23 décembre

Voici l'avant-dernier chapitre de cette histoire pleine de rebondissements, écrit par cecilylasso ! Je vous souhaite une très bonne lecture !

Je sursaute à l’entente de mon prénom. Plusieurs voix se mêlent dans cet appel et il résonne dans la prison comme un chœur de Noël. La mélodie si douce et abrupte réchauffe mon cœur, et un nouvel espoir y naît.

Attirée par le son, je relève la tête, déroule mon dos, m’appuie sur mes jambes, dont le tremblement s’est éteint comme par magie, ou est-ce le courage si soudain qui m’emporte ? Je ne sais pas. Je ne sais plus. Je me laisse guider par les voix, par le son qui résonne à mes oreilles et me rappelle mon enfance. Les petits anges de l’église, la chaleur des chandelles et leur lumière chatoyante, les effluves boisées du sapin, l’or des guirlandes, l'éclat de chaque bougie de la couronne, les cris des bambins qui découvrent leurs cadeaux.

Tout ce qui fait la magie de Noël résonne dans ce chant. J’en profite une dernière fois, me noie dans l’ambiance enneigée puis ouvre les yeux. 

Je retrouve la bouille poilue du lapin, mais le voilà accompagné de cinq autres étranges personnages. Un vieil homme vêtu de soie rouge et doré, selon la mode de l’Orient antique. Un nuage de petites fées roses et vertes, aux ailes diaphanes. Une petite souris dorée qui siffle de sa voix fluette. Un marchand à la toge d’or qui affiche un sourire malin et juste à côté de lui… est-ce la reine des neiges ?

J’avais toujours imaginé l’impératrice des glaces blonde, la peau pâle, affublée d’une robe gelée. Mais la femme en face de moi a le teint mat, de longs cheveux noirs surmontés d’une couronne de givre, et des yeux… des yeux… bleu glace, ou est-ce du gris ? Ses iris brillent de l’éclat d’un lac gelé, transparents comme un miroir, qui reflèterait l’azur du ciel d’hiver. 

Un teint mat, des cheveux sombres, des yeux bleus… ne l’ai-je pas déjà vue quelque part ? C’est alors que je reconnaît la femme des photos. Son ventre rond a disparu, mais du reste, son physique est toujours aussi harmonieux, son sourire plus chaleureux encore. 

Stupéfaite, je balbutie :

— Vous… vous… vous connaissez Aaron, non ? 

La reine hoche la tête, sans cesser de fredonner. Sa voix est mélodieuse, douce comme les étreintes de ma mère. 

Mais, toute cette chaleur, toute cette joie ne me détournent pas de mon but.

— Alors… vous connaissez Adam, non ? 

J’attends sa réponse hésitante. J’ai peur qu’elle me dise « non », qu’elle suive la voie d’Aaron et Caleb et continue de me mentir. Mais elle cesse son chant et murmure :

— Oui, ma petite Elena, je connais Adam. C’est une longue histoire, que j’aurais bientôt l’occasion de te conter. Mais d’abord, je crois qu’on a une ombre à renvoyer.    

Sur ce, elle abattit ses mains l’une contre l’autre, dans le claquement strident de la grêle contre le verre. En réponse, les barreaux de ma prison ainsi que ma chaîne explosèrent. 

Stupéfaite, à bout de souffle, je contemple les anneaux brisés et les morceaux de métal au sol. Mais une poigne gelée agrippe mon bras et me sors de ma torpeur. L’impératrice de l’hiver m’entraîne dans sa course, suivie par les cinq autres mythes. 

Mon cœur remonte dans ma poitrine, un goût de sang envahit ma gorge, mon souffle se fait court, la reine me traîne à sa suite. Je n’en peux plus, je suis épuisée, laminée, je ne rêve que de dormir, revoir mes parents, oublier ce réveillon de Noël horrible. 

J’en ai marre de ces histoires de mythes, de ces gens étranges, d’Adam, qu’on cherche et ne retrouve pas. Je voulais juste rejoindre ma famille pour Noël, et me voilà embarquée dans une quête impossible. 

Pourquoi me suis-je retrouvée là ? Pourquoi dois-je passer mon réveillon à courir, dans un monde imaginaire, avec des inconnus ? 

