Chapitre 14
L'amphore, vase antique à deux anses, est un objet très répandu dans la Grèce antique. Fait de terre cuite, il vient du terme amphoreús qui signifie "qui se porte des deux côtés". Il s'agit du récipient le plus utilisé dans l'antiquité pour le transport de produits tels que le vin ou l'huile.
La cour était vide, tout comme les autres pièces de la maison. Quand il était rentré, Hélios avait compris directement où se trouvait Olympia, la porte de leur chambre fermée. Était-elle au moins sortie aujourd'hui ? La journée avait dû lui paraître longue dans une si petite pièce.
Il ne s'attarda pas trop longtemps sur ce détail, s'enfonçant dans son atelier. Il esquiva les quelques créations loupées qui jonchaient le sol, se frayant un chemin jusqu'à l'endroit le plus dégagé où il pouvait travailler. Il posa le récipient d'argile et d'eau qu'il venait d'aller chercher en rentrant de sa livraison, refaisant son stock. Deux fois par semaine, Hélios passait aux abords de Corinthe pour aller récupérer l'argile qui y était extraites des sols orangés. Une grande amphore comme celle-ci, l'une de ses créations loupées mais intacte, lui permettait de faire trois à cinq poteries.
Son atelier était une petite pièce ; l'était-elle réellement ou était-ce une impression due aux créations qui reposaient sur le sol et sur les nombreuses étagères ? Au fond, un grand bureau de bois lui permettait de stocker à la fois sa barbotine pour la décoration des céramiques mais également les outils pour travailler les détails de ses créations. Juste devant se tenait sa tour de potier.
Il n'était pas rare d'obtenir de l'aide lors du tournage, moment où l'argile était façonnée sur la tour de potier pour lui donner la forme souhaitée. Le plus souvent, un esclave de la maison venait donner un coup de main, ou un assistant pouvait être recruté. La mission de ceux-ci étaient simples : actionner la tour pour permettre au potier de créer. Mais Hélios n'avait jamais souhaité partager un tel moment avec quelqu'un d'autre que son père ; il n'en avait plus le cœur.
Alors il activait la tour à l'aide de ses bras, puis se dépêchait à façonner. L'argile posée en boule sur le grand plateau de bois clair, sans doute du frêne, il le fit tourner entre ses mains sèches jusqu'à ce que celui-ci soit à bonne allure. Puis le brun enfonça ses mains dans la motte d'argile, appuyant un peu plus par endroits pour lui donner la forme souhaitée.
Hélios se lançait dans la création du cratère demandé par l'invité du mariage, appuyant délicatement sur l'argile humide pour l'aplatir. En quelques secondes seulement, la base de son œuvre était constituée ; un grand cercle plat et épais sur lequel il ajouta de la matière pour créer le corps. Les cratères étaient des vases de grandes tailles permettant de mélanger le vin et l'eau lors d'occasion pour les banquets, ce qui lui demandait une base de grande taille. Celle qu'il venait de créer dépassait largement la longueur de son avant-bras, recouvrant pratiquement la totalité de son plateau de frêne.
Il ajouta de la matière au fur et à mesure, redonnant par moments de l'allure à sa tour de potier. Ses muscles le brûlaient alors qu'il s'activait énergiquement, plongeant tantôt ses mains dans le récipient rempli d'argile, forgeant tantôt les parois de la panse. Hélios poussa un soupir, laissant ses bras retomber le long de son corps quelques secondes. Son regard suivait les courbes naissantes de sa création avant qu'il ne ferme les yeux.
Il projetait la forme dans son esprit, esquissait les moindres détails dans son imaginaire. Ce serait un grand cratère aux anses gracieuses qui faciliteraient son déplacement en cas de besoin. Ses épaules seraient très légèrement prononcées, formant un arrondi pour marquer le col large.
Une mélodie lointaine le tira de ses pensées, le faisant froncer les sourcils. Il se retourna, observant la cour vide. D'où pouvait-elle venir ? Hélios tendit l'oreille quelques secondes, savourant les notes cristallines qui résonnaient dans la maison. C'était un air doux, plein de nostalgie, qui faisait défiler les souvenirs incontrôlables dans son esprit.
Olympia ? se demanda-t-il intérieurement.
