Chapitre 33
« Bona valetudo melior est quam maximæ divitiæ »
Une bonne santé vaut mieux que les plus grandes richesses
Monsieur Nekota ne disait rien, laissant ses yeux fixés sur la route. Sa mâchoire ne cessait de se contracter plus les minutes défilaient et plus nous nous rapprochions de la bâtisse où nous étions ce matin.
L'ambiance était quasiment macabre.
- Si elle utilise son alter, ne prends pas peur. Les effets ne durent pas très longtemps et elle le fait juste pour être sûre d'avoir l'ascendant sur la discussion.
Je hochais la tête de compréhension, il ne semblait pas vouloir m'en dire plus à propos de son pouvoir. Indirectement, lui aussi me mettait à l'épreuve et je pouvais que le comprendre. L'avenir de sa fille était en jeu et tout reposait sur mes épaules, un quasi inconnu qui était apparu un beau jour.
Le paysage provençal défilait devant nous, jusqu'à ce que la voiture entre dans un terrain privé. Nous étions arrivés et la confrontation commencerait au moment même où nos pieds fouleraient le sol.
Le moteur arrêta de vrombir et alors que j'allais me précipiter dehors pour régler cette histoire au plus vite, une main m'arrêta.
- Qu'importe le fin mot de la discussion... sauvez-la et rendez-la heureuse. Me dis d'une voix si faible le père de Kuro que je doutais un instant de ce que je venais d'entendre. Il sortit de suite du véhicule sans me laisser le temps de répondre, il ne se donna pas non plus la peine de m'attendre et partit vers la demeure dans son smoking impeccablement repassé.
J'inspirais un grand coup avant de recracher l'air qui avait empli mes poumons et de le rejoindre.
- Je vous le promets.
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- Mais monsieur, son agenda est extrêmement chargé aujourd'hui... baragouina de peur le secrétaire de Cynthia Polizzi, un homme d'une extrême maigreur qui commençait à avoir des signes d'une calvitie imminente, la peur que lui inspirait le faux yakuza ne devait pas y être pour rien.
- Écoutez moi bien, Monsieur Jorris, une vie est en jeu en ce moment même, alors soit vous me trouvez un créneau de rendez-vous immédiatement avec Cynthia, soit je m'occupe personnellement de faire de votre vie un véritable enfer. Suis-je clair ?
L'homme appuya sa menace en rendant ses yeux rouges, d'une lueur menaçante. Kuro m'avait expliqué que l'alter de son père était parfaitement passif mais qu'il s'en servait pour faire peur aux gens. Le pauvre Chuck Jorris, comme indiquait le nom inscrit sur son étiquette, ne devait pas être au courant de ce détail puisqu'il déglutit d'un coup tandis que la sueur commençait à transparaître sur son crâne à moitié dégarni.
Je ne savais pas ce qui venait de se dire mais je devinais sans mal que Monsieur Nekota avait obtenu ce qu'il désirait.
- Je vais voir si je peux décaler un rendez-vous...
- Annule les tous ! Si c'est une question de vie ou de mort, la question doit être traitée avec grand intérêt n'est-ce pas ?
La nouvelle voix qui venait de résonner m'était inconnue, pourtant du haut des escaliers, tenue dans une position parfaitement droite, les deux yeux verts qui me scrutaient m'étaient plus que familiers.
Si Kuro tenait sa peau pâle et ses cheveux de son père, nul doute qu'elle tenait ses yeux de son côté maternel. Cependant, si ce n'était la couleur, ils n'avaient rien d'autre en commun. Là où l'intelligence, la spontanéité et le bonheur éclataient dans les prunelles de mon aimé, je ne voyais ici qu'un mélange de malice, de stratagème, de froideur mais également d'une profonde tristesse.
- Suivez-moi. Dit-elle, tandis qu'Akaime me fit signe de la suivre dans son bureau.
