Chapitre 2
La jeune voleuse, assise dans un fauteuil moelleux et usé, lisait une thèse complète sur les serrures des coffres-forts et leurs mécanismes. Elle n'avait jamais été douée pour forcer les portes, les fenêtres et les coffres. En réalité, les seuls professeurs qu'elle aurait pu avoir étaient des maître-voleurs, mais aucun de ceux qu'elle avait croisés ne souhaitaient prendre comme apprentie une fille, peu importait son niveau. La tire-bourse se réfugiait donc dans les livres et sortait parfois le soir s'exercer, seule, comptant sur son don pour sentir les émotions des gens et ainsi éviter de se faire prendre.
Même si elle ne l'avouerait jamais, elle aurait préféré travailler avec d'autres tire-bourses, s'entraîner avec eux. Bon nombre de voleurs formaient des clans, pour gagner en efficacité. Mais aucun groupe n'acceptait Lyana. Elle avait tout entendu : qu'une fille portait malheur, qu'elle ne leur était d'aucune utilité, que sa place était chez les prostituées, ou encore qu'au vu de son don pour le vol, elle n'avait besoin de personne. Mais le pire avait été le jour où on lui avait finalement proposé de rentrer dans un groupe contre sa vertu. Elle n'était pas particulièrement attachée à sa virginité, mais en aucun cas elle voulait être considérée et traitée comme une vulgaire catin.
Des pas résonnèrent dans la salle, la coupant de ses pensées désagréables pour les changer en quelque chose de plus déplaisant encore. Cyrien se tenait pour la deuxième fois de la journée devant elle, les bras croisés sur son impressionnant torse, un sourire torve barrant son visage.
— Tu as déjà tenté ta chance aujourd'hui il me semble, râla Lyana dans l'espoir que sa mauvaise humeur le fasse fuir.
— Arrête de faire semblant, je sais que ma présence t'a manquée ! ricana-t-il.
Devant son silence glacé, et ses yeux lançant des éclairs de mécontentement, le garde ne se départi pas de son sourire et poursuivit.
— Le Faucon veut te parler.
Retenant un soupir, Lyana ferma son livre et se leva, se promettant d'y retourner ensuite. Elle avait besoin de ce talent-là si elle espérait un jour pouvoir devenir maitre-voleuse.
— Je te suis.
Ses pensées s'échappèrent durant le trajet. Tout cela était étrange. Pourquoi le Faucon la convoquait-il alors qu'elle l'avait vu moins de deux heures plus tôt ? Il ne se serait pas donné cette peine s'il la pensait coupable d'une quelconque traîtrise, ou s'il estimait qu'elle avait dérogé à l'une des règles. Alors pourquoi ? Jamais encore il ne l'avait mandée.
Cyrien laissa Lyana devant la porte du bureau du Faucon. Avec appréhension, elle y pénétra pour la deuxième fois de la journée, sans prendre la peine d'utiliser son pouvoir pour tenter de comprendre les émotions du chef. Elle n'avait jamais vraiment saisi d'où lui venait cette capacité, et les hypothèses qu'elle avait été trop improbables pour être exploitées. Ce qu'elle savait, cependant, c'était que certaines personnes restaient opaques à son pouvoir. Le Faucon était de ceux-là, et elle ne rencontrait qu'un immense vide lorsqu'elle tentait de lire en lui.
Ainsi, elle faillit se figer de surprise devant le spectacle qui l'attendait. . Pourtant, comme tous les tire-bourses de la guilde, Lyana le reconnut aussitôt. Finn était l'un des voleurs les plus doué de l'organisation, alors qu'il n'avait que dix-sept ans. Il ne faisait plus partie des tire-bourses depuis bien longtemps et participait à des missions de grande ampleur, qui pouvaient prendre plusieurs mois de préparation. Le genre qui rapportait gros et qui faisait toute la réputation de l'organisation et de ses voleurs. Tous les tire-bourses espéraient participer, un jour, à ce genre d'aventure.
