Chapitre 4
Le mariage était, en Grèce antique, une responsabilité sociale. Il était généralement arrangé entre les parents de la mariée et le marié lui-même. Un homme choisissait sa promise en fonction de trois critères : la dot — donnée par le père de la mariée au marié, la fertilité de celle-ci et ses compétences à être une bonne épouse, comme le tissage ou la cuisine.
Hélios attendait patiemment devant l'épaisse porte de bois clair qui se dressait devant lui. Il jeta un coup d'œil au monde qui l'entourait, spectateur de la vie qui se déroulait sous ses yeux. Une foule en mouvement se pressait dans les rues étroites. De nombreux Corinthiens aux visages concentrés allaient et venaient dans les ruelles déjà bien éveillées en cette heure matinale, où les premières lueurs du soleil faisaient à peine leur apparition. Il s'émerveilla face aux couleurs rosées qui coloraient le ciel où aucun nuage ne venait perturber le spectacle, fasciné par cette boule lumineuse qui s'élevait au loin. La porte s'ouvrit dans un fracas sourd, le ramenant à la réalité dans un sursaut soudain.
— Bonjour Monsieur, s'empressa-t-il de saluer l'homme qui lui faisait face.
Celui-ci lui adressa un sourire en guise de salutation, restant malgré tout silencieux, l'air d'attendre impatiemment ce qu'Hélios avait à lui dire. Le brun attrapa son sac et en tira alors une amphore.
— Elle est magnifique... murmura l'homme. Puis-je la tenir pour l'observer de plus près ?
Hélios lui tendit d'une main hésitante. Bien que toutes ses créations étaient destinées à ses clients, cela représentait toujours une épreuve difficile que de s'en séparer. Des heures passées à travailler l'argile, à dessiner à la barbotine les délicates formes qui faisait d'un simple récipient une œuvre divine ; comment ne pouvait-il pas s'attacher à chacune d'elles ? L'homme en face de lui attrapa l'amphore d'une poigne dure, retirant une part de lui-même à Hélios qui observait le vase s'éloigner, le cœur serré.
— Quel talent... reprit son client. Il n'y a aucun doute, les Dieux vous ont fait hériter du don de votre père.
Son cœur se tordit d'autant plus. L'amertume lui montait à la gorge en une boule douloureuse qu'il tenta de vaincre par les grandes bouffées d'air qu'il inspirait puis expirait lentement. Il sourit difficilement, malgré lui, alors que le visage de son père se dessinait dans son esprit.
— J'ai fait les dessins tels que vous les aviez imaginés ? changea-t-il de sujet.
Les souvenirs s'estompèrent aussitôt tandis qu'il désignait les traits fins et sombres qui ornaient l'amphore d'un signe de tête, attendant silencieusement une réponse de son client. Le petit homme fit tourner l'objet dans ses mains, détaillant d'un regard à la fois concentré et émerveillé les dessins qu'Hélios avait délicatement créés.
— Tels je les imaginais, affirma l'homme en dessinant un large sourire.
Il n'arrêtait pas de faire tourner le récipient dans ses mains, comme lisant l'histoire contée par l'œuvre d'Hélios qui prit lui-même le temps d'observer une dernière fois sa création. Il inspira, détournant le regard de l'objet pour le plonger dans les yeux sombres de son client. Le petit homme s'agita, posant l'amphore au sol et attrapant la petite bourse qui pendait de sa ceinture de cuir sombre.
— Voilà pour vous, reprit-il en lui tendant le sachet.
Hélios le remercia d'un signe de tête bref, attrapant le tissu qu'il mit dans son grand sac vide.
— Je n'hésiterai pas à faire appel à vous de nouveau, votre art est tout bonnement un don venu tout droit des Dieux.
— Je vous remercie, répondit le brun en accompagnant ses paroles d'un sourire poli.
Puis il tourna les talons et s'enfonça dans la foule de Corinthiens qui s'éveillaient. Il faisait déjà bien chaud en ce début de matinée, et les quelques artisans qui s'activaient énergiquement pour ouvrir leurs commerces suaient déjà. Hélios salua un commerçant, puis un second, et continua son chemin. Ce n'était pas pour rien si à chaque coin de rue se trouvaient de nombreux commerces et ateliers : Corinthe était la cité commerçante et artisanale par excellence en Grèce. Réputée pour ses inventions telles que le bateau à trois rangs de rames nommé trière, ou encore pour ses sculptures avec ses riches chapiteaux ornés de feuilles d'acanthe, la cité abritait également de nombreux artistes potiers dont Hélios faisait partie. La Grèce entière raffolait de la céramique corinthienne, et bien qu'Athènes rivalisait depuis peu avec eux sur l'art de la poterie, l'argile de l'Acrocorinthe rendait les œuvres d'autant plus spéciales par leur couleur blanche si rare et raffinée qui faisait des céramiques corinthiennes les plus recherchées de Grèce.