Dans la pièce, elle s'assit derrière une table en acajou, les logos de sa marque sculptés dessus. La pièce était grande et très lumineuse grâce aux fenêtres qui donnaient à l'Est. Des bibliothèques trônaient contre les murs, des livres du monde entier et de toutes les couleurs y étaient rangés. Je ne pouvais continuer mon inspection ou savoir si je les avais lus car, la cheffe de famille s'irrita la gorge avant de nous faire signe de nous installer.
-Donc ? Vous venez me déranger pour quoi ?
D'un simple geste de la tête le père me fit signe que c'était à moi de m'exprimer.
- Bon...jour ? Je suis Takami Keigo. Essayais-je de baragouiner dans un français approximatif.
- Le Japon fait les meilleurs whiskys au monde, c'est normal que je le parle et le comprenne. Ne me fais pas perdre du temps inutilement et parle.
J'étais pour le moins surpris de ce manque de tact et de cette agressivité soudaine à mon encontre mais cela m'arrangeait grandement. Kuro devait repartir avec moi et il fallait qu'elle le comprenne.
- Je suis venu vous voir pour vous dire qu'il était hors de question que Kuro abandonne ses rêves à cause de vos ambitions.
Elle laissa un long silence me scrutant dans le blanc des yeux avant de reprendre.
- Je vous laisse vous présenter proprement.
- Je suis Takami Keigo, héros au Japon.
- Monsieur Keigo, il me semble que Kuro est toujours sur le territoire français. Si elle désirait tant que ça de partir, ne pensez-vous pas qu'elle se serait échappée ?
- Kuro n'a pas à choisir entre son travail et sa famille. Est-ce que vous pouvez imaginer ce qu'elle doit ressentir à cet instant ?
- Akaime ... Je vais parler seul avec ce jeune homme. Tu peux retourner travailler, j'ai besoin des documents pour valider les prochaines livraisons et exports, demain matin au plus tard.
Il salua sans un mot avant de sortir de la pièce, le dos droit. Cependant avant de fermer la porte je vis que son regard était plongé dans le mien. Un simple message pouvait s'y lire.
« C'est à toi de jouer »
La porte se referma dans un léger grincement tandis que je me reconcentrai exclusivement sur la femme qui se tenait assise.
-Vous semblez penser que je suis un monstre qui n'aime pas sa famille et qui gère avant tout ses intérêts, je me trompe ? (J'allais ouvrir la bouche mais elle m'interrompit de suite.) C'était une question rhétorique, je me doute déjà de ce que Kuro ou Akaime ont pu vous dire sur moi. Sachez qu'ils ont bien raison sur le fait que je gère mes intérêts avant tout, mais je le fais également pour protéger ma famille, aussi crétins soient les membres qui la compose.
- Je ne comprends pas. Pourquoi vouloir que ce soit Kuro votre héritière. Elle n'y connait rien et est en train de réaliser son rêve.
- Tu as toujours voulu devenir héros ? Ça doit être merveilleux de réussir aussi jeune à accomplir tel exploit, d'avoir la foule qui t'acclame et te sourir à chacun de tes passages. Malheureusement, tout le monde ne peut pas accomplir ses rêves. Kuro est la seule pour le moment à pouvoir gérer un tel empire. Ses cousines ne sont pas encore prêtes et manquent de maturité, j'ai l'espoir que ce dilemme les aide à grandir mais si rien ne se passe, Kuro restera PDG. Je crois que vous avez vous-même subi les vrais caprices de Sixtine.
- Mais vous l'utilisez ?
Un sourire triste flottait sur ses lèvres alors qu'elle reprenait contenance.
- Je n'ai pas vraiment le choix. Ça ne me plait pas non plus de revenir sur mes paroles, Kuro n'aurait rien dû avoir de l'héritage et ne rien avoir à faire avec la famille, pourtant la voilà nommée héritière. Vous savez aussi bien que moi qu'elle ne pourra pas s'échapper bien longtemps, la culpabilité d'avoir abandonné sa famille la rongera et elle reviendra, la tête basse pour accomplir son devoir. C'est une femme intelligente mais trop sensible.
- Pourquoi maintenant ? Qu'est-ce qui vous a fait changer d'avis ? Kuro m'a dit que jamais vous ne lâcheriez votre empire. Vous avez travaillé toute votre vie pour ça !
