MERCREDI 25 / 18 HEURES
Pour des gens qui ne sortaient pas, et restaient en pyjama ou en survêtements à longueur de temps, ils avaient un sacré paquet de linge à étendre ! Louis avait sorti l'étendoir à linge dans le salon pendant que Ninon récupérait les vêtements trempés. Entre temps, ils s'étaient motivés à faire un peu de ménage, passant un chiffon au-dessus de la télévision pour récupérer la poussière et fouillant sous les meubles avec le balai. Il y avait un sentiment apaisant à nettoyer, Ninon l'avait toujours su, mais Louis semblait le découvrir. Ils ne s'étaient pas beaucoup parlé, avaient mis de la musique. Parfois, son colocataire sifflotait avec gaieté. Au moment où la machine sonna la fin de son lavage, ils avaient terminé. Le salon sentait le propre, ce mélange d'air frais et de produits ménagers. Ninon se sentait accomplie, de meilleure humeur.
Elle apporta le linge dans un panier, et ils le placèrent sur une chaise derrière eux, piochant à tour de rôle pour étendre leurs affaires. C'était un curieux manège, chacun tirant soigneusement ses propres vêtements, évitant les chaussettes de l'autre. Et si par malheur, ça arrivait, car leurs chaussettes se ressemblaient drôlement, Louis ou Ninon posait l'intrus du côté de l'autre. Ainsi, petit à petit, l'étendoir se garnit des deux côtés, ils avaient laissé une ligne vide entre eux, pour faire la séparation, sans jamais se parler, écoutant avec calme la musique. C'était amusant, pensa-t-elle. A la presque fin, Louis brisa le silence :
─ Tu veux faire un jeu ?
─ Oh, non, pitié.
Plus de jeu, elle ne voulait plus de jeu. Ils dégénéraient tout le temps. Louis tenta de la convaincre :
─ Non, je te promets, c'est un bon jeu. On n'a même pas besoin d'accessoires. Il va te rappeler de bons souvenirs.
Elle fronça les sourcils, plus intriguée qu'elle n'aurait voulu l'être. Louis avait l'art et la manière de faire monter le suspens. Ninon l'encouragea d'un signe de la main las, se disant qu'elle pouvait toujours refuser. Louis déclara alors, d'une voix forte :
─ Le sol est en feu !
Ninon se stoppa dans son geste, un tee-shirt humide à la main, d'abord confuse, avant de comprendre. Louis réagit avant elle et abandonna sa chaussette propre pour sauter sur le canapé. La jeune femme resta interdite, perturbée, et ne sachant pas si elle devait le prendre au sérieux ou non. Mais Louis répéta, alarmé :
─ Ninon, le sol est en feu, je te dis !
Sans savoir pourquoi, comme si son cerveau était passé en mode survie, elle poussa le panier presque vide pour grimper sur la chaise. Les dernières chaussettes s'étalèrent sur le sol, et Ninon dévisagea son colocataire. Ils étaient perchés, dans tous les sens du terme. Elle explosa de rire.
─ Comment tu m'as fait faire ça ? s'étonna-t-elle.
─ C'est pas moi, c'est le sol, il te brûlait.
─ Et maintenant, on en censés faire quoi ?
─ C'est le plus drôle, maintenant, il faut sécuriser l'appartement.
Elle ne voyait pas trop où il voulait en venir, mais Louis lui montra. Il attrapa un coussin et le jeta au sol avant de monter dessus. Puis, il se contorsionna pour en prendre deux autres, et les lança devant lui, sautant à cloche-pied sur le chemin improvisé. Ninon le regardait faire, un sourire interloqué. Au début, elle ne comprenait pas ce qu'il avait en tête, puis, elle réalisa qu'il n'y avait rien. C'était un jeu. Il fallait s'amuser. Alors elle décida de le suivre, marchant dans ses pas. Elle récupéra sa chaise au passage, et la souleva pour la faire passer à Louis qui l'utilisa pour agrandir son chemin.
Bientôt, ils attrapèrent tout à leur portée, les couvertures, le paillasson de l'entrée et même des objets plus improbables, le balai et les chaussures qui traînaient. L'appartement se jonchait d'un alignement, se parsemaient de chemins incongrues, et la seule règle était qu'il ne fallait toucher le sol. Ils avaient mis tous leurs efforts de ménage à néant, mettant sans-dessus-dessous chaque pièce, mais Ninon s'amusait tellement qu'elle ne s'en agaçait même pas. C'était un jeu débile et puérile, mais à leur niveau d'ennui, quand même les séries télévisées et les jeux vidéos devenaient lassants, retomber en enfance se présentait comme une douce alternative. Elle riait, perdait parfois son équilibre, et plusieurs fois, se rattrapait à Louis. Ils avaient fait un tour dans la chambre de chacun, où ils avaient récupéré les oreillers et les édredons, et comme ils en manquaient pour aller jusqu'à la salle de bain, ils firent une escale dans la chambre d'Alice.
