Pour toujours.

Attention, OS contenant un suicide et une emprise psychologique.


          Je déambule dans les bouches de métro, saoule et une bouteille à la main. Je renifle bruyamment, de la morve dégoulinant de mes narines. Je rigole en pensant à toutes ces personnes qui trouvent cool d'être bourré. Je m'esclaffe presque et j'ai envie de leur gueuler à la tronche à quel point ils sont cons. Moi ça me rend malade, ça me rend faible et sensible.

Je matte les rails avec attention. Je vais finir par me laisser tomber en attendant le prochain métro. Comme quand je l'ai rencontré...

Je vais me foutre en l'air là où tout a commencé. Je finis ma vodka cul-sec en grimaçant, je sens plus mes orteils et ma langue. Je la soulève difficilement en titubant et l'éclate par terre, elle se brise en mille morceaux contre le sol, je ne veux pas faire mon putain de loveur, mais je regarde ces bouts de verre comme si c'était mon cœur. Non, mon cœur s'est éteint il y a de ça bien longtemps. Il a cessé de battre le jour où il m'a sauvé la vie.

C'est plutôt ironique non ? Il m'a reprit à la mort, pour ensuite m'y pousser. Il me sauve pour mieux m'offrir. Le destin a vraiment un humour de merde, plus bancal, ça n'existe pas.

Mon regard n'arrive plus à se détacher des fragments transparents. Cependant, mon esprit fonctionne toujours et je me demande quand est-ce qu'il va débarquer. Dans pas longtemps sûrement. Il sait toujours où je suis, avec qui je suis et qu'est-ce que je fais. Quand il va rentrer et voir que l'appartement est vide de ma présence, il sera furieux et va enclencher son traceur sur son téléphone, pour trouver ma position. Comme d'habitude. C'est devenu une routine, je sais qu'il regarde constamment où je suis, même à son taff.

Je me laisse tomber au sol et couine en sentant un éclat s'enfoncer dans la chair de ma jambe droite. Je soulève laborieusement ma cuisse et passe ma main en dessous, tâtant mon jean et trouvant le morceau, je tente de le retirer. Il est trop petit et enfouit pour que j'y arrive. Je repose ma jambe en grimaçant de douleur. Tant pis. De toute façon, on en est plus à un bout de verre près.

Je ris de nouveau en imaginant sa tête, quand il va se rendre compte qu'il n'a pas été le seul à vouloir prendre l'air pour se calmer. Enfin, ce n'est pas pour me calmer, moi. J'ai embarqué une bouteille d'alcool avec moi que j'ai vidé en – je regarde ma montre – moins de trente minutes. Je suis même étonné qu'il ne soit pas encore là, à me hurler dessus.

C'est bien mon amour, tu fais des progrès.

Alors que je pense justement à son exploit, je sens mon téléphone vibrer dans ma poche. J'aurais très bien pu le laisser chez nous, mais aujourd'hui, j'ai envie qu'il me retrouve. Il me trouve toujours, d'ailleurs. Je le sors de ma poche et regarde, en plissant les yeux, qui tente de m'appeler. Bingo, c'est lui. Mais je ne réponds pas. Il va arriver dans quelques minutes à peine, il va se mettre à courir comme un dératé. Je le sens, je le sais, et ça me fait du bien. Je suis heureux de le paniquer. J'appuie sur le message vocal qu'il m'a laissé, j'aimerai l'entendre s'il n'arrive pas à temps.

« Bébé... Bébé réponds moi je t'en supplie... Je suis désolé pour tout à l'heure, j'aurais pas du, je vais me rattraper promis... Tu me connais, j'suis impulsif mais... Mais je t'aime mon amour, t'es tout pour moi. J'en crèverai s'il t'arrivait quelque chose, tu le sais ça ? Bébé réponds, je m'inquiète... »

Son souffle semble affolé et sa voix est terrorisée. J'adore ça.

— Je sais mon cœur, je m'entends dire, ma gorge me faisant souffrir.