Cynthia Polizzi me regarda droit dans les yeux, ses lèvres tirées dans un sourire énigmatique et ses yeux perçants me sondaient. Là, je finis par comprendre tout ce qui se passait, tous les non-dits qui se tramaient depuis le début.
- Vous êtes en train de mourir. Nul besoin de question. Cette femme qui se faisait passer pour une méchante, était en réalité en train de protéger sa famille une dernière fois avant son ultime voyage. Elle souffrait en silence pour éviter les regards de pitié ou les tensions entre les membres de sa famille. Depuis combien de temps le savez-vous ?
- Depuis un moment, mais malgré mon âge on garde quand même espoir et on se raccroche à la vie. Les médecins m'ont annoncé que plus rien ne pouvait être fait et que je mourrai au plus tard dans un an. Le cancer me ravage, le même qui m'a pris ma fille, ironique non ? Ça me laisse au mieux un an pour préparer cette succession, réintégrer ma petite fille dans la famille et m'assurer qu'aucun de ses membres ne manque de quelque chose après ma mort. Seule Kuro a la capacité de garder tout ce pour quoi j'ai travaillé en vie. Alors, vous comptez toujours m'en empêcher ?
Je ne savais que dire pour le moment. Un véritable choix cornélien allait s'imposer à ma bien-aimée, soit elle réalisait son rêve et abandonnait sa famille, soit elle quittait tout ce pour quoi elle avait travaillé si dur et permettait aux autres de vivre en perpétuant l'héritage de sa grand-mère. La seule qui pourrait éviter cela était une jeune femme encore immature, et après ce qu'elle m'avait fait, Kuro ne lui demanderait jamais d'aide.
- Il existe forcément une autre solution !
- C'est vous le héros, pas moi. Si vous accomplissez des miracles, allez-y je vous en prie, le plus simple selon moi serait de me guérir intégralement pour que tout revienne à sa place. Vous pouvez faire ça ? Non ? Et moi qui pensait que les héros étaient sacralisés comme des dieux, m'en voilà bien triste, vous n'êtes que de simple humain. La conversation allait bientôt s'arrêter sans que je ne puisse faire quelque chose. J'avais promis à Kuro et à son père de faire quelque chose, de la sauver de ce destin qui n'était pas le sien. Il me fallait plus de temps pour pouvoir faire quelque chose.
- Un mois. Donnez-moi un mois pour trouver une solution.
- Non.
- Deux semaines alors ! Si je n'y arrive pas, je deviendrai un de vos salariés, vous pourrez faire ce que vous voudrez de mon image.
-Vous êtes prêt à sacrifier le reste de votre vie juste pour sauver celle de Kuro ? Etes-vous aussi stupide que ça ?
-Non, je l'aime. Si elle est condamnée à rester ici pour le restant de ces jours, alors je resterais à ses côtés.
-L'amour hein ? C'est vraiment stupide mais bon... Une semaine c'est tout ce que je vous laisse, pas un jour de plus. Si la solution ne me convient pas, Kuro et vous resterez ici à apprendre le métier et à m'obéir. Vous êtes prêt à vous engager là-dedans ?
-Oui.
Un sourire en coin survint au coin de ses lèvres. La lueur dans ses yeux venait de changer, elle s'amusait très clairement de la situation. La femme mourante devant moi n'en avait rien à faire, tout ce qu'elle voulait c'était que son affaire continue de tourner quoi qu'il advienne.
-Bon courage alors. J'ai encore du travail à terminer, je ne vous raccompagne pas. Je compris qu'il fallait que je parte à ces mots. Sans même qu'elle ne lève les yeux du papier qu'elle commençait à lire, je m'inclinais respectueusement avant de me diriger vers la sortie.
La porte entre-fermée, j'entendis les dernières paroles qui m'étaient adressées.
-Bien sûr, si vous dites à qui que ce soit pour la maladie, vous perdez d'office ce petit jeu ! Oh, et dites à Kuro que les boutons de manchettes pour un homme c'est important. Je suis étonnée qu'elle vous ait laissé partir sans.
