Nuage de Trèfle sentit les rayons du soleil sur sa fourrure brillante et fronça les sourcils. Même en dehors du camp, on ne pouvait donc pas dormir en paix ! Énervé, le novice brun-doré se leva, fit une toilette rapide, puis se mit en quête de la source de la dernière fois. Étrangement, il ne la trouva pas, bien qu'il fut sûr qu'elle eut été là auparavant. Il poussa un grognement sonore et s'allongea à l'ombre d'un saule en repensant aux paroles de Nuage de Foudre.

Cette cervelle de souris mentait, c'est obligé ! Nuage de Libellule ne peut pas... Et puis de toute façon, qu'est-ce que ça peut me faire ?! Je la déteste ! C'est sa faute si Nuage Solitaire est morte...

Son cœur se serra au souvenir de la jolie chatte tachetée de noir. Il ne se rappelait même plus de la couleur de ses yeux...

Je ne dois pas l'oublier... ils devaient être verts... ou bien jaunes... il faudra que j'en parle à Cœur de Mousse. Après tout, c'était son apprentie, elle devrait le savoir... mais comment lui dire ? Presque personne ne connaissait les sentiments que j'avait pour elle...

Il leva la tête et poussa un gémissement.

« Nuage Solitaire, reviens à moi ! »

Mais, évidemment, cela n'eu aucun effet. Le cœur noué, la tête remplie de pensées moroses, il se jeta au sol et commença à donner de grands coups de griffes dans la terre, faisant valser cette dernière, créant une pluie de brins d'herbe tout autour de lui. Les yeux remplis de larmes, le matou commença à courir aussi vite qu'il le pouvait. Peu importait les fougères, les ronces, les patrouilles... sa famille. Plus rien ne comptait.

« C'est ça que vous voulez ?! hurla t-il à l'intention du Clan des Étoiles. Que je sois seul ?! Sans amis ?! Sans famille ?! Vous avez réussi ! Alors, maintenant... laissez-moi ! »

Et il éclata en sanglots.

Le cœur battant, il arriva dans la lande. Son pelage était balayé par les bourrasques, et il devait fermer ses yeux larmoyants pour ne pas que ceux-ci le brûlent. La chaleur le fatiguait, mais il courrait sans discontinuer. 

Nuage Solitaire... Aide-moi ! Je t'en supplie ! Reviens... Nuage Solitaire...

Il s'arrêta, attendant désespérément un signe montrant que l'apprentie défunte l'avait entendu. Mais toujours rien. Désespérément rien. Il poussa un hurlement de rage et reprit sa course effrénée. Le soleil le brûlant, il finit par s'effondrer, inconscient.

                                                                                       * * *

« Nuage de Trèfle... Nuage de Trèfle... Nuage de Trèfle, tu m'entends ? »

L'apprenti ouvrit doucement les yeux, mais les referma aussitôt, aveuglé par le soleil brillant. Il était de nouveau dans la lande. Mais en sentant une odeur qui lui était doucement familière, il les ouvrit aussitôt. 

Nuage Solitaire !

Mais devant lui, ce n'était pas la si belle novice au pelage crème. C'était...

« Qui es-tu ? gronda Nuage de Trèfle.

- Je ne sais pas, rétorqua l'autre. Je n'ai pas besoin de nom. Et toi, Nuage de Trèfle ? T'es qui, au juste ? »

L'apprenti se leva d'un bond, pas le moins du monde impressionné. 

« Qu'as-tu fais à Nuage Solitaire ? Et comment connais-tu mon nom, charpie ?

- Charpie... voilà un joli nom. Tu n'as qu'à m'appeler comme ça, ronronna la chatte en esquivant la question, choisissant plutôt de... lui lécher la joue.

- Charpie... ça te va bien, cracha le mâle en esquivant la caresse. Maintenant, dis-moi ce que tu as fait à Nuage Solitaire ! Pourquoi portes-tu son odeur ?! Tu n'es pas du Clan du Tonnerre...

- Nuage Solitaire ? Connait pas. Décris-là moi, pour voir, murmura-t-elle d'une voix suave. »

Même si elle le poussait à bout, c'était la seule personne qui pourrait - peut-être - l'aider.

« Une magnifique chatte. Plutôt petite. Le pelage crème superbe, tacheté de noir, gronda Nuage de Trèfle entre ses crocs.

- Là, c'est moi que tu décris, ronronna la mystérieuse femelle. Sauf que moi, je suis grande et pas seulement magnifique : je suis resplendissante. »

C'est vrai qu'elle se ressemblent... non ! Nuage Solitaire est unique !

