Chapitre 3

Audrey Lutumba

La Répartition aura lieu toute la semaine. Une épreuve par jour. Hier, l’interrogatoire, aujourd'hui, cela aura un rapport avec les capacités des participantes.

- Bonjour, Mesdemoiselles.

La L-C Zhang Tao les a emmenées dans une salle de classe comme les autres, qui ressemble à celles qu’elles utilisaient pour leurs cours normaux, puis elles se sont toutes assises derrière une table.

- Aujourd’hui, vous avez droit à une épreuve des plus simples...contrôles écrits, jeunes filles ! Eh oui ! (Plusieurs d'entre elles soufflent, soupirent ou grimacent.) Ne me regardez pas avec cet air de chien battu. Vous voulez terminer la Répartition, oui ou non ? (Elle n'attend pas de réponse.) Dans ce cas, mettez-vous au boulot !

Elle distribue à chacune 4 feuilles recto-verso, représentant individuellement du français, de l'anglais, de l’espagnol, et de l’histoire-géographie.

- Vous avez quatre heures ! s’écrie Lian Zhang Tao en sortant de la pièce.

Quatre feuilles, quatre heures...autrement dit, une heure par copie !

Audrey se met rapidement à remplir ses feuilles. Mais pas avec trop de réponses vraies : elle ne voudrait pas finir professeure !

Elle commence à scruter la pièce. Comment comptent-elles les surveiller ? Elle aperçoit une caméra dans l’un des angles de la pièce. Elle regarde les autres : même résultat. Elle se reconcentre pour terminer ses devoirs, et, dès qu'elle pose son stylo sur la table, une sonnerie retentit. La lieutenante-colonelle revient dans la salle et ordonne aux adolescentes de déposer leurs copies sur le bureau — qui appartient habituellement à une enseignante. Elles obéissent avec quelques grognements, signe que certaines n’avaient pas fini…

Quand c'est au tour d’Audrey de poser ses feuilles, la L-C est en train de marmonner.

- Sale gosse…

C'est sans doute dû à cette fille, qui était devant la Camerounaise et avait presque jeté ses devoirs sur le bureau. Audrey dévisage la Chinoise en fronçant les sourcils. Cette dernière croise son regard.

- Un problème ? demande-t-elle sèchement et en plissant les yeux.

La jeune fille s’empresse de secouer la tête.

- La suite des contrôles aura lieu après le déjeuner ! annonce Zhang Tao. Allez, maintenant, ouste !

***

Kaleb Alexander

Ce matin, quand le Colonel Alexander est arrivé dans une des salles passes-partout, accompagné du L-C aux cheveux roux, le silence s'est abattu sur la pièce.

- C'est étrange, hier, ils étaient plus bavards que ça… fait ce dernier.

Mais on pouvait facilement en deviner la raison : ils n’avaient pas encore côtoyer le colonel et ne connaissaient pas son caractère.

- Bonjour, Messieurs ! a lancé Emilio Manzoni avec enthousiasme.

Aucun d’eux n'a répondu, dévisageant le colosse aux yeux d'un brun foncé. Ils devaient attendre un quelconque geste ou parole qui puisse leur signaler s’il est plutôt du genre sympathique — comme le lieutenant-colonel — ou sérieux, voire sévère.

Kaleb a alors levé un sourcil, toujours impassible, mimique que les adolescents ne savaient interpréter. Puis, enfin, il leur a adressé la parole.

- L’un de vous connaît-il la politesse ? a-t-il juste demandé d’un ton ferme, mais sans aucune trace de colère.

Les candidats sont restés muets comme des carpes, alors que le colonel Alexander les balayait du regard.

- Je crois que vous n’avez pas bien entendu… L'un de vous connaît-il la politesse ? répète-t-il un peu plus fort.

- Bonjour, Lieutenant-Colonel ! s’écrient les garçons en se redressant.

Kaleb hoche la tête, satisfait par leurs paroles. Apparemment, les jeunes hommes n’osent pas parler car le brouhaha précédent ne refait pas surface.

- Oh allez, soyez pas coincés du cul !

Le brun jette un regard de réprimande à son collègue, qui lui sourit en retour.

- Faites une trentaine de fois le tour de la salle en courant, Messieurs, et nous pourrons commencer la séance de sport !

Les deux Hommes s’approchent d’un coin de la pièce pour discuter, tandis qu’Emilio surveille ses élèves.

- Ça va pas de leur parler de cette façon ?! murmure Kaleb entre ses dents serrées. Tu te rends compte de la vulgarité que tu utilises ?

Le rouquin lui attrape le bras et baisse sa paume libre en signe d’apaisement.

- Eh, tout va bien. Cool, Raoul !

Le colonel se dégage en secouant la tête. Il observe les jeunes hommes courir pour se changer les idées.

- Et toi, tu crois que la façon dont tu leur adresses la parole est correcte ?

Après s’être tu quelques minutes, l’Américain prend une grande inspiration, gonflant ainsi le torse.

- Moi, au moins, je me fais respecter, rétorque-t-il d'un ton plus tranchant qu’une lame.

Quand les adolescents ont fini leurs tours de course, le L-C et son partenaire se dirigent vers le petit groupe qui s'est arrêté à leur point de départ.

- Bien, approuve le Colonel Alexander à la place de l’Italien. Maintenant, vous allez exécuter cent pompes.

- Vous plaisantez, j'espère ! s'exclame l'un d'eux avec une mine renfrognée. On s'est déjà tapés trente tours de la salle, ça suffit.

