La jeune fille de la houle
La quiétude régnait dans la chambre lorsqu'un homme d'un âge relativement avancé s'assit sur la chaise près du lit, un livre à la main. Une voix d'enfant se fit entendre.
- « Grand-père ! Grand-père ! Tu me lis une histoire ? »
- «Oui, bien sûr. Tiens, aujourd'hui je vais te lire une légende bretonne. Elle s'intitule : « La jeune fille de la houle ». Le vieil homme ouvrit le livre, s'éclaircit la voix et commença à lire de la voix calme et posée des conteurs.
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Il était une fois, dans le beau pays breton, une jeune femme qui rentrait bien tard du village. Il faisait nuit noire quand Enora entreprit le long trajet vers la ferme de son oncle. Le vent était si fort que les vagues atteignaient les plus hauts rochers sans une once de difficultés. La lune, seule dans le ciel couvert de nuages, constituait l'unique source de lumière dans cet univers aux nuances ébène. La bretonne savait que traverser les landes serait une manière plus rapide d'arriver à la ferme, mais ces territoires vierges étaient réputés pour leur dangerosité. Qui n'avait pas déjà entendu une histoire sur des voyageurs égarés qui disparaissaient ou des villageois retrouvés morts dans d'affreuses circonstances ? Après un moment d'hésitation, la jeune femme se décida et entra dans le territoire des korrigans. Le vent soufflait sur la lande dénudée. Elle marchait vite en se répétant : "ne pense pas aux korrils, ne pense pas aux korrils ". Les petits êtres étaient connus pour détourner les voyageurs de leur chemin en les entraînant dans leurs rondes infernales. Ceux qui survivaient jusqu'au petit matin n'étaient pas nombreux, si peu que l'on pouvait les compter sur les doigts de la main. Mais la jeune femme se sentait en sécurité. Elle portait sur elle un chapelet qui la protégerait des farceurs. Elle continue sa route sans grande inquiétude. Soudain, un son semblable à de la cornemuse se fit entendre. La jeune femme se figea de peur. Mais qu'était-ce donc ? Le bruit se répéta. Elle comprit alors l'origine de l'étrange mélodie. Ce n'était que de fortes vagues qui s'écrasaient contre les parois d'une des nombreuses grottes que contenaient les falaises du Finistère. Rassurée, elle reprit sa marche dans l'obscurité de la nuit. Les bourrasques brutales et froides la glaçaient jusqu'au plus profond de sa chair. N'en pouvant plus de frissonner, elle se mit à trottiner en espérant qu'un peu de mouvement la réchaufferait. Malheureusement, la vitesse ne fit qu'accroître la sensation de gel qu'elle ressentait et au bout, de quelques instants, ses mains étaient bleues. Elle s'arrêta, le souffle court et constata qu'elle était arrivée près de la sinistre falaise dite des « péchés ». On raconte qu'un prêtre, dévoré par les remords, se serait jeté du haut des rochers. La mer, houleuse et déchainée, se serait emparée de son corps avec voracité, le faisant disparaitre à tout jamais du monde des Hommes. Nul ne sait s'il était condamné à souffrir dans l'enfer éternel ou si Dieu, l'ayant pardonné, lui permettait d'expier sa faute au purgatoire. La jeune femme médita sur la tragique histoire mais ne parvint à se remémorer la faute qui avait précipité l'homme de foi vers la mort. Une violente bourrasque la fit revenir à elle. Elle scruta les environs du mieux qu'elle put. La lande semblait s'étendre inexorablement vers l'horizon, mais en baissant le regard, notre jeune amie aperçu ce qui devait être une étroite grève perdue entre les falaises abruptes. Elle s'approcha encore et encore, se sentant étrangement attirée par cette langue de sable et de galets, qui pourtant n'avait rien d'exceptionnel. Ses pieds roulaient sur les petits rochers instables quand elle parvint au bord de la falaise. Elle leva la jambe, prête à faire un nouveau pas, quand un sinistre craquement se fit entendre dans la nuit. Soudain, Enora ne sentit plus aucune pression comme si elle volait dans les airs. Elle poussa un cri de désespoir, comprenant que la corniche, sur laquelle elle était en équilibre, s'était détachée de la paroi de grès. Elle fut précipitée une vingtaine de mètres en contrebas vers le sol rocailleux, accompagnée de plusieurs tonnes de roches en chute libre. Sa tête finit par heurter les galets durs et le voile noir de l'inconscience l'enveloppa comme une épaisse brume malveillante.