Mais il y avait une ressemblance frappante entre les deux chattes. La silhouette fine, les muscles saillants, le caractère fort... le ton doux.

Sauf que Nuage Solitaire est... morte.

« Et ses yeux ? s'enquit la solitaire en lui léchant la joue.

- Je ne sais pas, siffla le mâle, les griffes sorties, prêt à la repousser.

- Bon, soupira la femelle en s'éloignant - enfin ! - de lui. Je sais pas de qui tu parles. C'est ta sœur ?

- Non... murmura le novice brun-doré, le regard dans le vague.

- Oh, laisse-moi deviner ! C'est ton amoureuuuse ! chantonna aussitôt la femelle.

- Non, pas du tout ! se défendit Nuage de Trèfle en rougissant. Juste... une amie...

- Mais, oui, je te crois ! Bon. Au revoir, p'tit. »

Sur ce, elle tourna les talons avec grâce.

« Non, attend !

- Quoi ? grommela Charpie, les yeux pétillants. Je la connais pas, ta copine.

- Moi c'est Nuage de Trèfle, se présenta le chat aux yeux sombres, ignorant les remarques désagréables de l'autre. »

La solitaire roula des yeux.

« Ouah... je le savait même pas en plus. Et je suis sensée m'intéresser à ta vie ?

- Non... Mais tu ferais mieux de la savoir, à l'avenir.

- Et je peux savoir pourquoi ?

- Parce que je viens avec toi. »

« Alors ? Je peux savoir pourquoi tu me colle aux fesses ? »

Nuage de Trèfle poussa un grognement.

« On va où ?

- J'sais pas. Là où l'Esprit de la Lune me guidera. Et toi tu me suivra, j'imagine.

- L'Esprit de la Lune ? répéta le novice. C'est quoi ce truc ? »

La chatte crème se planta devant lui, le poil hérissé, les griffes sorties.

« Ne parles pas comme ça de l'Esprit de la Lune ! cracha t-elle, ses yeux vert-jaune lançant des éclairs.

- Mais c'est quoi ? s'impatienta l'apprenti. »

Il sentit une douleur terrible lui transpercer la joue. Il s'effondra au sol en poussant des cris.

« Pourquoi tu m'as fait ça ? gémit-il, retenant des larmes de douleur. »

Il n'eu pas de réponse. La femelle tachetée, exaspérée, le prit violemment par la peau du cou et le remit debout.

« Imbécile. »

Merci, ça fait plaisir ! avait-il envie de miauler, mais il ne dit rien pour ne pas recevoir un nouveau coup de griffe.

« Tiens, prend ça, grogna la chatte en lui mettant des feuilles malodorantes sous la truffe. »

Le jeune chat fronça les sourcils.

« Et ça, j'ai le droit de te demander ce que c'est ? 

- Ouais. C'est du mille-feuille. Pour ta joue. Débrouille-toi pour t'trouver des toiles d'araignée, par contre. J'suis pas ta mère, non plus. »

Encore heureux... déjà qu'elle est folle...

« Allez, l'imbécile. On se remet en route, ordonna Charpie.

- Ouais, ouais... »

Ils reprirent leur marche, en silence. Nuage de Trèfle regardait ses pattes, tandis que la femelle aux yeux verts-jaunes donnait de temps en temps des ordres tels que « Par là » ou « Stop ». Nuage de Trèfle brisa le silence en redemandant :

« Et du coup, peux savoir qui est l'Esprit de la Lune ? 

- Espèce de... commença la chatte.

- Dis le moi, rétorqua l'apprenti, la coupant sans aucune honte. »

La belle chatte leva les yeux au ciel. Décidément, il était têtu, celui-là...

« Bon bah arrête-toi, alors. Viens, on va dans ces fougères pourries, là. »

Le mâle la suivit, obéissant pour une fois. Il était trop curieux pour se fâcher avec elle. Une fois dans les fougères, Charpie prit la parole :

« L'Esprit de la Lune est très important pour moi, tu vois. En gros, il représente tout les chats que j'ai aimé et qui ont disparu. Et crois, il y en a masse. 'Fin bref, il m'entoure, et tu peux le voir en ce moment même. »

L'apprenti plissa les yeux. Il ne voyait absolument rien, et doutait de plus en plus de la raison de cette chatte pouilleuse.

« Euh... Charpie ? Je vois rien, là.

- Alors c'est que tu ne le mérites pas, fit celle-ci en haussant les épaules. J'aurais dû m'en douter. L'Esprit de la Lune ne va pas s'embêter à apparaître pour des personnes insignifiantes. Allez, suis-moi. »

Je crois surtout que c'est une folle, moi. Dans quelle galère je me suis fourré ?!