Chapitre 8

Audrey Lutumba

Aujourd’hui, c'est le septième et dernier jour de la Répartition.

Aucune fille dans les candidates ne sait en quoi consiste la dernière épreuve. Et les Femmes n’ont pas voulu la leur révéler.

Les participantes n’ont pas rendez-vous, c'est la commandante du QG qui les récupère dans leurs chambres — maintenant individuelles — et les emmène une par une dans une salle spécifique.

On toque à la porte de l’appartement d’Audrey et, quand elle s’ouvre, la jeune fille aperçoit le visage de la femme-soldat.

- Audrey Lutumba ?

La Camerounaise hoche la tête, puis rejoint celle qui l’a appelée et la suit dans le dédale de couloirs et les escaliers de pierre. Elles passent dans une aile de l’établissement que l'adolescente n'a jamais visitée, près de la salle d’opérations. Cette dernière se demande qui va s'occuper d’elle en marchant. Elle a la réponse dès que la commandante ouvre la porte de la pièce, au fond d'un long corridor sombre…

- Colonelle… grommelle Audrey à contre-cœur en lui faisant un signe de tête, la mine un peu renfrognée.

- Lutumba. Quelle bonne surprise. Je viens à peine d’échanger ma place avec celle de Zhang Tao et c'est vous que je vois en première…

Toujours aussi inexpressive, Krause va faire quelques manipulations sur un énorme clavier, incrusté dans un rebord du mur. La jeune fille au teint mat balaie la salle peinte en noir du regard. Au-dessus dudit rebord, un écran dernier cri lévite en face de la blonde. Au centre de la pièce trône un siège penché vers l’arrière. Le genre que les médecins utilisent pour leurs patients. Les ventouses au bout de plusieurs fils pendant de la chaise ne rassurent pas Audrey. Ni les attaches métalliques qui sont sur chaque côté. Ou encore la grosse aiguille posée sur un plan de travail avec un produit bleuté à l’intérieur.

Avant que l'adolescente ne pose une seule question, Éléonore Krause prend la parole.

- L’épreuve d’aujourd'hui est une simulation. Vous aurez plusieurs choix à votre disposition quand vous vous serez bien imprégnée de ce changement. En fonction de ce que vous déciderez, la Générale, la lieutenante-colonelle et moi-même déterminerons la place que vous aurez au sein de notre société. Bien sûr, les précédents tests que vous avez passés comptent, mais beaucoup moins que celui-là. (Elle se tourne vers Audrey et tapote le siège en cuir.) Venez. Enlevez vos lunettes, s’il vous plaît. Vous les récupérerez à la fin de la simulation.

La colonelle prend les montures que la jeune fille aux cheveux noirs et bouclés lui tend, et les dépose sur le plan de travail, puis revient à elle, alors que l’Africaine s’assoit sur la chaise, angoissée et les yeux rivés au plafond sombre. Le visage de la militaire apparaît dans son champ de vision et elle sent plusieurs objets s'accrocher à son crâne comme une bouée de sauvetage. Les ventouses, bien évidemment. Audrey a l’impression qu’elles lui aplatissent le cerveau. C'est insupportable. Elle tente de bouger pour se sortir de là, mais elle ne peut pas : l’Allemande l'a emprisonnée avec les liens.

- SORTEZ-MOI DE LÀ ! crie l’adolescente, au bord de la crise cardiaque.

Elle gesticule dans tous les sens, mais n'arrive pas à se libérer. La corde de fer enroulée autour d'elle est trop résistante. Elle observe Krause venir avec l’aiguille vue précédemment, un pansement et un chiffon.

- TRAÎTRESSE ! lance-t-elle avant que la colonelle ne lui fourre le tissu dans la bouche.

- Le liquide dans la seringue n'est qu’un tranquillisant, Lutumba, informe la Femme avec le plus grand des calmes. C'est juste pour vous rendre moins anxieuse et...agitée.

À ces mots, Audrey semble s’apaiser. Non pas de son plein gré, c'est le produit qui fait effet. Elle sent ses paupières s’alourdir. Elle les laisse se baisser peu à peu et se laisse porter par ce rythme si régulier : sa respiration…

***

« La fuite, le meurtre ou la mort… »

C'est tout ce qu’on laisse à Audrey.

Dans un coin sombre entre deux immeubles, debout face à une silhouette noire, elle est là. L’inconnu(e) ne bouge pas, caché(e) derrière son masque et le bras tendu avec son revolver dans la main droite. La Camerounaise aussi a une arme, elle le sait. Il lui suffirait de la prendre en une fraction de seconde et de tirer dans la direction de son ennemi(e). Mais elle ne le fait pas, elle réfléchit. Aucune des trois options ne lui semble correcte.

« Décide-toi… » chuchote une voix à son oreille. Elle ignore de qui elle vient et pourtant, elle reconnaît que son choix doit se faire plus rapidement...

Fuir, comme une lâche ?

Mourir ? Après tout le chemin qu’elle a parcouru ?

Tuer ? Est-ce vraiment nécessaire ?

Elle lève la tête et croise le regard de l’individu(e) drapé(e) de noir. Qui est derrière ce masque ? Pourquoi est-il/elle là, face à elle ?

« La fuite, le meurtre ou la mort… »

Une idée germe alors dans son esprit. Une idée qui est sans doute folle. Mais elle doit le faire. Sa curiosité est piquée à vif.

Elle fait alors ce qu’elle aurait dû faire depuis longtemps : elle prend son arme à feu et tire. Mais pas en plein cœur, ni en pleine tête. Non, dans la jambe gauche de cette personne si mystérieuse. Elle accourt vers elle et la soutient avant qu'elle ne tombe au sol.

Un centimètre de plus et c’était trop tard.

Elle pose le pistolet sur le sol, mais assez loin de l’inconnu(e) pour ne pas se faire attaquer par surprise. Puis elle retire le masque et le jette à terre dans un bruit fracassant.

Mais elle n’a pas le temps de voir le visage de l’humain(e), seulement des petites boucles noires de cheveux, que le sol s’ouvre sous ses pieds…

***

Éléonore Krause

Audrey Lutumba est sans doute la seule personne à avoir eu l’idée de découvrir l'identité de l’étranger/ère. Que ce soit chez les Hommes ou chez les Femmes.

À part Éléonore.

Parce que, oui, pendant sa propre Répartition et, plus précisément, pendant cette épreuve-là, elle a fait exactement la même chose. En prenant moins de temps que la jeune fille, mais tout de même !

Après la simulation, elle a réveillé la Camerounaise à l'aide de la technologie et lui a enlevé tout ce qui y avait servi. L'adolescente a papillonné des yeux en reprenant connaissance. Elle s’est levée toute seule, mais a immédiatement perdu l’équilibre. Alors, avec un soupir, l’Allemande s'est dépêchée de l'approcher avec les lunettes de la jeune fille à la main, a passé un bras autour de sa taille et — comme Lutumba n’était pas en état de marcher sans aide — elle l’a amenée jusqu’à sa chambre avec les vagues indications de la demoiselle. Elle l'a déposée sur son lit et a rabattu un plaid sur son corps, l’adolescente s’endormant aussitôt. Puis elle s'est retournée, a déposé les montures et est sortie de la pièce sans un regard pour Lutumba. Elle n'a pas de temps à perdre !

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