Kaleb s'avance vers lui d’un pas lent et lourd, puis penche son visage vers le sien.

- Est-ce que j'ai l'air de plaisanter ? interroge-t-il avec le plus grand calme — ce qui le rend encore plus menaçant.

Le garçon a du mal à déglutir et rentre la tête dans les épaules.

Ah, tu fais moins l’malin, là…

- Non, Général.

Emilio est alors pris d’un fou rire. Kaleb le regarde du coin de l'œil et s'aperçoit qu’il se tient le ventre d'une main et essuie ses larmes de l'autre. Il revient ensuite à l’insolent, les bras croisés et un sourcil haussé.

- Quel est mon nom, à ton avis ?

- Bah...vous êtes le Général Phillips.

Le rire de Manzoni s’amplifie et il tape sur sa cuisse gauche. Même Kaleb a dû mal à cacher son amusement. Il pose une main sur l’épaule du garçon et déclare :

- Je crois que vous faites erreur, jeune homme.

Puis il le lâche et se dirige vers le fond de la salle. Emilio, qui a repris son sang-froid, redonne la même consigne que le Colonel Alexander au départ et le rejoint.

- La tête qu’il a fait, le gamin ! lance le L-C en s’asseyant près de Kaleb sur une des chaises de la pièce. Je sais pas comment tu fais pour qu’ils t’obéissent autant… Tu dois avoir une aura d’autorité naturelle, je crois !

Le géant brun ne fait pas attention à cette remarque, même si, à l’intérieur de lui, il est fier d’avoir cette “aura d’autorité”.

- Bref, dis-moi ce qui te tracasse autant et qui te fait devenir si irritable.

Les traits de Kaleb se durcissent. Le lieutenant-colonelle affiche alors un grand sourire.

- Non, jouons aux devinettes ! Est-ce que, à tout hasard…

Le colonel répond soudainement par la négative. Manzoni rit doucement et reprend son interrogatoire.

- Elle va bien ?

La tête de Kaleb tourne lentement vers Emilio. Il veut le mettre hors de lui ou c'est juste pour le taquiner un peu ? Il finit par juste hausser les épaules.

- C'est-à-dire ?

- Elle est parfaitement...authentique.

Il se mord la lèvre inférieure quand l’air assuré de la Femme pénètre son esprit.

- Je vois…

- Non, tu ne vois rien.

- Tu ne vois rien.

Et ça recommence…

- Puisque tu affirmes qu’elle n'est pas la raison de ta mauvaise humeur, dis-moi la “vérité”.

Il mime des guillemets avec une grimace. Kaleb se retient de lui donner un coup de poing dans l'estomac.

La vraie raison, ce sont toutes ces morts qu’a annoncé le Général. Une dizaine de milliers.

Le Colonel Alexander sait très bien que, depuis l'année dernière, le nombre de vivants Hommes et Femmes ne cesse d’être en chute libre.

Il explique donc tout à son collègue, qui ne sourit désormais plus. Kaleb sort de la pièce quand Emilio débute véritablement l'entraînement sportif des adolescents.

***

Éléonore Krause

- Ils ont totalement détruit le QG indien, annonce la Générale de l’Inde, sur l’un des écrans de la salle d’opérations.

- Ainsi que le nôtre, ajoute la Colonelle de l’Égypte avec une goutte de sueur qui roule le long de son front.

La chef Nicole Peterson soupire en faisant glisser une main sur son visage, assise à son bureau, devant la caméra. Son bras droit, Éléonore, se tient debout, juste derrière elle. Elle fixe le vide, toujours aussi neutre.

- Faites attention, Mesdames, j’ai entendu parler d'agents infiltrés, informe une Commandante australienne.

- Alors, comme ça, les Égaux passent à l’action… marmonne la Colonelle Krause en redressant la tête.

- Souvenez-vous que ce sont juste des adolescents en recherche d’attention, rappelle la Femme d’Australie.

- Et d’indépendance… murmure Nicole. Il va falloir qu’on le dise à notre collectif.

L’Allemande aux yeux gris, qui se sont assombris avec la nouvelle, hausse un sourcil.

- Pour quoi faire ? Pour informer nos ennemis que nous sommes au courant de leur petite virée chez nous ?

- Oh, Colonelle, un peu de tenue ! s’écrie Lian Zhang Tao avec un sourire, dans l'encadrement de la porte.

Elle rejoint ses supérieures, puis salue leurs alliées sur les tableaux de contrôles et les ordinateurs.

- Ce que je voulais dire, débute Éléonore en dilatant les narines, c'est qu’il serait absurde de tenir au courant les Égaux de ce que nous savons. Franchement, je n’en vois pas l’intérêt.

- Leur réaction, Krause, leur réaction… souffle l’Asiatique en levant les yeux au ciel.

La colonelle grommelle tandis que Lian semble jubiler devant son ignorance et que Nicole acquiesce devant sa justification.

Une demi-heure s’écoule pendant que les Femmes haut placées échangent leur rapport de territoire. Quand elles ont fini, elles se disent “au revoir” et la L-C inscrit toutes les informations importantes qu’elles ont apprises aujourd'hui :

Sept attaques de la part des Égaux

Trois infiltrations dans les QG féminins

145 mortes par les Égaux

23 034 mortes par les Hommes


Éléonore et Lian s’écroulent elles aussi sur des fauteuils, comme la Générale avant elles, et un grand silence s'abat sur la pièce. Un silence rempli de dépit, froid et interminable.

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