MARDI 17 / 13 HEURES 30


Confinement, jour un. Louis s'était levé à 13 heures et avait passé une demi-heure sur les réseaux sociaux, à rire seul dans son lit. Pour le moment, ça allait. Il n'avait rien de prévu pour la journée, mais en même temps... il avait tout le temps d'y réfléchir. Il s'extirpa des draps douloureusement, une raideur dans la nuque qu'il massa pour la faire disparaître.

Dans le séjour, un silence religieux flottait. Il faisait beau, de grands rayons de soleil illuminait la pièce à travers la baie vitrée, éclairant par endroits de la poussière en suspension. C'était une plaie qu'ils soient enfermés au début des beaux jours. Il avait plu pendant deux mois sans interruption et alors que le temps semblait enfin en leur faveur, bam ! Pandémie. Louis prit un bol d'air frais sur le balcon, et épousa avec consternation la rue vide. Il n'avait jamais connu cette rue vide. D'habitude, elle était bondée de piétons, passants, flâneurs, parmi lesquels un véhicule de service cherchait parfois à se frayer un chemin. Là, rien. Aussi calme que le séjour. Il y avait quelque chose de terrifiant dans le paysage. Tout était à l'arrêt, comme s'il était le dernier homme sur Terre. Comme s'il s'était réveillé et que tout le monde autour de lui s'était volatilisé en un claquement de doigt. Ça pouvait arriver ! Ça arrivait dans les films catastrophes.

Il n'y avait signe de vie nulle part, et Louis se demanda même si Ninon était encore dans l'appartement. Soudain, une solitude panique s'empara de lui. Il était toujours habitué à fréquenter plein de monde, voir des amis, prendre des nouvelles. Il était intrinsèquement sociable. C'était bien pour ça qu'il avait choisi une colocation, il aurait été incapable de vivre seul. Même si la colocation ne s'était pas révélé satisfaisante... enfin, ça s'arrangeait.

Étouffé par le vide, il se risqua à aller frapper à la porte de la chambre de Ninon, au moins pour s'assurer qu'elle était toujours là. Il n'y avait pas de nouvelle sale, ou de téléphone en train de charger, alors elle aurait bien pu partir !

─ T'es là ? demanda Louis.

─ Oui, vas-y ouvre.

Il souffla. C'est bon, le monde était encore en vie, il n'était pas le dernier homme sur Terre.

─ Non, t'inquiète, je voulais juste m'assurer que t'étais encore là.

Pas de réponse. C'était une tournure de phrase un peu étrange, et Louis resta quelques secondes comme un abruti, derrière la porte, le cœur battant, à espérer qu'elle n'aille pas y chercher trop de sous-entendus. Comme Ninon ne répliquait pas – normal – il retourna dans le salon manger quelque chose.

En versant ses céréales trop sucrées mais dont il n'arrivait pas à se sevrer dans son bol, Louis songea qu'il devait penser à faire un peu de musculation dans sa chambre, ou ce confinement risquait vite de devenir une longue attente continue jusqu'au prochain repas. C'était peut-être temps de se mettre à cuisiner, de manger un peu plus équilibré et éviter les remarques de sa sœur qui ne jurait que par le bio. Il ne faisait plus trop de sport non plus, plus depuis sa première année ratée en STAPS. Oui, c'était peut-être temps de reprendre sa vie en main. Il se donnerait une routine, il trouverait des enchaînements, boirait l'eau qu'il ne pensait jamais à avaler, il mangerait même quelques légumes. Ou pas. Et il resterait des jours entiers dans son lit, à cuire des pâtes à 3 heures du matin. C'était quitte ou double, soit il ressortait du confinement avec un corps de Dieu grec ou bien avec les pires cernes et bedaine qu'il avait jamais eues.

Ninon apparut à son tour, en pyjama, ce qui, il pensait, allait être sa tenue pour une grande partie des jours à suivre. Elle s'installa dans le canapé, un livre à la main. Louis la dévisagea. D'habitude, elle faisait tout dans sa chambre, n'en sortant que pendant les repas qu'elle prenait devant la télévision et repartait aussitôt. Il ne lui jetait pas la pierre, il faisait pareil ! Mais la voir ici n'était qu'une preuve de plus qu'elle était un peu plus à l'aise, et c'était toujours difficile à concevoir.

Comme il la fixait avec intrigue, Ninon réagit, brandissant l'objet entre ses mains.

─ C'est un livre, c'est ça qui te perturbe ? T'en as jamais vu ?