La porte n'avait pas été poussé depuis son départ. Ninon avait oublié à quel point tout était... vide. Les murs étaient blancs, avec par endroits des bouts de Scotch persistants, derniers témoins de tous les posters qu'Alice avait un jour accrochés. Le bureau vide, les étagères nues, et le lit sans draps, avec le matelas immaculé. C'était bizarre.
Louis était essoufflé de sauter partout, et s'accorda une pause, se laissant tomber sur le lit. Ninon le suivit, et s'allongea, les yeux au plafond.
─ J'avais presque oublié cette pièce, avoua-t-elle.
Louis acquiesça pour seule réponse. Ils étaient proches, allongés côte à côte sur le matelas. Ninon gardait ses mains sur son ventre, mais elle sentait l'épaule de Louis effleurant la sienne. La musique dans le salon s'était arrêté, sûrement à la fin de la playlist.
─ Elle te manque ? interrogea Louis.
─ Alice ?
─ Ouais.
Ninon prit une longue inspiration, pesant ses mots.
─ Je ne sais pas. En même temps, j'avais du mal à la supporter la plupart du temps. Mais elle n'était pas méchante. Puis, peut-être que ça aurait été sympa si elle avait été là en ce moment. On se serait peut-être enfin amusé tous les trois, on aurait pas eu le choix.
─ Je suis content qu'elle ne soit pas là, avoua Louis.
Elle avait tourné la tête pour le regarder. Il avait fait pareil. Leurs visages n'étaient parés que d'une vingtaine de centimètres, elle sentait presque son souffle. Ninon se raidissait, des spasmes parcourant ses muscles, l'appréhension traversant ses membres. Les papillons dans l'estomac, le nœud dans la gorge, tout y était. En l'espace d'une poignée de minute, les rires avaient cédé leur place aux longues respirations, et Ninon n'avait même pas senti l'ambiance se muer. Elle repensa à leurs mains, la veille. Elle aurait bien aimé prendre celle de Louis, à ce moment-ci.
Elle ne savait pas ce qui avait changé en l'espace de trois jours. Elle se serait attendue à un retour à la normale, une fois la colère passée. Il n'était jamais venu. Quand Louis avait tenté de l'embrasser, elle s'était fâchée, l'avait trouvé déplacé, mais la furie avait fané. Puis, elle avait pris conscience que pour une fois, un garçon s'était intéressé à elle. Elle se blâmait un peu pour ce raisonnement, dans un monde parfait, elle n'aurait été attirée que par les garçons qui lui correspondaient, et pas ceux qui l'aimaient bien. Mais dans la vraie vie, il arrivait un stade où l'on se sentait seule, et n'importe quelle option en devenait une bonne. Louis n'était même pas un mauvais parti. Il se révélait de jour en jour. Alors... Peut-être que...
Ninon chuchota :
─ Pourquoi ?
─ Si Alice avait été là, expliqua le garçon, elle aurait volé toute l'attention. J'aurais jamais appris à te connaître.
Ninon avait su qu'elle le ferait avant qu'il ne parle, mais la phrase précipita son geste. Elle brisa la distance entre leurs deux visages pour l'embrasser, mettant derrière elle tous ses principes. L'appartement était en désordre, Louis devait traîner encore un peu de la maladie et elle n'avait pas désinfecter ses mains depuis plus de trois heures. Mais plus rien n'avait d'importance.
Le baiser était doux, même si les joues de Louis étaient rugueuses de ne pas s'être rasé. Leurs corps ne bougèrent pas, ils s'embrassèrent juste, longtemps. Et comme tous les baisers, celui-ci avait aussi le pouvoir de faire basculer Ninon dans une autre dimension, où le temps s'arrêtait, et l'espace n'existait plus. Lorsqu'elle le rompit, c'était comme émerger d'un sommeil de plusieurs jours. Juste après, ils ne dirent rien, chacun assimilant l'instant partagé. Louis semblait pris de court, même s'il n'avait pas refusé le geste. Ninon ne savait pas où se mettre, et s'interrogea : allait-elle regretter son acte ?
Dans l'appartement, un téléphone sonna. Ninon dit :
─ C'est le mien, ça doit être ma mère.
Louis acquiesça, et quand la jeune femme se redressa, elle fut bien contente d'avoir une excuse pour partir et ne pas affronter la dure réalité qui allait suivre ce baiser. Maintenant quoi ? Maintenant que feraient-ils ? Ils n'allaient pas être un couple, ce serait ridicule. Elle avait agi trop vite, dans l'euphorie de l'instant. Quelle idiote ! pensa-t-elle en allant décrocher.
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