LUNDI 16 / 20 HEURES
─ Je mise sur l'armée.
Ninon fronça le nez, pas convaincue par la proposition de son colocataire.
─ Mmh, non, pas l'armée. La police.
─ OK, celui qui perd fais le repas.
Étrange enjeu. Ça voudrait dire qu'ils mangeraient encore ensemble ce soir-là. Deux fois en trois jours, ça faisait un peu beaucoup. Mais Ninon accepta le marché, peut-être à tort. Elle était sûre d'elle, et si Louis perdait, elle allait encore manger des pâtes au ketchup avec du jambon. Sans nitrite. Mais des pâtes au jambon quand même.
Ils restèrent pendus à la télévision, comme des enfants devant un dessin animé, tenus en haleine par leur fierté et leur esprit de compétition respectifs. Si bien que les annonces coulèrent sur eux sans le moindre effet, et quand à la fin, les deux colocataires réalisèrent qu'il n'avait été fait mention ni de l'armée, ni de la police, ils en étaient presque déçus. Ils étaient quand même confinés. Pas le droit de sortir dans un papier. Est-ce que ça étonnait la jeune femme ? Non. Est-ce que ça la révoltait ? Non plus. Est-ce que concrètement, ça allait changer quelque chose à sa vie ? Toujours pas. Elle était tellement casanière que l'idée de rester chez elle deux semaines n'avait rien de révolutionnaire. Elle l'avait fait avant tout le monde. Quand même... Le fait que ce soit imposé, c'était un peu dérangeant. Mais bon, elle n'y pouvait rien.
Comme aucun des deux n'avait gagné, ils conclurent qu'ils feraient leur repas chacun de leur côté, mais qu'ils mangeraient ensemble. Trop bizarre. Ninon regarda son téléphone, sa mère ne lui avait toujours pas répondu. Elle était énervante à bouder pour des broutilles. Sa fille s'inquiétait de sa santé et de sa sécurité, elle ne venait pas de lui annonçait qu'elle changeait de mère ! Comme si Louis avait compris ce qui la tracassait, il lui demanda, en sortant deux assiettes du placard.
─ Tu ne vas pas rentrer chez toi ?
Ninon secoua la tête.
─ Ma mère est une personne à risque. Puis, elle est dans un tout petit village de campagne. Si j'arrive avec mes gros sabots de citadine et mes mains qui en ont serrés des centaines d'autres... Enfin.
Louis resta silencieux, et elle ne réussit pas à s'imaginer ce qu'il pensait. Compatissant, ou faussement empathique. Il était assez dur à cerner comme garçon. Ça dépendait des jours où on le prenait. Parfois, il était sympathique, et à de nombreuses reprises, Ninon s'en était voulue de le détester. Puis, il finissait toujours par faire une connerie et révéler sa part sombre, et elle se souvenait de pourquoi elle ne pouvait pas le blairer. Même si... même si ces derniers jours, ce lundi en particulier, elle avait senti une différence. Ils étaient allés faire les courses et mine de rien, ils n'étaient jamais allés quelque part ensemble en dehors de l'appartement. Elle avait même découvert qu'il pouvait être drôle. Lui qui avait toujours eu un sens de l'humour vulgaire et gras à ses yeux.
La jeune femme ne s'en plaignait pas, s'ils devaient rester quinze jours collés l'un dans les basques de l'autre, il était peut-être temps qu'elle apprenne à le souffrir.
─ Et toi ? finit-elle par lui demander.
─ Moi quoi ?
─ Tu ne rentres pas chez toi ?
─ Oh, non, je me ferais renvoyé ici aussitôt. Mes parents doivent avoir déjà assez à gérer.
Son ton décontracté intrigua Ninon.
─ Pourquoi ? demanda-t-elle. Ils font quoi tes parents ?
Elle ne connaissait rien de son colocataire. Elle ne savait même pas son nom de famille, elle avait dû le voir passer sur le bail de l'appartement mais l'avait bien vite effacé de sa mémoire. De Louis, elle n'avait conscience que de ses mauvaises habitudes de vie et tous les trucs qui l'agaçaient chez lui.
─ Ils sont urgentistes.
─ Ils sont urgentistes ? répéta-t-elle, manquant de s'étrangler.
─ Ouais, c'est pour ça. Ils sont débordés, là.
Ninon eut un moment de flottement, hébétée, et parvint à articuler lentement :
─ Comment c'est possible, avec des parents urgentistes, que t'en aies rien à foutre de ce qui se passe ?
Louis haussa les épaules, portant une pâte crue à sa bouche – il faisait ça parfois.
─ J'sais pas. Peut-être parce que je suis ultra-arrogant et égoïste. C'est ce que dit mon ex, en tout cas.
Hallucinant, pensa-t-elle. La pâte croqua sous la dent de Louis, pendant qu'il lisait les instructions derrière le paquet acheté samedi. La scène en devenait comique, et Ninon retint un rire jaune.
─ Au moins, tu en as conscience, lui accorda-t-elle.
─ Oui, du coup ça compense.
─ Pas sûre de ça, mais si tu veux.
L'eau se mit à bouillir, et Louis versa deux poignées de pâtes dedans, avant de céder la place dans la cuisine à Ninon. Elle sortit un poivron et quelques œufs pour faire une omelette. Louis finissait de mettre la table, et voyant qu'elle sortait la planche pour découper le légume, il demanda sur le ton de la plaisanterie.
─ C'est quoi ce truc ?
Au début, elle ne comprenait pas qu'il faisait une blague, alors Ninon le prit au sérieux.
─ Un poivron, tu connais pas ?
─ Non, c'est quelle variété de pâtes ?
Puis elle saisit qu'il déconnait. Et le sentiment d'étrangeté la saisit à nouveau. Devenaient-ils... complices ? Trop, trop bizarre.
Ils mangèrent ensemble, et cette fois-ci, contrairement au samedi soir, ils discutèrent un peu à table. Ils laissèrent la vaisselle dans l'évier après le repas. C'était au tour de Louis, et Ninon décida de lâcher un peu de lest, et de ne pas l'embêter pour qu'il la fasse tout de suite, même si elle détestait se lever avec un évier plein. Il lui avait juré qu'il la referait au petit-déjeuner, et elle voulait lui faire confiance. Ninon se retira dans sa chambre pour s'enfouir dans ses draps. Dans la chambre de Louis, il parlait, sûrement en train de jouer en ligne avec ses amis, et étonnamment, ça ne l'agaça pas autant que d'habitude. Elle mit ses écouteurs et le laissa tranquille.
Le lendemain, elle se réveillerait dans un pays au ralenti, avec Louis pour seule interaction sociale. Il valait mieux qu'il se lève du bon pied. Et Ninon aussi.
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