Chapitre 3

La lyre était un instrument très populaire dans les civilisations antiques. Selon la mythologie grecque, la lyre fut inventée par Hermès, fils de Zeus et messager des dieux ; il créa cet instrument à partir d'une carapace de tortue qu'il perça pour y fixer deux roseaux d'où partaient sept cordes faites de boyaux.


          Olympia ne parvenait pas à chasser le visage d'Hélios de son esprit. Son sourire, qu'elle n'avait pas compris, et qui pourtant semblait vouloir dire des milliards de choses, la perturbait profondément. Son regard, aussi intense que la mer, la hantait. Elle avait tant de questions qu'elle aurait aimé lui poser. Qui était-il ? Pourquoi avait-il demandé sa main à son père ? Était-ce par pitié pour elle ?

          Elle poussa un long soupir, pinçant les cordes de son instrument qui produisirent un son aigu. La jeune femme grimaça, détendant les fils de sa lyre pour descendre d'un ton et obtenir une note plus grave. Elle pinça de nouveau les boyaux de brebis qui lui servaient de cordes, savourant alors la perfection du son qu'elle cherchait à obtenir. De ses doigts expérimentés, Olympia se mit à jouer une mélodie dans laquelle elle se perdit aussitôt. En totale harmonie avec son instrument, elle ferma les yeux, esquissant un sourire timide sur son doux visage pâle. Le souvenir de sa course infernale contre la mort l'entraîna dans une musique tantôt rapide, tantôt calme. À travers les notes qu'elle jouait, la jeune femme exprimait son agonie. Ses doigts parcouraient les cordes de l'instrument à une vitesse époustouflante, produisant une mélodie qui inondait la pièce d'une certaine émotion, qui la submergea alors. Une corde après l'autre, Olympia libéra tous les maux qu'elle n'arrivait pas à exprimer depuis plusieurs jours. La peine, la peur, l'espoir. Car oui, l'espoir était un mal ; alors que la réalité était souvent bien plus cruelle qu'on ne pouvait l'imaginer, espérer revenait alors à s'enfoncer une lame parfaitement aiguisée droit dans le cœur. Et même si à cet instant précis Hélios représentait une lueur espoir pour elle, l'espoir de ne pas avoir un avenir aussi cruel que celui qui lui était destiné, la jeune femme ne pouvait s'empêcher d'être méfiante. Comment tout pouvait être arrangé aussi rapidement ? Les Dieux avaient-ils fini par entendre ses appels à l'aide ? Était-ce leur moyen de se faire pardonner ? Non, les Dieux étaient parfaits et n'avaient rien à se faire pardonner. Jamais. Alors quelle folie avait pu prendre son sauveur pour demander si soudainement sa main ? Était-ce là la punition que les Dieux de l'Olympe lui avaient réservée pour avoir tenté de se donner la mort ?

          Elle pinça de plus en plus rapidement les cordes de sa lyre, suivant le rythme de son cœur qui semblait s'affoler de nouveau face à la vague d'émotions qui l'engloutissait. Olympia laissa un flot de larmes perler le long de ses joues, goûtant à leur goût salé alors qu'elles se déposaient sur ses lèvres d'un rose profond. Hélios ; cet homme portait le nom du dieu du soleil, un prénom qui lui inspira une mélodie étincelante semblable à une chute d'étoiles dans un ciel sombre. Toutes ces lueurs tombant en cascade représentaient-elles son espoir, ou la figure d'Hélios ? Était-il aussi rayonnant que son identité l'entendait ? Éclairerait-il autant sa vie ? Elle tendit davantage les boyaux, cherchant à produire une sonorité plus aiguë.

          Quand le silence envoûta de nouveau la chambre, Olympia ouvrit difficilement les yeux. Des larmes ruisselaient le long de ses joues, floutant sa vision. En face d'elle, dans l'encadrement de la porte de sa chambre, sa mère lui adressait un sourire tendre brisé par un regard torturé. La femme semblait inquiète.

          — C'était une mélodie bien triste... murmura celle-ci, brisant le silence lourd qui pesait sur les épaules d'Olympia.

           Olympia essuya rapidement les larmes qui perlaient encore le long de ses joues rougies par la gêne qu'elle éprouva soudainement. Sa mère avait-elle assisté à toute sa musique ? Elle reposa l'instrument au sol, délicatement, puis se redressa, se raclant la gorge bruyamment.

          — Je ne vous avais pas entendue arriver, Mère, avoua-t-elle timidement.

