20 décembre

Ce récit plein de rebondissements se poursuit aujourd'hui grâce à la plume de Shad_Eau ! Bonne lecture !

— Non ! crie Apolline. Non, je ne veux pas savoir, et de toute façon le Père Noël n’existe pas. Tu n’existes pas ! Tu n’es qu’une ombre… Ombre sur des mythes et des hallucinations. Je ne crois pas au Père Noël !

Je regarde ses yeux brillants. Je ne sais pas ce qui a éclaté en elle, mais son corps tremble et une nouvelle crise d’hystérie l’agite. Je dois être un roc. Porter le poids de sa peine. Alors que les images du cadavre du Père Noël cognent dans ma tête, mes lèvres tombent plus bas encore : le poids du sourire est trop lourd à porter. J’oublie mes mots. Seules les voix d’Apolline et de Skygge résonnent et me percent les tympans. 

Caleb se terre dans son étrange mutisme. Je sens sa présence derrière mon épaule, une vague chaleur, alors que l’air glacé gifle mes joues. 

 — Moi non plus, je ne crois pas au Père Noël, chuchote Skygge. C’est pour ça que j’ai poussé son traîneau. Je voulais des cadeaux, moi ! Depuis la nuit des temps, même quand je suis sage et que je dessine des cœurs dans les nuages, il ne veut pas m’apporter un cadeau sous prétexte que je lui fais de l’ombre. J’ai beau me transformer en enfant, il voit le subterfuge. Je ne ressemble pas à un enfant ? J’aime perdre les gens, je déteste perdre. C’est pour ça que j’ai tué le Père Noël. »

Sa silhouette informe se tord. Des éclats de noirceur, rayons sombres, partent en soleil depuis sa tête difforme obscurcir les environs. Il nous trompe ! Il joue au coupable innocent ! Sa voix rauque me retourne, un dégoût brusque ressort de mon écœurement. Calmée, Apolline lève la tête vers lui. Comment peut-elle l’écouter ? Un frisson hystérique sort de ses lèvres en réponse, mais si froid qu’il me surprend. 

— Moi aussi j’avais un Père Noël. À peine plus grand que moi, perdu dans son immense manteau rouge. C’est mon beau petit souvenir, une lueur de l’enfance. Son menton fin noyé sous le plastique blanc m’obnubilait. Pourquoi Adam avait-il besoin de cacher son corps si je savais qu’il était le vrai Père Noël ? Je ne comprenais pas pourquoi le monsieur barbu, dans le traîneau, volait la place de mon frère. Adam riait beaucoup, lui au moins, et pas ce rire grave de soulard éternel. Et puis quand Adam a disparu, je me suis dit que je n’aurai plus jamais de père Noël. Comme le père Noël n’existe plus, je ne crois pas à sa mort. Je ne crois pas à la magie et je ne crois même pas en toi. Tu ne l’as pas tué !

— Tais-toi, Apolline ! Je l’ai tué ! Crois en moi et je croirai en nous ! Je l’ai tué parce qu’il ne voulait pas m’offrir de cadeau, à Noël. Je lui demandais seulement un tout petit peu de place, un millimètre de sa gloire infinie, je lui ai dit que je voulais être l’antagoniste d’une histoire. Une toute petite histoire... Elena, Apolline, Caleb, est-ce que je peux être la clef et l’antagoniste de votre histoire ?

Effarée, j’observe Apolline et Caleb hocher la tête. Qu’est-ce que…? Je ne bouge pas. Mon corps refuse. J’essaie de briser mon inertie, mais la panique s’insinue en moi. Caleb tend sa main, Skygge la serre. Leurs trois regards se tournent vers moi, ils brillent dans la nuit noire. Une forme sombre fuit, au loin, minuscule corps de souris. Pourquoi ? Skygge parle à nous trois, mais je sais qu’il s’adresse surtout à moi :

— Vous venez avec moi ? demande Skygge. Je suis seul, je peux vous ouvrir la porte… Soyons ensemble la clef pour retrouver Adam.

Apolline et Caleb hochent la tête, me regardant toujours. Hébétée, j’observe l’étoile du Nord briser l’aurore, bien loin devant moi, alors que je croyais déjà l’avoir atteinte. Leurs yeux toujours sur moi. Ces iris luisants m’obnubilent. Irréels. Leurs trois voix résonnent à l’unisson :

— Nous partons en voyage. Elena, tu ne viens pas ? Pourquoi tu ne viens pas ? Peut-être finalement que tu es la seule antagoniste. Tu ne veux pas nous aider ? Tu as un cœur de glace. 

— Tu m’étonnes qu’Adam soit parti, renchérit Skygge. Peut-être qu’il a senti ton cœur tout froid, et qu’il voulait éviter d’être contaminé ? Ou peut-être que tu étais partie en première… Peut-être qu’il avait peur de toi… Nous aussi on a peur de toi. Que connais-tu de nous, au final ? Tu as encore un peu de temps, Elena, mais à peine, pour retrouver Adam et fêter Noël en famille. C’est dommage que tu ne sois pas venue avec nous…

L’ombre de Skygge s’effondre et se change en un petit lapin. Un rire froid coule de la gorge d’Apolline, elle enlève ses chaussures pour poursuivre l’animal. Ses pieds nus s’enfoncent dans la neige. Elle s’éloigne. Un frisson me traverse. Le poème s’est déjà réalisé, ce n’est pas possible ! Pourquoi un lapin alors que j’en ai déjà vu ? Un deuxième lapin, une autre souris, une autre étoile… Je suis perdue.

— A... Attendez, balbutie-je. Et si vous me disiez la vérité ?

Caleb me regarde. Ses yeux bleus percent les miens et je fais un pas vers lui. Il recule. Puis il s’en va en courant, me laissant désemparée et seule dans le froid. Ce ne peut être qu’un cauchemar. Je dois retrouver Caleb et Apolline, et ensuite on retrouvera Adam. Je veux qu’on continue ensemble. Qu’on avance. À trois, qu’on brave le froid et nos peurs. J’étais leur pilier !

Au final, je me demande même si Caleb et Apolline ne sont pas des illusions. Je crois tomber dans un puits sans fond, je ferme les yeux et le noir étend ses tentacules sur mes pensées. Une voix résonne au loin, je reconnais celle de Skygge.

— Elena, je t’avais dit qu’il ne fallait pas m’oublier ! Il ne fallait pas oublier. Tout oublier… Tu n’as plus rien. Et si tu étais la personne amnésique, au final ?

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