Chapitre 13
L'epaulia est la dernière étape du mariage. Le lendemain du gamos (jour du mariage), les proches apportent différents cadeaux laissés par les invités. Le plus souvent, ces cadeaux font référence au nouveau statut de la femme, désormais Nymphé, et représentent un rappel de son nouveau rôle, sexuel et domestique. Par exemple, la grenade était symbole de fertilité ; elle était dédiée à la déesse de l'amour et des plaisirs Aphrodite et à Héra, la déesse du mariage.
Olympia ouvrit péniblement les yeux. La nuit avait été bien plus compliquée qu'elle ne l'avait redouté. Elle avait tourné en rond, des heures durant, craignant la simple compagnie de l'homme qui partageait le lit. Elle veillait à ne pas l'effleurer, retenait presque sa respiration pour ne pas faire de bruit. Dans ces draps étrangers, la jeune femme ne s'était jamais sentie aussi mal. Elle avait peur, était effrayée.
Et si Hélios lui voulait du mal ? Et si, maintenant qu'ils se retrouvaient seuls, il lui dévoilait son vrai visage ? Attendait-il qu'elle s'endorme paisiblement pour s'en prendre à elle ? Que lui ferait-il exactement ? De nombreuses questions l'avaient paralysée toute la nuit. Elle avait jeté des coups d'œil par-dessus son épaule à maintes reprises, mais la montagne qu'était son dos musclé formait un rempart entre eux. De là, impossible de voir si l'homme derrière elle dormait. Une grimace avait tiré les traits de son visage toute la nuit, si bien qu'elle en était au bord de désagréables crampes.
En cette matinée calme, quelques rayons de soleil pénétraient dans la chambre par la petite ouverture dans le mur, où un air frais s'infiltrait. Ses yeux habitués à l'obscurité, elle dû les plisser pour tenter de s'adapter à cette lumière éclatante qui inondait la pièce.
Derrière elle, le lit était vide. Les draps, d'un froid glacial, lui indiquaient qu'Hélios était parti depuis bien longtemps. Elle se redressa, réajustant son chiton de mariage qu'elle n'avait pas encore quitté. D'un coup de main rapide, Olympia tenta de défroisser son vêtement, mais les plis de la nuit passée semblaient désormais incrustés. Elle quitta le lit, ses pieds nus frissonnant au contact de la pierre glaciale, à la recherche du sac qu'elle avait apporté. Elle passa la tête par l'encadrement de la porte, scrutant les couloirs à la recherche d'Hélios. La maison semblait bien silencieuse.
S'aventurant dans la cour sur ses gardes, la jeune femme marcha rapidement en direction de son sac de tissu qui reposait à l'entrée de l'oikos. Elle l'attrapa, puis retourna sur ses pas en trottinant, refermant la porte de la chambre derrière elle. Là, Olympia poussa un long soupir de soulagement. Après s'être assurée que personne n'entrait, elle retira les vêtements qu'elle portait depuis bien trop longtemps à son goût. La jeune femme forma un petit tas de linge à ses pieds, s'empressant de couvrir son corps de nouveaux vêtements. L'odeur du linge propre lui rappela sa maison. Elle ferma les yeux quelques secondes, alors qu'un léger sourire s'étirait sur ses lèvres roses.
Il lui fallut plusieurs minutes pour se décider à ouvrir de nouveau la porte de la chambre, et quelques une supplémentaires pour se déterminer à sortir de celle-ci. Depuis la veille, la maison restait bien trop silencieuse. Olympia n'aimait pas le silence ; il pesait lourd sur ses épaules, écrasait ses poumons et l'oppressait désagréablement.
Pour la première fois de sa vie, elle se sentait seule.
La jeune femme arpentait les couloirs de la maison, longeant la grande colonnade de la cour, savourant les moindres détails de la demeure. Dans la pénombre, il lui avait été difficile de tout observer.
La cour était bien plus grande que chez ses parents, laissant une agréable ouverture sur le ciel bleu. En son cœur, de nombreux vases de différentes taillent jonchaient le sol. Certains étaient recouverts de peintures aux détails précis, d'autres totalement nus. Elle longea les murs du regard. Elle ne l'avait pas remarqué dans la pénombre, mais les façades de la cour étaient ornées de fresques colorées représentant des scènes divines. Olympia laissa ses doigts parcourir les traits fins qui coloraient la maison, savourant les histoires que ceux-ci racontaient. C'était la première fois qu'elle voyait une fresque dans un oikos. Il fallait dire qu'en dehors de la maison de ses parents, la jeune femme ne s'était que très rarement aventurée chez d'autres Corinthiens ; elle n'avait visité que très brièvement la demeure de Galateïa.
