaient en cascade le long de son dos pâle, ses ondulations trempant dans la source limpide. Quelques mèches rebelles tombaient devant ses yeux noisette, sous lesquels quelques taches de rousseur parsemaient ses délicates joues rosées.

          Inspire, expire... pensa-t-elle, imitant alors le mouvement en prenant de grandes bouffées d'air.

          Puis elle avança un peu plus, immergeant ses fines épaules dans le torrent. Son corps tout entier fut parcouru d'une étrange vague de frissons. Aussitôt qu'Olympia fut totalement dans les eaux calmes et transparentes, les chants laissèrent place à des prières. Elle parvint à entendre quelques-unes d'entre elles, la plupart demandant la bénédiction des dieux pour le mariage qui se déroulerait prochainement.

          La jeune femme poussa un long soupir, las. Son mariage approchait à grands pas. Depuis la visite d'Hélios, les événements s'étaient rapidement accélérés.

          Comme si les choses n'allaient pas assez vite comme ça... songea-t-elle intérieurement.

          Olympia avait fini par perdre le fil de sa propre vie.

          Après s'être rendue au temple, la seconde étape de son mariage consistait désormais en un bain purifiant. Plongée entièrement dans la source Glaúkē, considérée comme sacrée à Corinthe, à quelques pas de la demeure d'Aphrodite, elle s'apprêtait à purifier son être tout entier. Par où commencer ? Devait-elle mettre la tête sous l'eau ? Le bain prénuptial consistait-il en une simple toilette dans la nature ? La future mariée était totalement déboussolée, cherchant du regard un quelconque soutien. À quelques mètres de là, au bord de la rive, ses sœurs la fixaient. Galateïa lui adressa un sourire, Eleutheria un bref signe de main tandis qu'Isidora jouait avec l'une des mèches sombres qui tombait le long de son cou.

          Elles ne lui seraient d'aucune aide.

          — Aphrodite, bénissez cette union entre Hélios de Corinthe et ma fille, s'éleva la voix de sa mère.

          Olympia lui jeta un coup d'œil, sa procréatrice hochant la tête comme pour lui faire signe qu'il était temps. La jeune femme baissa les yeux, observant ses pieds nus sur les graviers qui recouvraient le fond de la rivière. Elle avait déjà assisté à des cérémonies de mariages comme celle-ci, accompagnant ses trois aînées dans chacune des étapes. Elle les avait vu faire, et pourtant, la tâche lui semblait bien plus difficile que lorsqu'elle n'avait été qu'une simple spectatrice. Désormais, c'était à son tour de devenir une femme, de suivre la voie empruntée par ses sœurs plusieurs années plus tôt. Cette simple idée suffisait à l'angoisser plus qu'elle ne l'était déjà.

          Son cœur battait rapidement sous la pression, suivant le rythme effréné des chants qui s'élevaient de nouveau. Elle concentra son attention sur le bruit que produisait le torrent, bercée par les clapotis des gouttes contre la roche. La source murmurait à son oreille, apaisant et reposant son être tout entier qui se détendit aussitôt. Elle sentit ses nerfs se calmer tandis qu'elle poussait un long soupir. Olympia ferma les yeux. Ce n'était plus qu'elle et Glaúkē, en complète harmonie.

          Elle ferma les yeux. La jeune femme prit le temps de se remémorer les cérémonies auxquelles elle avait pu assister, cherchant dans ses souvenirs le moindre détail qui pourrait l'aider sur la démarche à suivre. Eleutheria lui apparut aussitôt, vêtue d'un chiton clair comparable au sien, dans la même source. Cette image datait déjà de plusieurs années, et il était époustouflant de voir à quel point sa sœur n'avait pas changé. Sa chevelure sombre était légèrement plus courte, sa silhouette plus fragile. Olympia mima alors le souvenir qui se déroulait dans son esprit, s'immergeant complètement dans la source sacrée Glaúkē, coupant sa respiration. Elle lutta intérieurement pour que le souvenir des eaux furieuses ne prenne le dessus sur l'image de la cérémonie d'Eleutheria, l'eau froide caressant son visage lui rappelant douloureusement les vagues qui avaient tenté de l'engouffrer. Elle fut parcourue d'un nouveau courant de frissons dont elle ignorait la véritable source ; était-ce l'eau glaciale ou plutôt la mémoire de ce jour où elle avait tenté de mettre fin à ses jours qui lui faisaient un tel effet ? Elle l'ignorait.

          Olympia continua le rituel, frottant sa peau maladroitement de ses mains frêles et hésitantes. De quoi était-elle réellement en train de se purifier ? De nombreuses questions traversaient son esprit brouillon, tandis qu'elle mimait le souvenir d'Eleutheria. La jeune femme démêla ses ondulations, les pointes de celles-ci trempant toujours dans la source qui lui arrivait à la poitrine. Les voix cristallines haussaient le ton, les chants mélodieux résonnant un peu plus dans la forêt. Ici, elles étaient en paix, aucun passant ne pouvant troubler leur rituel. Le petit sentier de terre qu'elles avaient emprunté s'achevait dans la source, ne menant nul par ailleurs que là où se trouvait la future mariée. Elle continuait de frictionner sa peau, faisant presque mousser l'eau. Son chiton lui collait désagréablement à la peau, suivant les courbes fines de sa silhouette tremblante.

          Une femme, apparemment de sa famille éloignée, s'approcha du bord pour lui tendre une petite aribale. Olympia attrapa délicatement le récipient rond, l'apportant à son nez pour en savourer le parfum ; une légère odeur de lavande chatouilla ses sens. Sa fleur préférée. Elle esquissa un large sourire sur son visage aux traits apaisés. L'eau fraîche caressait ses chevilles, le reste de son corps effleuré par la brise matinale. Elle trempa ses doigts dans l'huile qui luisait sous les premiers rayons du soleil qui passait au travers des branches, l'étalant sur sa peau recouverte de frissons. La douce fragrance florale émanait de sa peau, se répandant dans l'air qu'elle inspirait lentement. Son corps, après avoir été entièrement recouvert de l'huile parfumée, semblait lisse et brillait de mille étoiles. Sa peau, auparavant pâle, paraissait plus lumineuse, comme soyeuse.

          Elle sortit de l'eau, son chiton trempé devenu presque transparent. Les prières cessèrent, les voix s'éteignirent, et tout redevint calme. Seul le bruit de la rivière derrière elle venait briser le silence parfait.

          — La purification est terminée, annonça sa mère fièrement. Tu es prête.

          Le visage d'Olympia se tordit en une grimace d'hésitation. Elle était censée être prête, mais au fond d'elle, l'angoisse commençait de nouveau à l'étouffer. Non, elle n'était pas prête. Elle aurait aimé fuir, mais ce n'était que le début de très longs rituels pour la deuxième étape de son mariage. La journée prévoyait d'être longue.

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