Prologue
Quand est-ce que tout a commencé ? À quel moment sa vie avait-elle pris un tel tournant ?
Mathieu se posait la question depuis un bon moment déjà. Sur sa fenêtre, cigarette en bouche, il pensait. Comme à chaque fois qu'il fumait, d'ailleurs. Ces petits moments de pause étaient son échappatoire pour laisser échapper son imagination et ses pensées les plus folles.
Peut-être avait-ce commencé par sa venue dans ce quartier. Ou encore avant, avec les choix de vie qu'il avait pris pour se retrouver ici.
Mathieu avait toujours été un enfant turbulent. Ce genre d'enfant que les professeurs détestent, car incapables de se tenir. Ça avait continué au collège, où Mathieu n'avait pour envie que de terminer les cours et de sortir dans des parcs avec ses amis. Puis au lycée. Alors, ils se posaient dans l'herbe, fumaient des joints, et se laissaient bercer par la vie. Rien ne lui semblait important. Ni les cours, ni l'avenir. Une vie sans problème, rythmée par les douces vagues de l'adolescence.
Malheureusement, ce rythme décalé n'est jamais pardonné par notre monde. Mathieu a raté son bac une fois, puis deux. Alors, il a abandonné le lycée pour s'inscrire à la fac. Là encore, son insouciance l'a rattrapé et il n'est pas allé en cours de l'année.
Mathieu n'était pas ce genre de personne qui ratait ses études par manque de capacités. Il n'en avait juste pas envie. Pas envie de perdre son temps pour exercer un métier qui ne l'intéressait pas. Il voulait juste profiter de l'instant présent.
Malheureusement, ce genre de vie est vite condamné à la marginalité. Il s'est donc retrouvé seul, chez ses parents, sur son ordinateur, à attendre qu'une entité quelconque le motive à faire quelque chose de sa vie.
Cependant, elle n'est jamais venue. Les années ont passé, sans que rien ne le fasse décrocher de sa chambre et de son ordinateur. Cette vie ne lui semblait pas si mal. Encore une fois, éloignée de tout problème. Il était logé, nourri, blanchi par des parents aimants. Tout était paisible. Jusqu'à ce que son père soit grièvement blessé dans un accident de moto.
Curieusement, cela fut le déclic de Mathieu. Il ne supportait plus de voir son père, autrefois un homme fort et fier, dans un fauteuil roulant et à l'état de légume à cause des médicaments. Il ne supportait plus non plus de voir sa mère, les cernes noirs, s'épuiser au travail pour réussir à joindre les deux bouts, et passer le restant de son temps à s'occuper de son père. Mathieu était de trop. Il le sentait. 22 ans, et il était toujours chez ses parents, sans emploi, et avec un père malade. Il était amplement temps pour lui de prendre son envol.
Il décida alors de partir à l'autre bout de la France, dans un studio de quinze mètres carrés. Là-bas, il s'était trouvé un emploi dans une chaîne de restauration rapide. Il ne savait pas trop quoi faire d'autre. De toute façon, sans études et sans ambitions, il était condamné à vivre une semi-vie, loin des rêves de la classe moyenne et de la vie de famille idéale.
C'est à ce moment-là que les choses ont commencé à devenir étranges.
Son studio était situé au premier étage d'un appartement, dans une petite ruelle aux maisons serrées. Une grande fenêtre donnait sur tout droit sur une petite maison lugubre et en mauvais état. Quelques jours après son arrivée, Mathieu avait déjà ses petits rituels. Il avait l'habitude d'ouvrir cette fenêtre et de fumer ses cigarettes.
Jusqu'à ce jour.
Comme à son habitude, il était à sa fenêtre. Il était dix-huit heures et il venait de rentrer du travail. Il sortit sa cigarette de son paquet, et l'alluma avec son briquet. Il souffla la fumée avec le même air mélancolique qu'il avait en permanence. Il avait les yeux rivés sur la ruelle, pensif.
Soudain, trois individus apparurent. Une famille. Un homme bourru et barbu, une femme grande et élégante, et une toute jeune fille d'une douzaine d'années. Mathieu ne leur prêta pas tellement attention, jusqu'à entendre des cris.