─ Une fois, dans une vieille brocante, rétorqua-t-il avec sarcasme. Oh, et en CP aussi. Quand on devait apprendre, avec Gafi et tout.

─ Oh, le fantôme ! se rappela Ninon. C'était bien, ça.

─ C'était l'époque où on avait encore le droit de sortir, on était encore insouciant, on courait dans l'herbe et on se roulait dedans sans savoir ce qui nous attendait à l'avenir. Si j'avais su, j'aurais profité de ces instants.

Ninon rit, et Louis commençait à apprécier de la voir si enthousiaste. En fait, elle avait un bon sens de l'humour, mais il n'avait jamais pris le temps de s'en rendre compte. Toujours, il n'avait entendu d'elle que les reproches et les rappels à l'ordre. Ça ne donnait pas envie de faire des blagues.

Il s'installa dans le canapé, son bol à la main. Pas à côté de Ninon. À l'autre bout. Il y avait bien un mètre de distance entre eux – mesures barrières obligent ! Une quinte de toux le secoua brutalement, avant qu'il n'ait le temps de mettre sa main devant sa bouche, Ninon se cacha le visage avec son livre ouvert.

─ J'espère que tu n'es pas malade, le prévint Ninon.

─ Si je le suis, ce sera pas grave.

─ Pour toi, peut-être, mais pour moi...

Il leva un sourcil, soudain inquiet. Si sa mère était une personne à risque, alors peut-être que Ninon l'était aussi ! Il ne voulait pas avoir une hospitalisation sur la conscience. C'était peut-être déjà trop tard, ils vivaient sous le même toit. Est-ce qu'on pouvait être contaminé par la cuvette des toilettes ? Au visage livide de Louis, Ninon ajouta :

─ Parce que je ne sais pas si tu as déjà vécu avec un mec quand il est malade, c'est invivable. Je ne pense pas que j'en sortirais vivante.

Elle sourit avec malice, il soupira de soulagement.

─ Je suis un bon malade en général, la rassura-t-il. Je ne me plains jamais et je ne mange pas beaucoup. Je peux me contenter d'une soupe lyophilisée par jour, donc tu n'auras même pas besoin de trop cuisiner.

─ Parce qu'en plus, si tu es malade, je devrais te faire à manger ? Non mais, va te faire foutre.

Ce n'était un « Va te faire foutre » méchant, comme ils auraient pu s'échanger quelques semaines – quelques jours ! – plus tôt. C'était un « Va te faire foutre » taquin, complice, et Louis aimait bien. Il était joueur, il aimait bien les interactions qui s'assimilaient à des matchs de tennis, ou chacun se renvoyait la balle et frappait graduellement plus fort ou plus tactiquement.

─ Bien sûr que tu devras me faire à manger ! Je suis malade, Ninon !

Elle fit claquer sa langue contre son palais, avant de se replonger dans sa lecture. Mais lui, comme elle, savait bien qu'elle n'arrivait pas à se concentrer pour lire. Louis se demanda ce qu'ils étaient en train de faire. S'ils étaient en train de flirter... Ça ressemblait à du flirt. Du moins, c'était comme ça qu'il flirtait en temps normal. Mais c'était Ninon, c'était sa colocataire et jusqu'à très récemment, il ne pouvait pas l'encadrer et elle avait menacé d'appeler les flics sur lui. Était-ce parce qu'elle était moins sur son dos, ces derniers jours ? D'où venait le revirement de situation ?

Non, ils ne flirtaient pas. Ils apprenaient à s'apprécier pour mieux supporter les semaines à venir, où ils seraient coincés ensemble. Puis, de toute manière, Ninon n'était pas son style de fille. Elle traînait toute la journée en jogging sans jamais qu'il ne l'ait vue courir, et quand elle s'habillait enfin, elle assemblait toujours des vêtements bariolés qui n'allaient pas ensemble. En hiver, elle accumulait les couches sous son manteau et portait des guêtres. Absolument pas son style ! C'était dommage, elle avait un beau visage, un carré bouclé aux oreilles qui aurait pu bien tomber si elle prenait le temps de le lisser, et elle était même percée au nez, avec un anneau. Louis aimait bien les anneaux. Ninon n'était pas ignoble à regarder. Mais elle n'était pas son style ! Même si... en fait, il venait de passer un long moment à la détailler et observer chaque détail de sa personne, pendant qu'elle faisait semblant de ne pas le voir et se concentrer sur son livre.

Louis reprit ses esprits, toussa de nouveau, et plongea sa cuillère dans son bol de lait.

Confinement, jour un. 

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