Je fermais la porte sans rien dire, les joues légèrement rougies par cette dernière remarque.
Les fenêtres du couloir me montraient que la nuit était tombée depuis un moment. En regardant par la fenêtre je pu voir que la voiture qui m'avait emmené était déjà partie. Heureusement que j'avais un bon sens de l'orientation et que le gps fonctionnait ici.
J'en profitais enfin pour regarder la décoration de là où j'étais, un vrai manoir de film. Les couloirs étaient illuminés par divers chandeliers accrochés au plafond. Le sol en parquet avait un long tapis rouge pour indiquer la direction. D'autres portes en bois, exactement comme celle du bureau de Cynthia Polizzi étaient de part et d'autre dans le couloir. Je plaignais les personnes qui devaient nettoyer cet endroit.
Le secrétaire à l'accueil, me lançait de légers regards de derrière son écran. Ses yeux s'étaient légèrement écarquillés en me revoyant descendre tel quel, il avait dû voir plus d'une fois des gens s'enfuir ou partir d'énervement. Pour ma part, j'étais juste perdu dans mes pensées, cette femme était vraiment une personne atypique qui se battait pour elle et pour sa famille, même si elle disait le contraire. Une véritable force de la nature, qui préférait mourir seule dans les secrets et les non-dits plutôt que d'attirer les regards de pitié. Elle avait tout construit seule, elle sauverait son empire seule. Tel était son destin.
Aussi étrange que cela puisse paraître je ne la détestais pas. Elle venait sûrement de me donner la mission la plus compliquée de ma vie, mais je pouvais la comprendre. C'était le moment pour moi de me montrer digne de ma belle et je n'allais pas la décevoir.
J'avais une idée de par où commencer, de comment procéder, mais Kuro allait terriblement m'en vouloir pendant un long moment. La première chose que je ferai en rentrant serait de m'excuser de tout ce qui allait se passer durant cette semaine.
Je ne voyais qu'une seule solution au problème que nous avions.
Il fallait que nous travaillions main dans la main avec Sixtine Polizzi, la femme qui m'avait embrassé délibérément devant ses yeux ce matin même.
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Les dialogues en italiques sont en Français. Les autres sont en japonais la langue que comprends Hawks.
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Bonjour à tous,
J'ai un peu de retard sur la publication du chapitre et je m'en excuse! J'essaye de tenir le rythme d'un chapitre par mois mais j'avoue que ces derniers temps je trouve très peu de moment pour écrire. Je vais me refaire un petit planning pour caler mes séances d'écriture!
J'espère que ce chapitre vous aura plu et que l'attente en valait le coup en tout cas. Cynthia Polizzi est un personnage haut en couleur et avec une force de caractère que j'apprécie énormément. Et vous? Vous l'aimez bien ou vous souhaitez déjà ardemment sa mort?
Merci beaucoup pour tous les votes et les vues qui ne cessent de grandir, c'est toujours un choc et une motivation pour moi de voir que cette histoire vous plait! J'ai l'impression de vous le dire souvent mais merci de tout ce que vous m'apportez!
Avant de tomber dans le sentimental je vous laisse avec le teaser du prochain chapitre :
-Tu ne m'as toujours pas dit ce que tu avais écrit sur ce contrat. Commença-t-il après s'être assuré que nous étions loin des oreilles traînantes.
- Juste de quoi assurer qu'on ne m'embête pas, rien de bien important.
- Vu la tête qu'elle a tiré, je peux assurer que tu ne dis pas tout.
- Juste de quoi lui apprendre une leçon importante dans sa vie, mais il semble qu'elle est déjà prête à l'accepter puisqu'elle a signé sans rechigner. Je pense qu'on va bien s'amuser cet après-midi en tout cas, dommage que je ne puisse pas filmer.
- Parfois, tu me fais vraiment peur...
Cette dernière phrase ne fit qu'agrandir mon sourire, Sixtine avait touché à ce qui m'appartenait et allait maintenant en payer pleinement les conséquences.
Allez savoir ce que Kuro a prévu pour se venger de sa chère cousine!
A très bientôt~
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