Lyana ne put s'empêcher de le détailler plus encore. Si le physique de Finn était d'une banalité effrayante, sa tenue de maître-voleur était, quant à elle, splendide. Sous le cuir gris souple, Lyana imaginait aisément un nombre incalculable de poches remplies de substances explosives ou empoisonnées. Sur son cœur, il avait pour emblème une tête de loup stylisée et, à sa ceinture, de nombreux poignards et dagues sculptées qui devaient valoir plusieurs centaines de pièces d'or. La jeune fille ressentit une vague déception. Comme nombre de maitre-voleurs, il portant un emblème similaire à celui d'Elys, et cela avait tendance à exaspérer l'adolescente. Outre le manque d'originalité, c'était une insulte pour ce voleur légendaire. Finn avait beau être incroyable, il n'arrivait pas à la cheville d'une telle légende.
— Ah Lyana ! Ma petite renarde, je t'attendais, commença le Faucon avec un sourire carnassier.
Le Faucon ne ratait jamais une occasion de rappeler que, d'une manière ou d'une autre, il avait un œil sur tous les membres de sa guilde. Lyana nota une nouvelle fois qu'elle avait été observée sans s'en rendre compte. Elle se demandait qui étaient les espions du Faucon mais finit par déduire qu'elle ne devait pas les croiser et qu'ils faisaient partie d'une branche de la guilde que les gens de son grade ne pouvaient pas connaitre.
— Que puis-je faire pour vous ? demanda-t-elle dans un soupir.
L'homme ignora la question et, sans se départir de son sourire, désigna l'adolescent à ses côtés. Celui-ci regardait toujours son chef, sans accorder le moindre crédit à la jeune femme à ses côtés.
— Je ne te présente pas Finn. Finn, voici Lyana.
— Je la connais déjà. Certes c'est une bonne tire-bourse, mais je ne comprends toujours pas pourquoi elle devrait m'accompagner, déclara le voleur d'une voix blanche.
Lyana le trouva bien arrogant, l'air hautain. Il avait beau être doué, il la prenait pour une épine dans son pied, comme la plupart des maitres-voleurs. Elle détestait ça. N'était-elle pas une voleuse comme les autres ? Et douée en plus de ça ?
— Mon cher Finn, tu es intelligent mais parfois tu ne vois pas plus loin que le bout de ton nez. C'est une fille, jolie et talentueuse. C'est exactement ce dont tu as besoin pour cette mission. Elle sera tes yeux et tes oreilles chez les serviteurs. Parfois, c'est là qu'on apprend ce que l'on veut savoir. Et puis, après ton dernier fiasco, je ne te laisse pas le choix de travailler seul.
Finn soupira mais ne dit rien. Curieuse, Lyana se demanda quel était cet échec, surtout pour quelqu'un d'aussi réputé que le jeune homme. A quatorze ans seulement, il avait réussi à pénétrer le palais royal et voler une partie des coffres. A dix-sept ans, surnommé le Loup, il était déjà connu et recherché dans tout le pays. Un réel prodige puisque ce genre d'attention, rare, n'était habituellement réservée qu'à des maitres-voleurs bien plus expérimentés. C'était certainement pour cela qu'après son 'fiasco', il n'avait pas encore été puni par le chef et qu'il avait droit à une seconde chance. Elle hésita quelques instants à laisser libre court à son pouvoir pour mieux comprendre les émotions du voleur.
— Et d'ailleurs elle est en passe de passer à la vitesse supérieure. Qu'en dis-tu, Lyana ?
La jeune fille se tourna de nouveau vers le chef, réellement surprise de ce changement de cap. Certes, elle venait d'acheter la tenue pour, mais elle ne s'attendait pas à une telle envolée avant quelques mois, voire même années. Il était bien rare de passer au rang de maitre-voleur à quinze ans sans passer apprenti et, de ce qu'elle savait, aucune fille n'y était parvenue.
— Je... Eh bien, je ne m'y attendais pas.
— Alors que tu te payes une tenue de maitre voleuse ? Ben voyons ! Enfin bref, revenons-en à la mission d'aujourd'hui. Lyana, je t'ai fait entrer au service de la maison Joras. Finn, ta couverture d'apprenti tailleur est toujours d'actualité ?