Je ramasse paresseusement un résidus de ma bouteille, le plus gros et le plus tranchant, avant de me recoller contre le mur derrière mon dos. Ma tête bascule et cogne contre le béton, cette fois, je n'ai pas mal. Je ne vois plus très bien, mais j'aperçois encore les jolies veines bleutées de mon poignet. Je ne sais pas pourquoi, mais j'ai toujours été attiré par ces vaisseaux sanguins à la couleur envoûtante. Lui en a une grosse au milieu du front et qui ressort quand il est en colère. J'ai toujours trouvé ça incroyablement sexy, c'était d'ailleurs ce qui m'amusait quand il s'énervait, à notre rencontre. J'aimais le provoquer pour qu'il ait cet air sombre, je lui sautais ensuite dessus et on passait une nuit d'amour torride et passionnée à nous réconcilier sur le lit. Ça me rendait accro. Ça me rend accro. Non en fait, il serait plus juste de dire que je suis accro, tout simplement.

Il est tellement beau... Je ferme les yeux et le voit derrière mes paupières closes. Je passe tout ce que mon cerveau a emmagasiné sur lui. Et dieu qu'il y en a ! Je me souviens de chaque expression, de chaque mimique, de chaque parcelle de sa peau, même la plus intime. Je me rappelle du goût de sa peau, de la sensation que j'ai quand nous ne faisons plus qu'une seule et même personne. Cet instant de communion, de paix et sérénité mais aussi d'amour, de passion et de plaisir charnel intense. Au fond, tout ça n'est que déchirure et a contribué à l'extinction des battements de mon cœur.

Je suis tellement amoureux de lui. C'est mon premier et mon dernier amour, maintenant j'en suis sûr.

Je tends mon poignet devant moi, bien en évidence et rapproche lentement l'arme du crime, le posant sur ma peau opaline, presque translucide. Pourquoi est-ce que j'hésite ? Il y a plus d'autre choix. C'est la fin.

Ma vue se trouble et se brouille de larmes qui coulent aussi vite sur mes joues creusent. J'ai tellement perdu de poids depuis que je le connais. Je suis devenu si frêle et fragile, moi qui avais toujours été de masse corporelle dans la moyenne, ni trop gros ni trop maigre.

J'enfonce la lame dans ma chair, faisant aussitôt couler un liquide rouge vif et ce geste me fit pousser un petit gémissement de douleur. Le sang se dérobe de sous ma peau en abondance, comme s'il avait toujours voulu s'échapper de mon corps.

Je réitère l'action avec l'autre bras, reproduisant les même mouvements et me procurant toujours cette pointe de souffrance. J'aurais peut-être dû prendre une deuxième bouteille avec moi ?

Mais je hais l'alcool, je ne comprendrai jamais l'engouement que les jeunes ont pour ces boissons destructrices. On ne se rappelle jamais de ce qu'on a fait et en plus de ça, on a l'impression qu'on est en train de crever de lendemain, voir même durant la descente. On vomit ses tripes et on fait des conneries dont aura honte une bonne partie de notre vie.

Je peine à cesser mes pleurs, mais c'est plus fort que moi. Je pense à lui.

Il a changé tellement de choses en moi. Avant de le connaître, j'étais une personne si optimiste, si pleine de vie et rayonnante. A chaque problème avait sa solution et j'étais persuadé que si je faisais entendre ma raison aux gens, le monde se porterait mieux. J'étais ambitieux, je voulais tant aider les autres. Puis il a débarqué dans ma vie, il semblait amusé quand je lui parlais de projets – fous, naïfs et irréalisables, maintenant que j'y repensais – ça l'attendrissait et il me comparait toujours à un enfant. Il est tombé amoureux de moi, et j'en suis devenu complètement dingue. Notre amour est si puissant, si soudé, si complémentaire et hors du commun, que je me suis laissé transporté par celui-ci, je l'ai laissé me bercer et m'aveugler.