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L'astre solaire se levait lentement, illuminant de sa clarté dorée les vagues puissantes. Le vent faisait bruisser l'herbe et les petits arbustes de la lande. Une silhouette fantomatique se détacha du calme environnant. Elle se dirigeait lentement vers la plage, savourant la sensation de ses pieds sur les rochers, déjà légèrement chauffés par le soleil naissant. La silhouette se déplaçait d'une façon si aérienne et légère que l'on pouvait penser qu'elle volait, tel un oiseau qui se prépare pour son envol. Elle descendit la falaise et arriva sur les galets en continuant sa balade vers le rivage balayé par l'écume mourante de l'océan. Son regard se perdait dans l'étrange paysage synonyme de liberté. C'est alors que ses yeux furent accrochés par une chose qui ne semblait pas avoir sa place dans la quiétude de la grève. Son corps se mut pour mieux distinguer l'objet de son intérêt. Sa surprise fut bien grande quand elle comprit l'identité de l'étrange forme. Ce n'était pas un rocher mais une jeune femme endormie ! Elle approcha sa main pour repousser les cheveux du front de la dormeuse mais finit par constater avec tristesse que la vie s'était envolée de son corps fin et juvénile. Après un court moment de réflexion, sa décision fut prise. Elle murmura à l'oreille de la morte une formule avant de poser ses lèvres sur celles de la jeune femme puis se décolla prestement. Un sourire fendit son visage d'une beauté surnaturelle quand les yeux de sa nouvelle protégée s'ouvrirent à nouveau. Elle était en vie.
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Enora entendit des paroles dans le noir total où elle s'était retrouvée après sa chute. Elle voulu pousser un gémissement mais rien ne sortit. Elle comprit alors qu'elle ne contrôlait plus rien. Paniquée, son esprit fut assaillit par des milliers de questions. Où se trouvait-elle ? Était-elle morte ? Irait-elle au paradis ou son destin la mènerait-elle vers de nombreuses années de purgatoire ? Ses interrogations furent brusquement arrêtées par une impression de baiser sur ses lèvres. La jeune femme sentit alors une force extérieure la pousser avec force, comme si quelqu'un essayait de lui notifier que Dieu avait décidé qu'elle ne le rejoindrait pas maintenant. Elle ouvrit les yeux mais les refermât presque immédiatement, éblouie par le soleil naissant. Quand ses yeux furent habitués, elle les rouvrit et distingua difficilement un corps de femme dans le voile de brume couvrant sa vision. Petit à petit, ses yeux furent plus précis et elle put mieux détailler la silhouette qui se présentait au-dessus d'elle. La femme était fort étrange. Ses cheveux blonds semblaient être pourvus de reflets d'un bleu similaire à l'océan. Sa peau, d'apparence si parfaite, était nacrée comme une perle d'huitre. Son regard s'attarda sur ses yeux aux iris d'un bleu ciel aux nuances de gris ressemblant à un orage. Enora brava alors sa peur et posa la question qui brûlait ses lèvres depuis son éveil.
- « Qui êtes vous ? »
La femme la regarda longuement en souriant avec bienveillance. Elle avança son bras et lui caressa doucement les cheveux.