Elle jeta un coup d'œil dans l'encadrement de la porte qui s'ouvrait sur l'atelier d'Hélios, curieuse d'en voir plus que la veille. Les lieux semblaient vides. Où pouvait-il bien être en cette heure matinale ? Livrait-il déjà une de ses commandes, ou était-il parti se soûler à la taverne pour oublier cette longue nuit ?
Et si il la voyait dans son atelier, comment réagirait-il ? Un courant de frisson envahit tout son corps alors qu'elle reculait d'un pas. La curiosité pouvait être un mauvais défaut, et, à contre cœur, elle préféra s'éloigner de l'antre du potier.
Olympia continua sa ronde dans la petite cour, découvrant un peu mieux les pièces qui composaient désormais sa nouvelle maison. Elle ne s'y sentait pas particulièrement chez elle, mais avait beaucoup moins se sentiment de malaise que lorsqu'Hélios se tenait à côté d'elle. Elle s'accroupit devant l'un des vases, observant ses détails de plus près. Elle n'y reconnaissait là aucune histoire, mais le récit conté représentait un enfant et un homme se tenant la main. La jeune femme ignora pourquoi, mais cette simple peinture suffit à lui arracher un sourire niais. Pourquoi ressentait-elle du réconfort face à cette amphore ? Était-ce la douceur du dessin qui l'émouvait autant ?
Un bruit sec retentit derrière elle, la faisant sursauter. Olympia se retourna, le cœur affolé, affrontant les regards sombres qui se posaient sur elle.
— Père, Mère... murmura-t-elle surprise. Que faites-vous ici ?
Ses parents s'approchèrent, pénétrant alors dans la cour. Son père, vêtu d'un chiton clair, avait plaqué ses cheveux grisonnants en arrière, dévoilant son front mat où le temps commençait à laisser des marques. À la droite de celui-ci, sa mère portait un tissu beige resserré à l'épaule gauche.
— Bonjour Olympia, répondit son père.
— Nous sommes venus t'apporter quelques cadeaux laissés par les invités, continua la femme à ses côtés.
Dans ces lieux si étrangers, croiser des visages familiers suffit à Olympia pour que les larmes floutent sa vision.
— Tu as eu beaucoup de graines et de fruits... Galateïa t'a tissé un vêtement.
Ils s'approchèrent d'elle, sa mère posant une main rassurante sur son épaule tremblante. Olympia pleurait. Elle implosait. Toute la pression de la nuit passée s'échappait en des torrents de larmes qui trempèrent ses joues roses.
— Et nous t'avons apporté un petit quelque chose, ajouta son père.
Il lui tendit un épais sac en tissu, que la jeune femme ouvrit, hésitante. Quand elle réalisa ce qui se trouvait à l'intérieur, elle enfouit son visage entre ses genoux.
— Ne pleure pas, mon enfant... murmura sa mère à son oreille.
— Merci... parvint à peine à répondre Olympia.
Elle tira alors l'objet de la grande poche, l'observant d'un regard émerveillé.
Ses parents lui avaient apporté sa lyre, l'objet qu'elle aimait le plus au monde, cette petite chose qui la libérait.
Son instrument de cœur, celui qui faisait vibrer les cordes de son âme et qui exprimait les émotions qu'elle ne parvenait à dire à voix haute.
— Nous avons pensé que tu aimerais l'avoir ici, précisa sa mère.
Olympia ne sut quoi répondre. Elle serra son instrument fort contre elle, soulagée de tenir sa lyre dans ses mains.
— Nous ne faisions que passer, dit son père.
La jeune femme écarquilla les yeux. Ils ne pouvaient pas partir, pas encore. Olympia se redressa, serrant ses parents dans ses bras aussi fort qu'elle le pouvait.
— Nous ne serons jamais bien loin, ma fille.
Les mots de son père lui déchirèrent le cœur alors qu'un courant de frissons désagréable courrait le long de son corps tremblant. Elle prit une grande inspiration, inhalant le parfum familier de la chevelure de sa mère, puis s'écarta. D'un geste rapide, la jeune femme effaça les quelques larmes qui perlaient sur ses joues, s'efforçant de sourire.
— Merci, répéta-t-elle.
Ils n'ajoutèrent pas un mot, s'éclipsant rapidement par la grande arche donnant sur les rues bondées. En quelques secondes, ses parents avaient disparu dans la foule de Corinthiens.
Olympia tomba à genoux, serrant son instrument contre sa poitrine.
Ses larmes tachèrent la pierre claire de la cour vide.
Elle hurla intérieurement.
-ˋˏ Merci d'avoir lu ce chapitre ! ˎˊ-
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