Mes mains se reposent le long de mon corps et je fixe mes yeux mouillés sur la bague que je porte à l'annuaire. Ma plus grand fierté, mon plus gros bonheur. J'ai cru rêver quand il m'a demandé si je voulais bien être son fiancé... Lui qui était hétérosexuel mais qui s'était de suite assumer en tant qu'homosexuel à mes côtés. Il n'a jamais eu honte de moi, de nous, de son amour pour moi. Comment pouvais-je ne pas l'aimer d'autant plus ? Je pourrais lui offrir la lune, le soleil et l'univers entier s'il me le demandait.

Je sens peu à peu mon énergie vitale quitter mon corps et se répandre sur le sol, autour de moi. Ma tête commence à me tourner, et je me demande si je vais le revoir une dernière. Alors que j'eus justement cette pensée, j'entends des pas au loin.

Décidément, nous sommes encore connectés mon chéri.

Mon prénom fut crier par une voix tremblotante et incertaine, sa voix à lui, sa merveilleuse et sublime voix. Les pas se rapprochent et en quelques secondes à peine, je le vois devant moi. Son expression était délicieusement paniquée et subjuguée en me découvrant par terre, les poignets ouverts. Il se ressaisit vite et ses genoux tombent lourdement au sol, ses yeux terrifiés se plantent dans les miens comateux et vitreux, puis deux mains viennent s'accrocher à mes bras et me secouent brutalement.

— Oh mon dieu...

Sa voix est brisée et son regard se remplit de larmes. Je sais qu'il ne sait pas quoi faire, il ne sait pas comment réagir. Est-ce qu'il se doutait de ce scénario en me rejoignant ?

Ses mains remontent sur mon visage et se posent sur mes joues. Ça y est, ses sanglots explosent et ses yeux débordent d'eau salé. Il est beau comme ça.

— Oh bébé qu'est-ce que tu as fait...

Il pleure et je lui souris faiblement. Je me sentais partir peu à peu, mélangeant peur et joie en même temps. Peur de l'après, mais joie de disparaître.

Prit d'une soudaine lucidité, il s'écarte légèrement de moi et retire maladroitement sa chemise, les mains tremblantes et les gestes imprécis. Il l'arrache en deux, choppe un de mes bras ensanglantés et l'entoure en le nouant pour empêcher le sang de dégouliner. Il fait de même pour l'autre et me soulève dans ses bras comme une princesse, mes mains tombant et ma tête penchée en arrière. Je meurs. Je suis en train de mourir et il essaie de me faire revenir à la vie.

Il est trop tard mon cœur.

— Oh secours ! à l'aide ! S'il vous plait, appelez les pompiers je vous en supplie !

Il n'y a que toi et moi, ici.

Je n'avais jamais entendu cette voix, elle me dit de la peine. Il hurle à son décrocher les paumes et pleure comme je ne l'ai jamais vu pleurer. Il est dévasté, paniqué, affolé, terrorisé. Il sait qu'il est arrivé trop tard, mais il ne veut pour l'instant pas se l'admettre. Il tente l'impossible, il tente vainement de se rattraper.

Tu vois ce que ça fait, de vouloir se racheter mais de ne pas y parvenir ? C'est ce que tu m'as fait subir pendant des années.