Sa tour de potier ralentit le rythme, lui laissant mieux entendre les sons aigus. Cette fois, il était sûr que la mélodie jouée provenait de leur chambre. Ainsi la jeune femme savait jouer d'un instrument ? Le brun se surprit à savourer l'air joué, fermant de nouveau les yeux pour se plonger pleinement dans l'univers. Hélios ressentait beaucoup de tristesse, comme si les notes pinçaient son cœur. Les sons produits par la lyre faisaient échos en lui, réveillant une nostalgie interdite.
Il tendit les bras, rouvrant alors les yeux, puis reprit son travail où il l'avait laissée. Il ignorait pourquoi et comment, mais la musique jouée par Olympia le motiva. En harmonie totale avec sa tour de nouveau activée, le brun faisant de grands mouvements délicats pour donner peu à peu forme au cratère sur lequel il travaillait. Le corps grimpait, encore et encore, jusqu'à atteindre presque le niveau de son visage. Alors qu'il était assis en face de sa tour de potier, le vase qu'il venait de façonner faisait désormais la taille de son buste, son regard frôlant l'ébauche de ce qui était les épaules.
De nouveaux sons aigus résonnèrent, il ajouta de l'argile à sa création, laissant ses doigts glisser le long de la matière humide. Ses mains étaient recouvertes de cette matière beige, une couche épaisse remplissant sa paume rugueuse.
Alors que la mélodie s'intensifiait, le rythme de son plateau s'accéléra. Il creusa le col à l'aide de ses deux pouces, de la terre argileuse s'incrustant sous ses ongles. Les mouvements du brun étaient délicats, tantôt accélérés, tantôt ralentis.
Il ajouta de la matière, creusa, et recommença.
Un morceau après l'autre, l'objet prenait rapidement forme. En quelques minutes seulement, le cratère s'élevait fièrement sur la tour du potier. Encore nu, les quelques bosses formées par l'argile mal aplatie était encore visible, mais ces détails insignifiants rendaient le vase d'autant plus beau.
Hélios se rinça les mains dans une amphore pleine d'eau posée à côté de son atelier, essuyant d'un geste bref celles-ci dans un morceau de tissu qui traînait par là. Il s'étira le dos, tendant les bras haut derrière lui et formant un arc. Ses muscles le chauffaient tandis que tous ses os craquaient sous le mouvement soudain. Le potier avait beau rester en mouvement pendant la création, seuls ses bras allaient et venaient le long de l'argile, son corps restant immobile. Quand il lui arrivait de passer des heures dans la même position pour les céramiques qui lui demandaient beaucoup de temps et d'attention, son corps restait douloureux pendant des heures, voire des jours.
Les deux premières étapes de sa mission étaient terminées, mais le plus long restait à venir. Le brun devait former les anses à rattacher ensuite au col et aux épaules pour pouvoir transporter le récipient, décorer son œuvre et la faire cuire. La cuisson était sans doute l'étape qu'il appréciait le moins, moment où il devait mettre en danger toute sa création : trop de cuisson et les motifs viraient au rouge. Sans compter la durée qui lui semblait à chaque fois durer une éternité ; en fonction de la taille de sa création, Hélios passait plusieurs heures devant son four, parfois même une journée entière.
La partie qu'il préférait de loin et qui lui restait à venir était la création de la décoration. Là, il pouvait s'exprimer pleinement. Bien qu'il apprécie tout particulièrement la création du vase, le peindre était toujours une partie de plaisir, un moment d'harmonie avec son œuvre. Quand les clients n'avaient pas de demande particulière pour les décors, comme c'était le cas ici, Hélios se laissait divaguer à toutes sortes de récits. Mais il y ajoutait toujours une touche personnelle, que ce soit sa signature ou les personnages représentés.
Alors que la mélodie continuait de résonner dans les couloirs de la maison, le brun s'installa dans un klinai posé le long de son mur, fermant les yeux quelques secondes pour savourer les notes qui venaient jusqu'à lui, murmurant à son oreille un air bien triste.
Alors qu'il tentait de dessiner dans son esprit l'ébauche de son illustration qu'il apposerait sur le cratère, Hélios tomba dans les bras de Morphée, bercé par la mélodie d'Olympia.
-ˋˏ Merci d'avoir lu ce chapitre ! ˎˊ-
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