- « Je m'appelle Awena mais on me surnomme souvent la fée de la houle. Tu n'as pas à t'inquiéter, tu es en sécurité avec moi. »
Enora la regarda avec incrédulité. Elle bredouilla : « Vous ... Vous êtes une fée ?! ». Awena sourit et lui affirma la vérité. Elle se redressa doucement et tendit la main vers la jeune femme en lui proposant de la suivre. Notre jeune amie se leva et la suivit du mieux qu'elle put, tanguant sur ses frêles jambes fatiguées après sa violente chute. La fée la conduisit vers sa grotte. L'entrée était étroite et sombre mais Enora n'hésita point. Les deux comparses marchèrent pendant un long moment dans le couloir de pierre. Lorsqu'elles arrivèrent enfin au bout, une agréable lumière les inonda. La jeune femme découvrit alors avec étonnement un immense palais fait de nacres, de coquillages et de joyaux plus beaux les uns que les autres. Elle ne put retenir un petit cri d'exclamation devant toutes ses merveilles. Awena s'avança sur la longue allée bordée de fleurs ayant une étrange similitude avec des anémones, suivie de près par sa protégée qui ne cessait de regarder partout tant l'endroit était remplis de magnificence. Le trajet fut bref et les deux amies arrivèrent vite au pied de l'imposant château. Une jeune fée habillée de soies bleues les accueillit en souriant. Enora était émerveillée. L'intérieur de l'imposante demeure était richement paré de meubles en bois de qualités, de soieries et de magnifiques joailleries. Les murs étaient ornés de rubis, saphirs, émeraudes et autres diamants avec des plinthes en marbre. La jeune fée les mena vers la salle de banquet. Lorsque la porte s'ouvrit, notre jeune comparse ne put à nouveau retenir un cri de surprise : le plafond semblait si haut qu'elle ne parvenait pas à en voir la limite. Cette salle pouvait bien contenir plus de milles personnes dans de parfaites conditions. Awena lui montra le chemin et les deux femmes s'assirent sur de confortables coussins. La suite de la soirée fut merveilleuse. Les plats étaient excellents et copieux, les boissons collaient à flots et une musique douce et mélodique emplissait la pièce avec volubilité. Après le sublime festin, les convives se mirent à danser sous une mélodie entrainante. L'orchestre faisait vibrer les cordes des harpes, les binious sortaient leur son si particulier et les bombardes résonnaient dans l'infinité de la salle. Enora qui se mouvait d'abord timidement, finit très vite par être entrainée par l'ambiance et mena souvent la danse. Mais malheureusement, tout à une fin, et celle-ci arriva rapidement. Awena reconduit sa protégée à l'entrée de la grotte et lui glissa un coquillage de petite taille dans la main fine de la jeune fille.
- « Prends en bien soin, il est très précieux. Si tu es en danger ou que tu as un gros problème, tu souffle dedans et où que tu sois, j'accourrai. »
La jeune fille prit sa marraine dans ses bras avant de se retourner et reprendre son périple vers la ferme familiale. Alors qu'elle était en chemin, elle se rendit compte avec horreur que son aventure avait dû durer au moins deux jours, son oncle allait encore la disputer ! Elle médita jusqu'à la familière bâtisse, tentant de trouver une excuse assez convaincante pour son absence. Mais, quelle fut sa surprise quand une femme d'une quarantaine d'années sortit de son logis. Son oncle s'était-il trouvé une nouvelle femme en seulement deux jours ?! Anxieuse, Enora s'avança vers l'étrangère. Mais son geste fut stoppé dans son élan par la femme qui l'apostropha grossièrement :
- «Qu'es' que tu fais plantée là, la p'tiote ?! T'as rien à fabriquer, c'est une propriété privée ici !»
- «Mais ! Mais ... Je ... Je suis la nièce de Jean ... Le propriétaire !»
La réponse de la bonne femme fut virulente.
- «Qui ?! Ah, l'ancien propriétaire ?! Pauv' p'tite idiote ! Ça fait sept ans qu'il est dans la tombe ! 'Parait qu'il s'rai mort de chagrin à cause de sa nièce qui l'a abandonné pour un homme ou un truc dans l'genre ... »
Le choc fut brutal et douloureux. Enora se retourna brusquement et s'enfuit en courant, les joues striées par les larmes. Elle s'arrêta une centaine de mètres plus loin et se laissa tomber par terre. Ainsi son oncle serait mort de chagrin parce qu'il pensait qu'elle s'était enfuie avec un soi-disant amant ? Tout était de sa faute ! Ses pleurs redoublèrent. Elle resta longtemps assise à même le sol, son corps secoué par les sanglots qui s'échappaient douloureusement de sa gorge, à présent en feu.