Hélios tourna dans une petite ruelle plus calme et dégagée, s'avançant paisiblement entre les quelques passants qui vagabondaient, beaucoup moins pressés que les commerçants qu'il avait pu croiser quelques secondes plus tôt. Le port de Léchaion se dessinait au loin, offrant une vue incroyable sur les horizons gardés par Poséidon où les eaux semblaient sereines. Il pénétra dans une maison, passant le portique pour entrer dans la cour paisible de celle-ci. Les nombreuses colonnes qui l'entouraient s'élevaient majestueusement au-dessus de lui, formant un préau autour de la cour qui baignait dans une lumière réconfortante, laquelle apaisa aussitôt Hélios. Il s'arrêta là, au milieu de la maison, attendant patiemment. La cour était l'élément central des habitations grecques, lieu de tous les passages et cœur de l'habitation. Celle-ci ne sortait pas de l'ordinaire, à l'exception des quelques plantes posées à même le sol dans des vases qu'Hélios ne connaissait que trop bien, fabriqués par son père il y avait plusieurs années.
— Je suis heureux de te voir, mon frère, dit une voix qui le fit sursauter.
Il détourna son regard des œuvres magnifiques qui décoraient la cour de la maison puis le posa dans les yeux bleus de l'homme en face de lui. Il s'avança, serrant la main de son grand frère, lequel lui adressa alors un sourire chaleureux.
— Que me vaut ce plaisir ? reprit celui-ci.
— J'ai quelque chose à te dire, répondit Hélios. Aurais-tu un endroit plus tranquille où nous pourrions parler ?
Agápios acquiesça d'un signe de tête et lui fit signe de le suivre. Ils passèrent ensemble une petite pièce remplie de réserves où des fruits débordaient de grandes coupes entreposées sur une longue table. Les deux frères pénétrèrent dans l'andrôn, lieu de la maison réservé aux hommes et plus particulièrement aux banquets, où de nombreux divans meublaient la pièce. Hélios s'installa sur l'un d'entre eux, tirant une petite table basse du dessous alors que son frère lui apportait une coupe de vin.
— Je pense que nous serons en paix ici, reprit Agápios.
Le cadet hocha simplement la tête, portant la kylix à ses lèvres pour déguster le liquide violacé et brillant qu'elle contenait.
— Qu'est-ce qui t'amène, mon frère ? demanda de nouveau Agápios.
Hélios prit une grande inspiration avant de répondre :
— Je vais me marier.
Son frère dessina un large sourire sur ses lèvres alors que ses sourcils s'arquèrent, tirant de surprise les traits de son visage.
— Tu vas te marier... répéta-t-il les yeux écarquillés.
— Oui, répondit Hélios. Très bientôt.
Agápios posa sa coupe sur la table basse avant de croiser ses épais bras musclés sur son torse, questionnant son frère du son regard intensément bleu.
— J'ai bien cru que ce jour n'arriverait jamais ! s'exclama aussitôt l'homme en face de lui.
Hélios poussa un soupir de soulagement, heureux que son frère ne pose pas plus de questions. Il prit une nouvelle gorgée de la boisson amère, dirigeant son regard vers les étagères qui entouraient l'entrée et exposaient les plus belles œuvres de leur père. Que penserait-il de cette union si peu réfléchie ?
— Sait-elle bien tisser ? demanda Agápios comme lisant dans les pensées de son frère. C'est une qualité importante chez une femme.
— Je n'en doute pas, répondit Hélios dans un murmure presque inaudible.
— Te donnera-t-elle de bons descendants ? continua-t-il son interrogatoire. Un fils !
— Je l'espère, dit vaguement le brun, n'en pensant pas le moindre mot.
Hélios n'avait en réalité pas pris le temps d'apprendre à connaître Olympia davantage. Quel homme censé se marierait à une femme sans s'assurer que celle-ci savait faire les tâches ménagères et était capable d'enfanter ? Une nouvelle gorgée du vin lui brûla la gorge, le ramenant brutalement à la réalité. Il détourna son attention des coupes faites par son père, plongeant son regard océan dans celui glacial d'Agápios qui le dévisageait soudainement.