La jeune fille était en train de pleurer, à chaudes larmes. Son père était en train de lui taper dans le dos, sûrement pour la faire avancer plus vite. Du premier étage, Mathieu pouvait entendre leur conversation.
— Avance au lieu de chialer ! lança son père avec une voix mauvaise.
— Tu nous fais honte, surenchérit sa mère.
La jeune fille s'arrêta d'un coup. Ses parents la regardèrent d'un air stupéfait.
— Je... Je ne veux pas. S'il vous plaît, les supplia-t-elle.
Pendant quelques secondes, le temps sembla s'arrêter. Personne ne réagit. Jusqu'à ce que son père lui assène une énorme claque. Si forte qu'elle tomba sur le sol.
— C'est comme ça qu'on t'as éduquée ? hurla-t-il, fou de rage.
— Lèves-toi, grosse vache, cracha sa mère.
Mathieu faillit s'étouffer sur sa cigarette. La scène qu'il voyait était d'une immense violence. Quoique leur enfant ait pu faire pour les énerver à ce point, personne ne méritait ça. D'autant plus en pleine rue.
La jeune fille se releva en tremblant de tous ses membres. Du sang coulait d'une de ses narines.
— Allez, maintenant, bouges-toi, ordonna sa génitrice.
Son père lui donna un coup dans l'épaule, comme pour la forcer à avancer. Elle s'exécuta, se tenant sa joue meurtrie.
La grande dame sortit un trousseau de clés et les inséra dans la serrure. Elle ouvrit la porte et fit signe à sa fille d'avancer.
Cependant, avant d'entrer dans la maison, la jeune fille leva la tête vers le ciel. Elle se tourna vers Mathieu, qui était toujours en train de fumer. Un grand sourire se dessina sur ses lèvres. Puis, sans un mot, elle fit un pas en avant pour disparaître dans sa maison lugubre. Elle fut suivie par ses parents, qui fermèrent la porte dans un claquement sinistre.
Mathieu resta là, stupéfait par ce qu'il venait d'arriver. Deux parents qui s'en prenaient à leur enfant d'une violence inouïe. Quoiqu'il ait pu faire comme bêtises, jamais ses propres parents ne l'auraient frappé de la sorte. Il ignorait quoi faire. Intervenir ? Appeler les services sociaux ? Attendre d'en savoir plus ?
C'était la première fois de sa vie qu'il se retrouvait face à une situation si grave. Où le pouvoir de changer les choses était entre ses mains. Cependant, Mathieu était et avait toujours été le plus grand des lâches. La seule action qu'il fit fut de s'allumer une autre cigarette.
Pendant qu'il crachait sa fumée toxique, une silhouette apparut à la fenêtre de la maison d'en face. La maison des individus qu'il venait d'espionner. Elle ouvrit la fenêtre, et Mathieu reconnut la toute jeune fille.
À peine une dizaine de mètres les séparaient, étant donné la taille de la ruelle. Leurs deux étages étaient au même niveau. De cette distance, Mathieu pouvait donc mieux discerner ses traits. Elle avait des cheveux noirs, des yeux brillants et la peau très pâle. Son visage était criblé de bleus, témoignant que ça n'était pas la première fois que son père la frappait de la sorte. Mathieu s'apprêtait à ouvrir la bouche pour lui parler, mais elle porta son doigt à ses lèvres pour lui faire signe de se taire. Elle resta là, à le regarder et à lui sourire bêtement pendant qu'il finissait sa cigarette.
Lorsque Mathieu termina sa pause clope, il ne savait plus trop quoi faire. Lui dire quelque chose ? S'en aller comme un voleur ? Cependant, la jeune fille prit le devant. Elle lui fit un signe de la main pour le saluer. Puis, elle ferma la fenêtre et disparu. Sans un mot. Comme si rien ne s'était passé.
Mathieu, interloqué, fit de même. Il s'affala dans le canapé de fortune de son appartement. Ce qu'il venait de voir lui semblait complètement lunaire. Une fille visiblement battue par ses parents qui le regardait en souriant depuis sa fenêtre. Et visiblement, qui ne voulait pas qu'il dise quoi que ce soit. Tout cela lui semblait si irréaliste.
Cependant, ce que Mathieu ignorait encore, c'est que ça n'était que le début d'un voyage vers les confins de ce monde.
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