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Enora n'entendit pas directement la voix qui l'appelait. Ce ne fut que lorsqu'une main ferme secoua son épaule que la jeune femme daigna relever la tête. Elle reconnu un vieil ami de la famille à travers le rideau de larmes qui inondait son visage depuis bien une demi-heure maintenant. Celui- ci s'accroupit pour être à son niveau et lui demanda d'une voix inquiète :
- « Enora ... Enora ? Est-ce bien toi ? Je suis Malo. Tu te souviens de moi ? »
L'homme semblait avoir prit dix ans depuis la dernière fois qu'elle l'avait vue. Pourtant, elle se souvenait l'avoir rencontré quelques semaines auparavant... La pauvre jeune femme ne put s'empêcher de lui poser la question qui torturait son esprit.
- « Cela peut vous sembler bizarre comme question, mais depuis quand ne nous sommes pas rencontrés ? »
Les yeux de Malo s'arrondirent en même temps que sa bouche. Il bredouilla, estomaqué par la question :
- « Mais ... Enora ... Tu as disparue depuis 7 ans ! Tu ne t'en souviens pas ? »
Le ciel tomba sur la notre pauvre amie qui comprit enfin les paroles de la grossière fermière. Si son oncle était mort depuis si longtemps cela signifiait qu'elle était restée chez les fées non pas deux jours comme elle le pensait auparavant mais sept longues années ! Complètement bouleversée, elle tenta de trouver une parade pour s'enfuir et répondit au vieux fermier : « Je ... Je dois y aller ! Au revoir ! », avant de se retourner et galoper comme un cheval vers les landes. Elle courut encore et encore, faisait fi de la douleur et ne s'arrêta que lorsqu'elle fut arrivée à son objectif. La falaise des péchés brillait de son éclat lugubre. Enora tomba à genoux et sortit le coquillage magique de sa poche. Elle porta ses lèvres au bout de la conque et dans un élan désespéré, souffla de toutes ses forces dedans. À bout de force, sa main laissa l'objet glisser sur le sol détrempé. Et elle éclata à nouveau en sanglots.
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Awena entendit l'appel de sa filleule. Si tôt ?! se dit-elle. Elle accouru vers la falaise où elle trouva la jeune femme la tête contre les genoux, plongée dans d'incontrôlables lamentations. Elle s'approcha et lui demanda :
- « Que ce passe-t-il ? Tu es blessée ? »
Devant le manque de réponse de sa protégée, la fée s'accroupit et la serra fermement dans ses bras fins et délicats. Après un long moment passé à rester l'une dans les bras de l'autre, Enora murmura doucement d'une voix brisée :
- « Qu'est-il arrivé au prêtre pour qu'il décide de finir sa vie sur terre de cette façon ? Qu'est ce qui est responsable de sa fin tragique ? »
La fée hésita, avant de répondre lentement :
- « Il est mort de chagrin. Sa nièce fut portée disparue après une tempête et il ne s'en est jamais remis. »
Notre pauvre amie se blottit dans les bras de sa marraine de façon désespérée. Depuis, nul ne l'a revue. Il ne reste plus qu'à espérer qu'elle ait rejoint la fée dans le beau palais et qu'elle ait put profiter d'une vie meilleure ...
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- « Mais elle est triste ton histoire ! », s'exclama l'enfant.
- « Oui, elle est triste, mais elle t'apprend beaucoup de choses sur la vie. »
Le grand-père sourit au petit garçon avant de se relever et d'embrasser le front de son petit-fils. Il se retourna sur le pas de la porte et dit :
- « Passe une bonne nuit. Si tu dors bien, peut-être que tu aura la chance d'apercevoir une fée ... »
Le petit garçon sourit à pleines dents et s'endormit très vite. Si vite qu'il ne remarqua pas la présence d'une silhouette évanescente dans le coin de sa chambre ...
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