          La femme pénétra les lieux, s'approchant doucement d'Olympia qui baissait les yeux.

          — Qu'y a-t-il, ma tendre enfant ? demanda-t-elle.

          La jeune femme ne répondit pas, fixant la lyre qui reposait à ses pieds.

          — Nous n'avons pas encore eu l'occasion de parler de votre mariage, reprit sa mère.

          Un sujet fâcheux, pensa intérieurement Olympia.

          Elle se contenta de lui adresser un sourire qui se transforma aussitôt en grimace.

          — Est-ce ce qui vous préoccupe ?

          La jeune femme resta muette, se contentant de secouer la tête.

          — Vous savez, Olympia, je suis soulagée que vous n'épousiez pas Theodósios. Cet homme me faisait une peur bleue, et je n'ose imaginer toutes les choses atroces qu'il aurait pu vous faire subir...

          — Pourquoi n'avez-vous donc pas parlé à Père dans ce cas ? répliqua la jeune femme. Pourquoi m'avoir destinée à un tel monstre alors que vous saviez pertinemment tous deux qui il était, et ce qu'il faisait subir à ses épouses ?

          Sa mère tendit la main vers elle, caressant délicatement sa joue où une nouvelle larme se frayait un chemin. La jeune femme ne bougea pas, prenant de grandes inspirations pour calmer son cœur qui s'affolait dans sa poitrine.

          — Vous êtes sous la tutelle de votre père, je n'ai pas mon mot à dire dans ses décisions, vous le savez bien.

          Olympia secoua la tête nerveusement. Au fond d'elle, son cœur était immolé par des flammes insupportables. Sa mère ne faisait que raviver une douleur qui l'avait poussée au bord du précipice.

          — Votre père était au courant, et il s'en voulait profondément. Mais il n'a pas eu le choix, mon enfant.

          — Je refuse de croire qu'il m'a destinée à cette brute sans avoir le choix ! s'irrita la jeune femme. Il a creusé ma propre tombe en serrant la main de Theodósios de Sparte, et ça, je ne peux l'oublier.

          — Ne soyez pas si dure, et baissez d'un ton ! dit sèchement sa mère. Vous n'imaginez pas le sacrifice que cela a été pour votre père de serrer la main d'un tel homme. Vous n'imaginez pas à quel point ce compromis l'a fait souffrir, lui aussi. Il l'a fait pour votre bien, pour que la société ne vous prenne pas pour une de ces femmes qui finit dans les bordels de la cité !

          Olympia eut le souffle coupé. Était-ce là que le choix de son père s'était porté ? Entre Theodósios et le bordel ? N'avait-elle pas un avenir plus beau devant elle ? Elle secoua la tête, refusant d'entendre ce que sa mère venait de lui dire.

          — Cet Hélios est noble d'avoir demandé ta main, ajouta sa mère. Il est un miracle inattendu.

          Et si Hélios ne s'était pas présenté à nous ? cria intérieurement Olympia.

          Mais elle se tut. Hausser le ton ne servirait à rien. Certes profondément blessée par les choix de son père, la jeune femme n'avait plus aucune raison de lui en vouloir. Après tout, Hélios avait tout arrangé.

          Quel héros ! ironisa-t-elle intérieurement.

          Elle poussa un long soupir.

          — Allons, mon enfant...

          Alors que sa mère tentait d'attraper une des mèches de ses cheveux, Olympia recula d'un geste brusque. Elle dessina un sourire, malgré elle, sur ses lèvres tremblantes.

          — Je vais bien, mentit-elle. Pardonnez-moi pour mon impolitesse.

          Alors qu'elle s'apprêtait à quitter la pièce, sa mère l'appela :

          — Olympia !

          La jeune femme se retourna, affrontant le regard inquiet de la femme en face d'elle.

          — Tout ira bien, tenta de la rassurer sa mère.

          Ils disaient tous ça. Des semaines qu'elle entendait cette phrase, en boucle, à l'en rendre folle. Mais les visages ne trompaient jamais, et les grimaces qui avaient tiré les traits de ses parents suffisaient amplement pour comprendre que tout n'allait pas bien.

          — Souhaitez-vous que l'on parle de votre mariage ? reprit sa mère.

          La jeune femme secoua la tête.

          — Tout ira bien, répéta-t-elle lassement.

          Puis elle quitta la pièce sous le regard désolé de sa mère.



-ˋˏ Merci d'avoir lu ce chapitre ! ˎˊ-

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