Peinant à retrouver sa concentration face à une telle nouvelle, Lyana ne comprit pas ce que le chef racontait. Être au service d'une grande maison ? Mais pourquoi ?
— Oui.
— Parfait, tu vas la revêtir et offrir à la maison Joras la garde-robe de leur rêve. Votre but est d'infiltrer cette famille et de trouver la cachette de cristaux de Ser Evangel Joras. Simple. Compris ?
— Es-tu sûr qu'il en ait une ? intervint Finn d'une voix dure.
— Disons que si ce ne sont pas des cristaux, ce sera des diamants. Dans les deux cas, cela nous enrichira.
Des cristaux ? Il était déjà très inhabituel pour des familles, quelle que soit leur richesse, d'en posséder ne serait-ce qu'un, alors plusieurs ? Certes la maison Joras ne le cédait en puissance et en richesse qu'à la famille royale, mais tout de même. Avoir plusieurs cristaux leur conférait la possibilité d'un énorme pouvoir, et même d'un coup d'état.
En effet, une fois ingérées, ces pierres faisaient de leurs propriétaires d'incroyables mages. Or, c'était l'unique manière d'obtenir de la magie dans le royaume. Cela, combiné à leur rareté et avec leurs effets très différents d'une personne à l'autre, faisaient que peu d'informations étaient disponibles à leur sujet. La plupart se transmettaient sous forme de mythes extraordinaires. Lyana en avait entendu plusieurs. Des gens capables de maitriser les éléments, des guerriers redoutables aux sens plus aiguisés que leurs lames, ou bien des soldats à la peau dure comme le diamant. La seule chose qui restait commune à ces récits étaient qu'on ne pouvait posséder qu'un pouvoir et que consommer plus de cristaux permettait de renforcer son don. Ainsi, on racontait qu'un roi boulimique qui en avait avalé trop d'un coup en était mort, incapable de survivre à tant de puissance. Son fils, pas beaucoup plus malin, les avait pris un par un mais avait péri à la cinquième avalée.
Mais il était aussi dit que les esprits faibles succombaient à la folie après ingestion, ou que chaque utilisation raccourcissait l'espérance de vie. Lyana savait que la plupart n'étaient que fabulations, mais lesquelles ? Les ouvrages dessus étaient presqu'aussi rares que les cristaux eux-mêmes ! Et les seuls capables d'étudier ces phénomènes étaient les riches nobles et la famille royale. Autant dire qu'ils ne dévoileraient jamais ce qu'ils savaient.
La jeune voleuse se sentait toute étourdie à l'idée que la Guilde puisse tomber sur un tel trésor. Ce serait de la folie.
— Je vous laisse deux jours pour vous préparer puisque Lyana rentrera au service de la maison Joras dans trois jours, poursuivit le Faucon sans prendre en compte le trouble de la jeune voleuse. Pour que vous puissiez travailler, je vous ai libéré une chambre et un bureau. Bien sûr j'attends de vous aucun contact autre qu'avec moi et entre vous. Lyana, tu n'es pas au fait de nos manières de procéder. Chaque semaine, tu as droit à une demi-journée de repos. Une semaine sur deux, j'attends un rapport. Ne t'en fais pas, tu sauras où le faire par différents moyens. Finn, tu sais déjà comment opérer.
Ce dernier hocha la tête. Le Faucon les congédia d'un geste de la main, retournant à ses cahiers de comptes comme s'il ne leur avait pas attribué une mission qui, si elle réussissait, rentrerait dans la légende. Finn commença à suivre un des gardes du corps qui devait les mener à leur chambre, quand le chef l'apostropha, avec son éternel et détestable sourire en coin.
— Ah et j'oubliais Finn. C'est bien entendu à toi de former ta coéquipière, puisqu'elle n'est pas passée par l'apprentissage.
Un regard noir répondit au Faucon. Tout portait à croire qu'il avait provoqué délibérément le jeune voleur, mais Lyana n'arrivait pas à saisir en quoi son apprentissage, de deux petits jours, pouvait être une contrainte. Elle n'eut pas le temps de s'interroger plus puisqu'un garde les emmena tous deux dans des galeries souterraines qu'elle ne connaissait pas. Malgré son esprit bouillonnant et excité face à la mission extraordinaire qui lui avait été confié, l'évolution de son statut la frappa soudain comme un coup de poing en plein estomac.
