JEUDI 12 / 20 HEURES
TOME 1
La houle
MARS 2020
Au début, ils étaient trois colocataires. Alice, Ninon, et Louis. Ils n'étaient pas amis. Ils ne comptaient pas l'être. Ils avaient juste répondu à une annonce. Ils avaient tous emménagé en même temps, heureux de débuter cette nouvelle aventure. Mais après quelques semaines, ils avaient vite déchanté. Alice ne sortait jamais de sa chambre, Ninon était sur le dos de tout le monde pour le partage des tâches ménagères et Louis avait posé un cadenas sur un des placards, méfiant qu'on lui vole ses vivres. Ça annonçait l'ambiance... Ils ne se parlaient jamais. Ils faisaient leur vie de leur côté. Une année scolaire, c'était ce qu'ils devaient tenir. Ils avaient déjà fait un bon bout du chemin quand en février, Alice leur avait annoncé qu'elle abandonnait la fac et rentrait chez ses parents.
Ninon et Louis devaient trouver un nouveau colocataire en mars, pour payer à temps le loyer d'avril. Sauf que...
─ Dès lundi, les crèches, les écoles, les collèges, les lycées...
─ Dis les universités, dis les universités, chuchota Louis.
─ ... Les universités seront fermées.
Le jeune homme se leva du canapé dans un cri de victoire. Ninon, qui l'avait exceptionnellement rejoint dans le salon l'observa s'extasier avec dédain. Sans un mot, il se rassit et écouta le discours jusqu'à la fin. Quand le programme passa de nouveau au plateau télévisuel de la chaîne d'informations, Louis s'étira comme un chat.
─ Bon, bah... Vacances !
─ Ils vont faire les cours à distance.
─ Oui, mais je pourrais les suivre de mon lit.
Elle n'insista pas. Louis alla dans la cuisine pour se préparer à manger, mais Ninon resta quelques minutes de plus à écouter les analyses des journalistes. Ils revenaient sur le discours, se demandant si la mesure n'était que la première d'une longue liste d'autres à venir, plus radicale.
─ Tu crois qu'on va finir confinés ? demanda-t-elle, inquiète.
─ Mmh. Non, pas de risque. Ils n'arriveront jamais à contenir 65 millions de personnes, ils seront réalistes.
Elle éteignit la télévision, pour ne pas entretenir la panique qui montait en elle. Louis termina d'assembler son repas en silence, et quand il retourna dans sa chambre, Ninon prit sa place. Dans un soupir, elle s'accabla. Il avait laissé le plan de travail en désordre, le pot de mayonnaise encore ouvert et des miettes de pain partout autour de l'évier. Il ne nettoyait jamais derrière lui ! Avant, elle tentait de négocier, de lui rappeler qu'il y avait des règles dans une colocation et que pour son bon fonctionnement, chacun devait les respecter. Mais ça ne servait à rien, Louis ne devait pas se laver les oreilles – pourtant, avec les douches à rallonge qui bouffaient l'eau chaude, il avait le temps ! Désormais, Ninon ne s'embarrassait plus. Elle nettoyait. Elle baissait la lunette des toilettes et enlevait les poils du lavabo quand il avait terminé de se raser. Elle ne lui parlait plus, mis à part dans les cas d'urgence. Ce soir-là, c'en avait été visiblement un.
Pendant que l'eau de son repas chauffait, Ninon appela sa mère, à plusieurs centaines de kilomètres de là.
─ Allô, maman, ça va ? Tu as regardé la télé ?
Elle n'avait rien vu. Elle lui demanda juste si elle allait rentrer.
─ Non, maman, si je rentre, je peux t'infecter. Tu n'as pas idée de combien de personne j'ai fréquentées ces derniers jours !
Elle lui dit que c'était des bêtises, que c'était un coup du gouvernement pour séparer des familles et maintenir l'ordre. Ninon soupira et encaissa. Elle n'allait pas rentrer pour autant.
─ Tu devrais laisser René faire les courses, ce serait mieux que tu ne sortes pas.