Il aurait dû y réfléchir avant... Je trouvais ça tellement mignon. Après tout, la jalousie est l'expression de l'amour et de l'attachement qu'on porte à une personne, non ? Je revois encore sa moue boudeuse, quand il m'a pour la première fois montrer sa jalousie, dans un bar où la serveuse m'avait dragué sans discrétion, m'offrant son numéro. J'avais rigolé, il l'avait mal pris, malgré le fait que je lui assure n'y être pour rien. En rentrant, il s'est jeté sur moi et m'a fait l'amour comme jamais, il était si concentré et si passionné, je m'étais senti unique au travers de ses yeux. Cependant, au bout de la troisième fois, j'avais commencé à grincer des dents et avais refusé de poursuivre, en lui disant que j'étais fatigué et que j'allais avoir très mal le lendemain. Il ne m'a pas écouté, il m'a retourné avec autorité et silencieusement, prenant ce qu'il voulait, malgré mes protestations orales et physiques. Alors que cela avait débuté comme l'une des meilleurs nuits de ma vie, elle avait fini en la pire. En me réveillant, je lui avais dit que s'il recommençait encore une fois ce qu'il avait osé faire, me prendre de force et sans mon consentement, ce serait définitivement fini entre nous. Il s'était alors confondu en excuse, me jurant de plus jamais me faire de mal et que s'il l'avait fait, c'était uniquement car il avait été extrêmement jaloux de la serveuse et qu'il avait eu besoin de marqué son emprunt sur mon corps. Difficilement, je lui avais pardonné. Je suis si amoureux, je pouvais bien lui passer ce malheureux événement, on fait tous des erreurs et je suis une personne très tolérante. Puis il avait été si adorable les prochains jours que je n'avais su résister... Si seulement j'avais su, je me serais enfuit loin de cet être à peine nos regards se seraient croisés. Sa jalousie et sa possessivité se sont amplifiées au fil des jours, m'interdisant de voir certaines personnes, ensuite mes amis, jusqu'à ce que mes parents deviennent dérangeant. Je ne m'étais même pas rendu compte qu'en si peu de temps, il m'avait coupé du monde pour m'avoir rien que pour lui.

Est-ce que vous avez ne serait-ce que la moindre d'idée que ça fait, quand on s'en rend compte ? Quand on redescend sur terre et que la vraie nature de notre âme-sœur se dévoile comme un tsunami ravageant des villages entiers ?

Mon corps est désormais complètement engourdi et je peine à entendre sa magnifique voix hurler, s'époumoner et s'affoler. Je comprends qu'on est sorti de la bouche de métro en sentant le vent frais me fouetter le visage et les avant-bras. J'entends des personnes autour de nous, j'entends mon amour leur parler difficilement avant qu'il ne s'effondre par terre, me serrant tout contre son corps chaud de vie. Sa tête est enfouie dans mon cou et je sens ses larmes s'échouer sur ma peau, c'est agréable. Ses secousses bercent mon corps au bord de la mort. Encore quelques minutes, et je ne serais plus de ce monde. Tout sera terminé.

Je ressentais une peine immense en imaginant de plus ne revoir, l'entendre ou le sentir. Je ne pensais même pas à mes parents, à ma famille ou à mes amis, je me concentrais uniquement sur la raison de mon suicide, sur mon tout, sur l'amour de ma vie. J'aurais aimé avoir une dernière nuit d'amour avec, une vraie, celles de nos débuts, remplies de passions et de dévotions. Celles qui me faisaient vivre, qui me transportaient dans un monde paradisiaque, parallèle au notre. Celles qui me faisaient tomber amoureux de lui toujours un peu plus.

Il embrasse soudainement mes lèvres plusieurs fois en continuant de pleurer, de crier son désespoir et sa peine incommensurable. Je l'entends me dire des « je t'aime » entre ses baisers. Je sens que son cœur est déchiré, tout comme le mien. Je suis content, il ressent enfin ce que je ressens.

Je l'ai brisé comme lui l'a fait pour moi.

Je voudrais tellement lui dire que je l'aime aussi, mais c'est la fin, j'en suis incapable. Tout s'arrête, mes yeux se ferment doucement et ma respiration se coupe. La dernière chose que j'entends, c'est son cri, déchirant et bouleversant.

Moi aussi, je t'aime mon amour, et ce, pour toujours.



Petite note : je décris un suicide, mais ne suis absolument pas d'accord avec le fait que le suicide soit le dernier recourt à son " bonheur ". Le suicide n'est et ne sera JAMAIS le dernier recours pour une personne, il y aura toujours d'autres moyens pour se soigner, même quand on pense que c'est fini, qu'on a tout essayé, parce que c'est faux.  J'ai décidé qu'il allait se suicider parce que je voulais une fin vraiment tragique et bouleversante, mais cette personne aurait pu s'en sortir, se détacher de la personne qu'il aimait ou de trouver d'autres moyens.

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