3 décembre
C'est aujourd'hui les mots de Rgauxe que nous allons lire !
Ses mots bousculent en moi de multiples émotions que je ne suis pas prête à gérer. Il m'est impossible de répondre à Apolline. Les mots restent coincés dans ma gorge. Je me concentre sur ma conduite, mes mains agrippées au volant comme s'il s'agissait d'une bouée de sauvetage.
Mon regard glisse sur le rétroviseur quelques instants. Ce seul coup d'œil me suffit à reconnaître Apolline. Son lien de parenté avec mon fiancé ne fait plus aucun doute. Comme lui, elle possède un visage rond, un teint mat et des yeux rieurs. Ses cheveux à elle me semblent plus clairs que ceux de son frère, mais la brièveté du regard que je lui ai accordé ne me permet pas d'en être certaine. Comme ai-je pu ne pas la reconnaître immédiatement ?
Mon attention se reporte sur la route. Avec ce temps catastrophique, il est préférable de garder mon calme, la moindre erreur peut se révéler redoutable sous la neige.
Par le pare-brise, j'observe les flocons chuter vers le sol. Je regrette presque de ne pas être comme eux. J'aimerais pouvoir lâcher prise, me laisser porter, arrêter de vouloir tout contrôler... Je voudrais aussi qu'au prochain regard dans mon rétroviseur, Apolline ait disparu, qu'elle n'ait été qu'une illusion.
— Tu sais, reprend ma passagère, je ne t'en veux pas pour ce que tu as fait.
Après qu’on se soit reconnues mutuellement, le tutoiement d’Apolline ne me choque pas. Par contre, je ne comprends pas du tout ce qu'elle entend par cette phrase, mais elle a le don d'aggraver encore mon état émotionnel. Au prix d'un effort colossal, je parviens à rester silencieuse et à préserver le peu de contrôle de moi-même que je garde. Je n'ai jamais été proche de la famille de mon fiancé, ce n'est pas après sa disparition que je vais commencer à faire copain copain avec sa sœur. Elle peut bien essayer d'engager la conversation tant qu'elle voudra.
— J'ai toujours eu du mal à te comprendre, continue Apolline. Mais je respecte tes choix, même s'ils me font de la peine.
Mais de quoi parle-t-elle ? Je me sens de plus en plus désemparée, ce qui n'atténue en rien ma colère. Je prends une grande inspiration, essayant de freiner mes sentiments qui menacent de plus en plus de déborder. Je sens ma jambe trembler de plus en plus fort.
— Je ne sais pas pourquoi tu nous détestes autant, marmonne Apolline d'une voix timide. J'aimerais qu'on s'entende mieux. Tu ne voudrais pas essayer ?
Cette fois c'est trop. Je me retiens tout juste de donner un mauvais coup de volant, mais je m'autorise à lui répondre. Je tente au mieux de maîtriser ma rage, mais je ne peux plus rester muette, c'est au-dessus de mes forces.
— Alors là, même pas en rêve.
— Mais pourquoi cet acharnement contre nous ? demande la jeune femme à ma droite d'une voix qui me supplie presque de lui répondre.
Je ne sais même pas pourquoi elle me pose cette question. Elle pense peut-être que je suis stupide, que je ne sais pas qu'elle et ses parents sont responsables de la disparition de son frère. Mais je ne saisis pas pourquoi elle voudrait qu'on soit amies. C'est elle qui m'a séparée de mon fiancé, elle qui a fait en sorte qu'on ne puisse jamais s'entendre, toutes les deux.
Je serre les dents pour ne pas craquer, en vain. Je cède et laisse échapper quelques phrases. C'est plus fort que moi.
— Sale hypocrite, je ne sais même pas comment tu trouves le culot de me demander ça. Tu crois que je ne suis pas au courant de ce que vous avez fait ? Vous l'avez poussé à disparaître, toi et ta famille ! Vous me l'avez arraché sans même me laisser lui dire au revoir.
Un silence accueille ma courte tirade. Je me mords la lèvre pour retenir les larmes qui me montent aux yeux. Je me sens oppressée, comme à bout de souffle. À travers le rétroviseur, je remarque que ma passagère est bouche bée.
— Mais de quoi tu parles ? me demande-t-elle d'une voix de plus en plus faible.
— Tu sais très bien de qui je parle, je réponds sèchement.
Mais au fond de moi, je ne suis plus si sûre de mes mots. Ses questions m'ont embrouillé l'esprit, je ne sais plus quoi penser. J'aurais besoin de temps pour réfléchir, mais Apolline est toujours là, affaissée contre le dossier du siège passager de ma voiture. Mes certitudes volent en éclat, seule ma colère contre elle me semble encore réelle, alors je m'accroche à ce sentiment.
— Tu parles de mon frère ? m'interroge-t-elle de sa petite voix que je ne supporte déjà plus. Mais... mais je croyais... Ce n'est pas toi qui lui as demandé de couper les ponts avec nous ? Je... Où est-ce qu'il est ?
Je suis complètement perdue. Je me sens aussi impuissante que ces flocons de neige qui tombent inlassablement depuis ce matin. Je tourne ma tête vers Apolline. Sa main tremblote sur sa cuisse. Ses fins sourcils sont froncés. Son regard fixe un point qui semble au-delà du monde.
Elle a l'air aussi désemparée que moi.
Mais pourtant, une voix au fond de moi continue de me crier que tout est de sa faute. Cette voix résonne dans ma tête, me rappelant sans cesse la culpabilité d'Apolline. Il me paraissait si clair qu'elle était responsable de la disparition de mon fiancé jusqu'à présent. Pourquoi cette certitude est-elle en train de s'estomper ?
Soudain, je vois un enfant qui traverse la route en trottinant, seulement quelques mètres devant le capot de ma voiture. Je ne l’avais pas vu plus tôt à cause du noir de la nuit. Si je ne m'arrête pas maintenant, je l'écraserai. Apolline pousse un cri qui me glace le sang. Sans réfléchir, je freine brusquement et donne un grand coup de volant.
Que va-t-il arriver à nos deux héroïnes ? Vont-elles survivre à cet incident..?
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