Je voulais juste rentrer chez moi ! 

Je commençais à oublier Adam, et voilà que sa sœur réapparaît, que je découvre des gens qui le connaissent, que je dois le suivre dans sa mission. Mais le suivre où ? Je déambule dans les couloirs, je suis des gens, des gens qui ne sont pas Adam. Je dois combattre une ombre, une ombre dont je n’ai que faire. Je suis Adam, mais Adam n’est pas là. 

Alors que mon souffle se coupe, que la fatigue m’envahit, j’ai la terrible impression de m’être fait rouler. 

Mon esprit s’échauffe, la rage envahit mes pensées. J’ai envie de repousser la reine, de m’éloigner de tout ces mythes. J’ai envie de crier, hurler. J’ai envie de me débarrasser d’eux et des souvenirs de cette soirée infernale. Alors que je m’arrête et frappe la main de le souveraine pour la dégager, un nuage noir me repousse en arrière. 

Dans un tourbillon de cendre, me voilà projetée au sol. Mon dos heurte le mur dans un bruit sec et mes dents s’entrechoquent. La douleur est si forte que j’en hurlerais, mais je suis si faible que je n’arrive qu’à gémir.  

Un concert de hurlements résonne tout près de moi. Cela n’a plus rien à voir avec le chœur de Noël de tout à l’heure. Après la magie et l’amour, voici le chaos. 

Les voix autrefois mélodieuses se font stridentes, les animaux couinent, les corps s’abattent au sol en claquant. Le désordre, la rage, et la mort se déchaînent devant moi. 

Je parviens à soulever les paupières et tente d’évaluer l’ampleur du carnage, à travers ma vision troublée.  

Le marchand de sable emporte Skygge avec ses cyclones de poussière, le père Noël lui envoie mille cadeaux empoisonnés, la petite souris lacère ses chevilles avec sa minuscule rapière, le lapin le mord, et la reine des neiges lui envoie des piques de glace acérés. Quant aux fées de l’été, elles volent vers moi et me soulèvent dans les airs, afin de me déposer tendrement loin des combats, en sécurité. 

Les larmes me viennent. Il y a quelques minutes à peine, je voulais abandonner les mythes et leur quête impossible. Mais les voilà en train de livrer bataille pour m’aider, me libérer. Je les ai insultés, traités de créatures de dessin animé ou d’inventions commerciales, et malgré tout, ils sont venus me chercher. Je commence à comprendre pourquoi Adam a voulu se lancer dans cette quête. Il y a quelque chose de merveilleux, dans ce monde, avec ces personnes. Savoir qu’on peut être odieux, misérable et qu’il y aura toujours six mages pour vous venir en aide… c’est juste fantastique. 

Ça tient de la magie, des contes de fées, ce n’est pas possible. L’espace d’un instant, je crains de me réveiller dans mon lit, de découvrir que tout cela n’était qu’un rêve. Je ne sais pas si j’en ai peur, ou si je le souhaite. Mais peu importe, cela n’arrivera pas, je souffre trop pour que ce ne soit qu’une illusion. 

Perdue dans mes pensées, je ne me rends pas compte que les chocs et les cris de lutte ont pris fin. Je mets du temps à le réaliser, mais le silence m’entoure. L’angoisse me prend au tripe. Les mythes auraient-ils échoué ? Suis-je condamnée à rester ici, prisonnière de Skygge, sans jamais retrouver Adam ?   

Mais le couloir s’emplit soudain de rires sonores et mon visage s’illumine à nouveau. Je reconnais leurs voix, et la joie qui y perce de nouveau éclaire ce monde magique, jusqu’alors bien trop sombre. 

— Ho ho, votre majesté, quelle belle statue vous nous avez offerte. Une glace exceptionnelle, des courbes si réalistes, une réussite, glousse le père Noël. 

— Je vous en prie, ce n’est rien à côté de votre lancer de traîneau. Vos rennes nous ont livré une de ces prestations… s’esclaffe la reine des neiges.

