SAMEDI 14 / 1 HEURE
Le salon s'était transformé en piste de danse où les filles se déhanchaient sur du Aya Nakamura quand Ninon sortit de sa chambre. D'abord, Louis la remarqua à peine, occupé à garder un air sérieux pour faire croire à la fille de sa classe sur laquelle il avait des vues qu'il n'était pas complètement arraché. On lui tapota l'épaule et le jeune homme se retourna. Les contours flous du visage de sa colocataire se dessinèrent dans l'ambiance tamisée. Louis haussa les sourcils en la reconnaissant, il avait oublié que pendant tout ce temps, elle était de l'autre côté de la porte au bout du couloir. Dans l'euphorie du moment, il lui proposa un verre, mais à la mine furieuse qu'elle affichait, il comprit que ça sentait le roussi pour lui.
─ Il est une heure, lui fit-elle remarquer.
Louis arbora un air surpris, faisant semblant de ne pas avoir vu l'heure défiler. Une heure ? Vraiment ? Je croyais qu'il n'était que vingt-deux heures ! C'est fou comme le temps passe comme on s'amuse ! tenta-t-il d'ironiser. Mais avec tout l'alcool dans son sang, sa phrase ressemblait plus à :
─ Il est pas une heure, il est au moins vin-eu' zheures.
Ninon ne rit pas, et le prévint qu'il avait trente minutes pour convaincre tout le monde de terminer la soirée en boîte sinon, elle appelait la police. A la menace, Louis s'insurgea. Pourquoi fallait-il qu'il ait trouvé la seule colocataire de vingt ans qui avait la mentalité d'une grand-mère de soixante-dix ans ? Elle ne savait pas s'amuser, c'était un véritable tyran ! Pas étonnant qu'Alice se soit cassée ! Il l'enviait. Elle n'avait plus à subir la dictature de Ninon.
─ Allez, c'est bon ! chercha-t-il à la convaincre. T'as pas cours pendant deux semaines, tu peux bien venir faire la fête avec nous. Allez, bois un coup. Malik, sers un coup à Ninon.
D'un geste affectif, Louis voulut attraper Ninon par les épaules pour détendre un peu l'atmosphère. Il était même prêt à faire des efforts pour la supporter. Cette nana se sentait peut-être juste seule, c'était pour ça qu'elle était aussi pénible. Il suffisait de l'intégrer, de lui donner un faux semblant de vie sociale, et elle pouvait se révéler. Louis avait dû louper ses calculs, car dès qu'il posa un doigt sur elle, Ninon réagit, et lui attrapa le nez, le serrant fort entre son pouce et son index. Louis la lâcha sous la douleur, se pliant en deux.
─ Aïe, aïe, aïe ! cria-t-il.
─ Ne me touche pas.
Louis capitula en levant les mains au ciel. Il se recula, se massant le nez. Cette meuf était tarée ! Ninon le pointa du doigt d'un air menaçant.
─ Une demie-heure.
Elle disparut, bousculant quelques invités au passage, et Louis souffla. La fille qui lui plaisait avait quitté la conversation, et il venait sûrement de laisser passer sa chance. Il se servit un nouveau verre, et prit une gorgée pour se donner du courage. Il allait falloir bouger tout le monde d'ici.
L'appartement se vida, les gens se séparant entre ceux qui rentraient, et ceux qui acceptaient de continuer la soirée en boîte de nuit. La fille de la classe de Louis ne venait pas, et il était sûr que Ninon avait tout gâché ! Il était à deux doigts de conclure quand elle était arrivée, et il avait fallu que ces doigts viennent pincer son nez de manière dégradante.
Ses derniers amis le prévinrent qu'ils l'attendaient en bas de l'immeuble, et Louis acquiesça. Le temps de mettre ses chaussures, il resta seul dans l'appartement. Un rai de lumière filtrait sous la porte de la chambre de Ninon. Elle était encore debout. Une boule de rage naquit au creux de l'estomac du jeune homme, et il se leva soudain, une seule chaussure délacée au pied. Il se traîna à l'autre bout du couloir et frappa du plat de la main contre le battant de la porte. Sans attendre l'autorisation, il ouvrit.
Ninon était dans son lit, une capuche rabattue sur son crâne, les couvertures jusqu'au menton, elle pianotait sur son téléphone. Louis la pointa du doigt, exactement comme elle l'avait fait plus tôt. Il fallait qu'il le fasse, il fallait qu'elle comprenne ce que ça faisait d'être pointée du doigt.
─ T'es une connasse, articula-t-il difficilement.
Ninon resta de marbre. Elle le fixa quelques secondes avant de reporter son attention sur son écran.
─ T'es bourré, Louis.
─ Ça veut pas dire que je le pense pas !
Ninon soupira.
─ OK, d'accord. Je suis une connasse. Qu'est-ce que tu veux que je fasse de cette information ?
─ Je te déteste. Et Alice te détestait aussi. T'es la pire coloc' du monde, et ça ne m'étonne pas que tu n'aies pas d'amis à part ta mère. En plus, t'as ruiné mon coup !
Il resta campé dans l'encadrement de la porte, les bras croisés. Il ne savait pas trop ce qu'il attendait, peut-être juste une réaction. Ninon ne s'énervait jamais, se contentant d'être suffisante à souhait. Il aurait aimé qu'elle vrille, comme Alice. C'était simple avec Alice, ils ne s'appréciaient pas, mais ils pouvaient se faire la guerre et se crier dessus. Avec Ninon, tout était silencieux, et c'était pire. Elle ne disait jamais rien et pinçait les nez à la place !
Ninon s'extirpa de son lit, et Louis se redressa. Il voulait avoir l'air fier, mais avec l'alcool, il devait tanguer un peu. La jeune femme se posta face à lui, elle était plus petite d'au moins une tête. Il pensait qu'elle allait l'engueuler de l'avoir insultée, mais Ninon ne parla même pas. Elle referma la porte de sa chambre, laissant Louis seul avec la porte pour discuter. Il baissa la tête d'un air résigné, d'accord, elle l'avait eu sur le coup. Avant de partir, il haussa de nouveau la voix.
─ Sache que j'ai pas nettoyé l'appartement !
Louis était persuadé qu'elle n'allait pas répondre, mais avec surprise, Ninon rétorqua :
─ Ta pote n'était pas intéressée, au fait, elle attendait un moyen de se débarrasser de toi, et je le lui ai donné.
Il secoua la tête, n'y croyant pas une seule seconde. Il avait du flair pour discerner les filles à qui il plaisait, et celle-ci était parfaitement mordue. Louis termina de mettre ses chaussures, enfila sa veste et attrapa ses clés pour achever la soirée sans risquer de réveiller le dragon au bout du couloir. En refermant la porte d'entrée, il jeta un coup d'œil à la chambre de Ninon. La lumière était éteinte.
Dors, Ninon, pensa-t-il. Dors tant que tu peux. C'est la guerre, à présent.
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