— Pourquoi ta décision me semble si... irréfléchie ? le questionna-t-il, perplexe.
— Ne te fais pas de souci pour moi, répondit calmement Hélios. Tout est très bien pensé.
Mensonge. Mais il ne pouvait continuer de les inquiéter de la sorte, son frère et sa mère, eux qui se souciaient tant de son avenir. D'ici quelques semaines, leurs inquiétudes prendraient fin ; Hélios de Corinthe serait marié. Enfin.
— Qui est-elle ? Est-elle Corinthienne ? reprit Agápios.
— Elle l'est, rassura-t-il son frère. Et elle s'appelle Olympia. Elle vit à la lisière de la plaine de Kraneion.
Agápios prit un air songeur le temps de quelques secondes, fronçant les sourcils et fixant le liquide foncé qui remplissait le récipient, puis adressa de nouveau un sourire à son frère. Hélios grimaça péniblement, attendant avec inquiétude la suite de l'interrogatoire qui l'attendait. Mais il n'en fut rien ; le brun en face de lui leva sa coupe en sa direction.
— À ton union sacrée, mon frère. Que les Dieux t'apportent une femme douée dans tous les domaines.
Le frère cadet porta à son tour la kylix à ses lèvres après l'avoir tendue en direction d'Agápios qui vida sa coupe rapidement. Hélios ne posa pas tout de suite la coupe qu'il tenait entre ses mains, prenant le temps d'en analyser les moindres détails ; les traits, finement dessinés à la barbotine, pâte d'argile servant de peinture sombre pour orner les céramiques, représentaient une scène du quotidien ; un banquet figurait sur le récipient, montrant des hommes aux torses dénudés savourant du vin et échangeant sûrement une discussion des plus banales.
— Père serait fière de toi, annonça l'aîné.
Cette fois-ci, Agápios se tenait tout près de lui, debout en face de sa petite table basse, une main tendue vers le récipient qu'Hélios tenait fermement. Le brun, les traits de son visage tirés par les émotions, tenta malgré tout de dessiner un sourire, en vain.
— Comment vont les affaires ? changea-t-il de sujet. J'ai ouï dire que les Athéniens commençaient à faire concurrence dans le domaine...
Hélios haussa les épaules, laissant la kylix dans la main de son frère qui lui servit un nouveau verre de vin. Le brun, toujours silencieux, prit le temps de secouer le liquide de petits gestes circulaires avant de porter de nouveau la coupe à ses lèvres pour s'enivrer de son goût aussitôt sucré, puis soudainement amère.
— La céramique corinthienne n'a rien à envier à la poterie athénienne, répondit-il finalement. Notre argile est spéciale, notre maîtrise ancestrale.
Agápios acquiesça d'un signe de tête, s'allongeant de nouveau sur le divan en face de son frère cadet.
— De quelle couleur sont leurs poteries ? le questionna-t-il.
— Je dirais dans les teintes orangées, presque rouges... répondit Hélios. J'ai eu la chance d'en voir quelques-unes au port l'autre jour. Mais notre poterie blanche est beaucoup plus raffinée à mon goût.
L'homme en face de lui hocha de nouveau la tête, portant la coupe à ses lèvres.
— Je ne te l'ai jamais dit, mais je suis fier que tu aies repris l'atelier de père.
Le cœur d'Hélios se tordit, formant un nœud douloureux dans sa poitrine tremblante, alors qu'il avalait d'une traite le liquide qui remplissait encore la moitié de sa kylix.
— Comment vont tes enfants ? changea-t-il de sujet.
Alors qu'Agápios lui répondait, Hélios se perdit dans ses pensées, totalement absent de la discussion, le regard rivé sur l'œuvre de son paternel.
Vous me manquez, père, cria-t-il intérieurement.
-ˋˏ Merci d'avoir lu ce chapitre ! ˎˊ-
Hellooo ! Très contente de vous retrouver pour cette première N.D.A. par ici. J'espère que ces 4 premiers chapitres vous ont plu ! J'étais tellement excitée à l'idée de vous faire découvrir mon univers... Quelques petites questions pour me permettre d'avoir votre ressenti sur ce début de lecture et pour de potentielles améliorations pour la future réécriture :
Ce début de roman vous plaît-il pour l'instant ?
Les événements ne vont-ils pas trop vite ?
Quelles ont été vos impressions sur les premiers personnages rencontrés ?
Hâte de vous retrouver très bientôt pour le cinquième chapitre !
Bonne continuation de votre lecture, et merci encore de faire partie de l'aventure ♡
— Marina ☼
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