Une fois que l'on passait maitre-voleur, il était rare que l'on retourne dans la salle principale et les dortoirs des tire-bourses. Les seuls qui revenaient étaient soit presque morts et rétrogradés à vie aux plus bas échelons, soit à la recherche d'apprentis à former. Dans certains cas exceptionnels, un tire-bourse devenait maitre voleur par l'aval du Faucon, comme ce qu'il venait de se produire pour Lyana. Cependant, cela restait très rare, et peu de tire-bourses arrivaient à ce stade. Il fallait être très doué, polyvalent et entièrement loyal au Faucon. Le cœur de la jeune femme cogna plus fort dans sa poitrine, un sentiment proche de l'exaltation la prenant aux tripes. Le chef la considérait comme une voleuse à part entière, contrairement à tous ses camarades. Elle avait enfin gagné sa place et elle s'en sentait mille fois reconnaissante et ce, même si elle savait que les maitres-voleurs voyaient leur richesse augmenter autant que leur espérance de vie diminuer. La plupart ne survivaient pas au-delà de cinq ans.
Ils finirent par déboucher dans une petite caverne vide de toute présence, qui donnait sur une seule et unique porte. On les laissa là, tous les deux, seuls. La porte donnait sur une petite chambre contenant deux lits, deux armoires et un grand bureau dont le tiroir était rempli de feuilles, livres, plumes et encre. Le peu d'affaires que possédait la jeune fille se trouvaient déjà dans un des deux meubles. Finn soupira et fit mine de se mettre à travailler sur le bureau, comme si la jeune fille n'avait jamais été à ses côtés. La joie de la jeune fille se fana d'un coup face à autant d'antipathie et la colère menaça de la submerger. Cependant, Lyana se calma du mieux qu'elle put avant de prendre la parole.
— Hum... Loin de moins l'idée de te déranger, commença-t-elle cyniquement, mais tu es censé m'expliquer ce qu'il va se passer. Et je pense même que l'on devrait construire le plan, s'il y en a un, à deux.
— Loin de moi l'idée de te vexer, mais je n'ai pas besoin d'une gamine prétentieuse et inexpérimentée pour m'aider. Et puisque le chef pense que tu es douée, je ne devrais rien avoir à t'apprendre.
La jeune fille sentit ses joues rougir et une soudaine envie de lui faire goûter ses poings s'empara d'elle. Pourtant, une nouvelle fois, elle étouffa ses ardeurs. Elle choisit ce moment-là pour projeter son pouvoir sur Finn. Il fallait qu'elle comprenne ses sentiments pour pouvoir le convaincre au mieux que leur travail commun valait mieux que deux voleurs frustrés. Une bouffée de colère, de tristesse et de frustration mêlées se logea en elle, menaçant de submerger ses propres pensées tant les émotions étaient violentes et chaotiques. Lyana tenta de les trier, de prendre du recul, et comprit que tout cela n'était pas tourné contre elle. Elle n'arriva pas à percevoir clairement la source de tant de négativité, bien qu'elle se douta qu'une partie venait du chef, cependant cela lui permit d'adopter un discours plus calme et plus posé.
— Ecoute, je n'ai rien demandé de tout ça non plus, mais le fait est qu'on doit faire équipe cette fois-ci, et ta mauvaise foi n'y change rien. C'est une première pour moi, cette mission. Mais malgré tout, je pense qu'il faut qu'on se prépare ensemble. Alors soit tu m'expliques, tu m'apprends, on construit le plan ensemble, soit on reste chacun dans notre coin, et d'ici une semaine l'un de nous commettra une erreur et on se verra relégués au rang de tire-bourses.
Un instant, la voleuse cru que la colère prendrait le dessus et que ses mots n'avaient pas atteints leur cible. Pourtant, quelque chose de minime changea chez le jeune homme, le rendant un peu nostalgique. Il finit par lui désigner la chaise à côté de la sienne, le visage crispé. Lyana s'y assit avec un petit sourire qu'elle voulait engageant, fière de sa première réussite.
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