Elle refusa, affirmant que même si c'était une maladie mortelle, elle irait toujours faire ses courses. Elle ne se voyait pas rester enfermée chez elle, sans voir un peu de monde. Ninon comprit qu'il ne servirait à rien de continuer l'argumentation. Elle allait forcément perdre. Elle hésita même à vraiment rentrer. Elle n'avait plus de raison de rester, de toutes façons, si les cours étaient annulés. Puis, sa mère avait peut-être besoin d'une présence sage pour l'empêcher de faire n'importe quoi. Cette dernière lui passa René, et en entendant les mots de son beau-père, Ninon fut un peu rassurée. Il allait s'occuper d'elle, il prendrait bien soin à ce qu'elle ne sorte pas trop, et il ferait attention à ne pas la contaminer. Au moins, l'un d'entre eux prenait la mesure...
Ninon les embrassa et raccrocha. L'eau avait commencé à bouillir. Elle versait les pâtes quand Louis réapparut, déposant son assiette vide dans l'évier, par-dessus toutes les autres sales qui traînaient depuis trois jours. La guerre était passive-agressive. C'était son tour de vaisselle à lui, alors Ninon ne faisait rien, attendant que l'accumulation finisse par le faire craquer. Mais elle prenait sur elle, elle détestait de voir la crasse s'entasser. Comme à chaque fois, il ignora l'évier plein, et retourna dans sa chambre. Ninon soupira. Ce garçon allait la rendre folle.
Son repas prêt, elle s'installa sur la table du séjour, faisant défiler les réseaux sociaux sur sa tablette. Tout le monde ne parlait que de ça. Les écoles fermées. Beaucoup s'en réjouissait, peu s'inquiétait de ce que cela signifiait. Louis revint, il voulait se faire un café. Tous les soirs, il se faisait un café avant de se coucher. Ils ne se parlaient peut-être pas, mais Ninon connaissait la moindre de ses habitudes. Surtout car elle détestait chacune d'entre elles. Mais il n'y avait plus de tasses pour son café. Puisque toutes les tasses étaient dans l'évier.
Louis pesta :
─ Sérieux, pourquoi la vaisselle n'est jamais faite dans cet appart' ?
Ninon haussa les sourcils, sous le choc de son culot.
─ C'est ton tour de faire la vaisselle, affirma-t-elle.
─ Non, je l'ai faite la dernière fois.
─ N'importe quoi ! C'est moi. Lundi soir, j'ai fait toute la vaisselle du week-end.
─ Oui, eh bien mardi midi, moi je l'ai faite.
Ninon bégaya un peu, prise de court. Elle parvint à rassembler ses esprits sans trop s'énerver.
─ Tu as fait la vaisselle de quoi ? Les deux bols du petit-dej et ton assiette de pâtes ? Ça compte pas.
─ Comment ça, ça compte pas ? T'es une meuf de mauvaise foi, quand même.
Ninon ne dit rien, elle ne voulait pas faire monter les tensions. Elle savait jusqu'où elles pouvaient mener. Le souvenir de cette dispute entre Louis et Alice sur l'utilisation de la salle de bain qui avaient fini avec des assiettes cassées la hantaient encore. Elle n'était pas aussi virulente que leur ancienne colocataire, elle se contentait de ressasser sa colère intérieurement. Comme si lui-même n'était pas de mauvaise foi, il fouilla dans l'évier plein et en extirpa une tasse, et une tasse seulement. Il la lava, fit son café, et prit le chemin de sa chambre à nouveau.
─ Au fait, l'interpella-t-il avant de disparaître. J'organise une soirée demain, histoire de fêter ça. Tu comptes rester là ?
─ Ouais, dit-elle avec condescendance.
Il n'allait tout de même pas la virer de chez elle ! Louis haussa les épaules à sa réaction.
─ Je sais pas, moi ! On risque de faire du bruit, et comme tu as besoin de tes onze heures de sommeil...
─ Vous décalerez dans un bar, lui proposa-t-elle.
─ On verra.
Il claqua la porte. Ninon se retrouva seule.
Au début, ils étaient trois colocataires. Alice, Ninon et Louis. Ils n'étaient pas amis. Ils ne comptaient pas l'être. Ils avaient juste répondu à une annonce. Alice était partie, ne restaient que Ninon et Louis, dans l'attente d'un troisième colocataire qui ne venait pas. Ils n'étaient toujours pas amis, et ils ne comptaient par l'être.
La suite des événements... vous la connaissez peut-être.
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