Caterina
« L'unique chose à quoi on doit penser, et je m'en rends compte sur la fin de ma vie, c'est à la mort. »
- Umberto Eco, le Nom de la Rose
Lorsqu'un marin arrivait dans le port d'Auditore, il devait tout d'abord traverser une longue jetée, dont la présence de nombreuses épouses lui avait donné le sobriquet de Criée, mot cruel sans doute trouvé dans une taverne un soir de beuverie, par un voyageur assez hypocrite pour ne pas se rendre compte que sa femme l'attendrait avec empressement lors de l'escale suivante, et que s'il ne revenait pas, elle le pleurerait au sanctuaire qui donnait vue sur la mer et où on veillait les âmes de ceux dont on n'avait pas retrouvé le corps. Et si le loup de mer n'avait pas de coeur qui l'attendait, il pouvait toujours se consoler auprès d'une fille de joie dans une de ces sordides auberges signalées par une lucarne rouge. Ainsi même dans leur vie solitaire, les marins étaient toujours entourés par les femmes.
Mais que celles-ci fussent compagnes, prostituées ou veuves, leur rôle restait particulièrement ingrat. Ce n'était pas pour rien que les mères refusaient que leurs chers enfants s'approchassent de ceux qui étaient déjà mariés à la mer. Et pour cela, elles avaient un allié de poids dans l'austère couvent des Sœurs Servantes, que tant de jeunes prétendants ont voulu franchir malgré la présence des cruelles gardiennes.
Pourtant, mon intention n'était pas d'intenter à l'intégrité morale des pensionnaires quand je pénétrai pour la première fois dans leur imposante bibliothèque, mais d'abreuver ma soif de connaissances en recherchant un ouvrage fort rare. Profitant de l'ouverture aux érudits le matin – et de la réputation philanthropique de ma famille qui me permettait aisément de dépasser les horaires - je restais à étudier les récits de voyage et recueils de contes, qui circulaient à l'époque au gré du passage des colporteurs.
Quand j'ai croisé pour la première fois le regard de Caterina di Firenze, j'en suis resté muet d'admiration et n'ai pas su lui répondre quand elle m'a demandé de chercher le Pentamerone, évitant ainsi que l'escalade de la haute échelle ne dévoile ses chevilles devant un inconnu. Elle avait les yeux d'un bleu-gris clair, très expressifs, et le teint pâle qui contrastait avantageusement avec les beautés brûlées par le soleil que l'on voit sur le port. Souvent délavés par les larmes qu'impose la rigueur religieuse, ils pourraient nous guider aux paradis si leurs regards n'invitaient pas à des activités moins pieuses.
Mais c'est surtout l'amour des lettres qui nous a rapprochés, et j'en suis rapidement arrivé à lui prêter clandestinement certaines de mes lectures. S'ensuivi une longue romance qui dura tout l'hiver, faites de feuillets glissés entre les pages et de sourires échangés. Tout aurait pu en rester là si nous n'avions pas été découvert.
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