Titubante, je me relève et me dirige vers leurs voix. Je les aperçois alors, rassemblés autour d’une idole gelée, faite d’une étrange glace noire. Le vieil homme flatte l’encolure de deux cervidés, au-devant d’un carrosse cabossé. Quant à Skygge, je crois bien qu’il a disparu, à moins que… 

Il n’est jamais sorti de la pièce et ne disparaîtra jamais. L’impératrice de l’hiver s’en est assurée, voilà que le maître des illusions, la métaphore aux mille formes, est figé. Immobilisé pour toujours, piégé dans la glace. 

Un gloussement hystérique m’échappe, alors que je me laisse tomber au sol, soulagée. 

Dans un tourbillon de boucles noires, la reine se retourne et court à ma rescousse, inquiète. Sa main froide caresse ma joie et remonte mon visage.

— Elena, Elena, tout va bien ? 

— Oui… oui, ça va aller, soufflé-je, épuisée mais hilare. Je n’en reviens pas qu’on ait réussi ! 

La rage et la peur se retirent, je respire enfin. Toute la pression de la soirée me libère, et je flottais sur un petit nuage, jusqu’à ce qu’une pensée me frappe. Caleb, Appolline et Adam, surtout Adam… comment ai-je pu les oublier ? 

Ils sont toujours là, perdus dans ce monde. Il faut que je les retrouve. Je lève les yeux vers les mythes et me corrige : que nous les retrouvons. 

La souveraine pose une main sur mon épaule. 

— Elena, nous allons chercher tes amis, mais prenons le temps de nous reposer avant tout. De plus, je crois que je te dois une histoire, souffle-t-elle en souriant. 

Aussitôt ces mots prononcés, les cinq autres mythes s’assoient autour de nous, comme des enfants à l’heure du conte du soir. L’impératrice s’agenouille et sa robe aux reflets argentés s’étale au sol en chatoyant. De sa voix douce, elle murmure :

—Voilà quelques années, inquiète de la place de moins en moins importante du rêve dans l’esprit des enfants, j’ai rejoint le monde des hommes pour rendre leur place aux mythes. Mais alors que je parcourais la Terre, j’ai rencontré un jeune homme qui a fait basculer mon cœur. J’ai oublié ma mission et me suis donnée entièrement à lui. Mais quand je suis tombée enceinte, que je lui ai révélé ma véritable identité et que je lui ai demandé de me suivre dans mon monde, que je lui ai promit de le rendre immortel, il m’a prise pour une folle et abandonnée. Je me suis retrouvée seule et enceinte, dans un monde qui n’était pas le mien. C’est en cherchant un passage vers mon univers, que j’ai rencontré Aaron, Caleb et leur ami Adam. Ils ont proposé de m’héberger et de m’aider. J’ai accepté sans difficultés. Je suis restée dans leur chalet jusqu’à la naissance d’Alex, leur ai confié mon enfant puis je me suis évanouie de nouveau dans l’hiver. 

La reine essuie une larme. 

—Avec Aaron et Caleb, je savais que mon fils serait en sécurité. Je leur ai révélé ma véritable identité, leur demandant de prendre soin de lui et… voilà. 

Sa voix flanche, ses yeux brillent… j’aimerais compatir, mais je ne souhaite que retrouver Adam. Cependant, je sais que ce n’est pas le moment de l’interrompre. 

—J’ai effacé la mémoire de leur ami, Adam, mais depuis, il a gardé une fascination pour les mythes. Alors il a commencé à se renseigner, puis un jour, il a pris la voiture et s’est laissé guider par son intuition. Évidemment, celle-ci l’a mené au chalet, où il m’avait rencontré et où Alex, l’enfant d’une mage, vivait. Son accident ne l’a pas rendu amnésique, il pensait toujours à toi, mais son amour des mythes l’a maintenu au chalet, si loin de toi. Il a fini par traverser la porte que j’avais ouverte et est entré ici. Mais son immersion dans ce monde inconnu l’a rendu fou, et ses rêves de grandeur l’ont emporté. Comprends-tu, il voulait devenir un mythe lui-même alors…

Je sais ce qu'elle va dire. Je le devine sur ses lèvres, son expression. Mais je ne veux pas l’admettre, par pitié…

—Il est devenu notre ombre, Elena. Il s’est transformé en Skygge, l’ombre des mythes.

Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top