II. Odeur de vieux papier
Le lendemain matin, je me réveillai avec une agréable sensation : c'était enfin les vacances ! Ces jours de repos signifiaient plus de temps pour jouer de la harpe, et seule cette perspective me fit sortir du lit d'un bond. Je n'avais aucune contrainte horaire, et je pouvais donc me lever à onze heures après avoir joué et composé une majeure partie de la nuit, les doigts engourdis imprégnés de l'odeur des cordes.
Mon petit-déjeuner avalé en vitesse, je me mis immédiatement au travail. Je connaissais peut-être le canon en Ré Majeur de Johann Pachelbel, mais je ne le maîtrisais pas suffisamment, l'ayant laissé de côté pendant plusieurs années pour travailler des pièces qui me faisaient progresser.
Je partis vers ma bibliothèque de partitions qui occupait une pièce à part entière de la maison, et commençai à fouiller parmi les multiples feuilles de papier jauni. Elles étaient classées par compositeur et année de parution, je n'eus donc aucun mal a trouver les feuillets qui m'intéressaient.
La partition du canon était sûrement la plus vieille de toutes celles que je possédais, malgré le nombre immense de morceaux que j'avais joué. Je portais la feuille à mon nez, me laissant envahir par les souvenirs de mes premières années d'apprentissage. Les pages sentaient le papier ancien ainsi que le parfum de l'encre ternie par les années. Pour chaque anniversaire, accompagnée de mes parents, j'arpentais les braderies dédiées à la musique à la recherche de partitions oubliées et rejetées, pour leur donner une nouvelle vie et une chance d'être appréciées de nouveau.
En parlant d'anniversaire, le mien était dans à peine une semaine ! J'avais hâte de savoir quelle surprise mes parents m'avaient préparée cette année.
Les feuilles et un crayon de papier en main, je m'assis à côté de ma harpe, me berçant dans les effluves du bois poli. J'annotai les portées, marquais les pulsations, les cordes qui se jouaient en même temps, des enchaînements simplifiés. Je testai ensuite cela sur ma harpe, et effaçai certaines annotations, pour en ajouter d'autres plus pertinentes. Je faisais attention à écrire sans altérer les feuilles, voulant les préserver pour de longues années encore. Au bout de deux bonnes heures de travail, j'avais déchiffré efficacement le morceau, c'est-à-dire que j'avais noté tout ce dont j'avais besoin, et repéré les passages difficiles à travailler, encadrés sur le papier. J'avais mémorisé la structure du morceau et pouvais quasiment me le remémorer en entier.
Satisfaite et les doigts engourdis, je décidai de prendre une douche avant de me reposer en lisant un bon bouquin. Les livres étaient presque comme les partitions pour moi. Chacun possédait une odeur différente, et chacun me permettait de me plonger dans un autre monde que le mien. J'avais évidemment une préférence pour les anciennes versions, car le papier était toujours un peu abîmé, et sentait comme mes partitions. Un livre ressemblait beaucoup à un morceau de musique : au lieu d'avoir des notes et des rythmes, on avait des mots et de la ponctuation. Les thèmes et mélodies étaient des phrases, et les effets et accentuations étaient des mots plus forts que d'autres.
Contrairement à certains, je lisais en musique, car pour moi, cela ajoutait un plus à l'histoire. Chaque chanson ou morceau correspondait à une œuvre littéraire, car leur rythme coïncidait. Ainsi, quand je réécoutais une chanson, elle me faisait penser à un passage d'un livre que j'avais lu, mêlée à la fragrance du papier. Et non, je n'écoutais pas de la musique classique, que je réservais à ma harpe, et à mes souvenirs d'enfance. Sous les apparences, je étais une rockeuse dans l'âme. Cela pouvait paraître surprenant, surtout quand on voyait à quel point j'idolâtrais Debussy et ses splendides compositions, qui resteront toujours importantes pour moi. Mais d'un autre côté, j'adorais tout autant Bring Me The Horizon, The Neighbourhood, Nirvana, Linkin Park et bien d'autres. Quand je n'étais pas en train de jouer de la harpe ou du piano – car j'en avais un chez-moi, et j'appréciais de plaquer des notes plutôt que de les pincer de temps en temps – je chantais. C'était assez récent que je le fasse lorsque mes parents étaient à la maison, mais je m'y faisais.
Pendant une semaine, je travaillai le Canon de Pachelbel, mais jouai d'autres morceaux pour me faire progresser, ou tout simplement parce que je les appréciais. Ainsi, dans ma maison résonnèrent Clair de Lune de Debussy – j'aimais ce morceau car il donnait l'impression qu'un papillon s'envolait et qu'on le suivait dans les péripéties de sa courte vie, tantôt volant haut dans le ciel, tantôt chutant sous les à-coups du vent -, les Deux Arabesques du même compositeur qui s'enroulaient dans l'air dans de légers mirages, et le Prélude en C Majeur de Bach car sa mélodie était légère, douce et apaisante comme les pas d'un chat au sol.
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