Chapitre 34 : Espoir

Rosée du Matin

Une nausée intense me prend alors que je suis en train de dormir dans la tanière des guerriers. Je me réveille en sursaut, manquant de vomir sur mon fils et sa compagne qui dorment à mes côtés. Je me retiens de justesse et me précipite hors de la grotte. 

Dehors, j'ai à peine le temps de rejoindre le coin où nous faisons nos besoins que je rejette tout le contenu de mon estomac sur le sol. 

Après avoir rendu entièrement mon dernier repas, mes pattes tremblent et un frisson me parcourt l'échine. Je grimace à cause du goût aigre qui me reste dans la gueule. 

Suis-je malade ? En mon for intérieur, je sais que non. J'ai déjà connu ce genre de nausée matinale quand j'étais pleine de Goutte de Pluie...

Je sers les crocs. Est-ce que j'attends des chatons ? Si c'est le cas, Cri de l'Aigle est le père... Je soupire. Encore des chatons qui grandiront sans leur père...

Je contemple la voûte étoilée à travers les branches des arbres. Elle va bientôt disparaitre, remplacée par les rayons du soleil. Cri de l'Aigle est sûrement là, à m'observer. Peut-être que Musca y est aussi ?

Le souvenir de ma seule nuit passé avec Cri de l'Aigle me revient en tête et les larmes me montent aux yeux. Il ne méritait pas de mourir de cette façon, assassiné comme un malpropre alors que c'était le chat le plus gentil et le plus courageux que je connaissais.

Je secoue la tête, essayant de penser à autre chose. Il faut que j'aille voir Crabe Brun. Si ça se trouve, je fais juste une indigestion et je me prends la tête pour rien...

— Salut, Rosée du Matin ! Déjà levée ?

Fumée Opaque se dirige vers moi avec un sourire. Je hausse les épaules.

— Salut. Je... j'ai eu envie de faire mes besoins. Et toi ?

— Je dors peu ces derniers temps... Je réfléchis trop...

Je me retiens de lui demander sur quoi il réfléchit. Je n'ai pas envie d'être indiscrète. 

— Bref ! Tu veux partager une souris avec moi ?

Je grimace. Rien que d'évoquer le mot "souris" la nausée me reprend.

— Non merci... Je n'ai pas très faim... Je vais aller voir Crabe Brun.

Fumée Opaque plisse les yeux.

— Qu'est-ce que Crabe Brun a à voir là-dedans ?

Depuis que la réparation de sa tanière est terminée, Crabe Brun est retourné y dormir et le lieutenant et le guérisseur ne s'adresse presque plus la parole. Je me demande pour quelle raison ils se sont disputés cette fois-ci...

— Rien. Je ne me sens pas très bien ces temps-ci, c'est tout.

— Ah, d'accord. Bon, je vais manger un morceau avant que tout le monde ne se réveille, le soleil va bientôt se lever.

Je hoche la tête et laisse le lieutenant partir vers la pile de gibier. 

Soudain, Lueur d'Espoir sort de la tanière des guerriers en trombe et court au coin des besoins. Je l'entends rendre le contenu de son estomac comme moi auparavant.

Puis, elle revient et se dirige vers moi. Voyant que je la fixe de manière indéchiffrable, elle se sent obligé d'expliquer :

— Je ne me sens vraiment pas bien... Je crois que j'ai mangé une proie avariée...

Je vois que son corps est rempli de frissons. Et si, elle aussi, attend des chatons ? J'écarquille les yeux à cette pensée.

Lueur d'Espoir penche sa tête sur le côté, ne comprenant pas ma réaction. Elle ouvre la gueule mais je la coupe :

— Viens, allons vite voir Crabe Brun !

Elle n'a pas le temps de répliquer. J'entour ses épaules de ma queue et la pousse littéralement vers la tanière du guérisseur, en retrait des autres tanières. 

Arrivée devant la tanière toute neuve, j'annonce notre présence par un miaulement, au cas ou les guérisseurs sont en train de dormir.

La tête encore toute ensommeillée de Nuage de Brindille sort de la pénombre. Il cligne plusieurs fois des yeux pour s'habituer à la lumière de l'aube qui pointe petit à petit le bout de son nez. Puis, il pose son regard ambré sur nous et demande :

— C'est pour quoi ?

Lueur d'Espoir me fixe, attendant ma réponse qui ne tarde pas à venir :

— J'ai besoin de savoir si Lueur d'Espoir et moi attendons des chatons.

Les yeux de la jeune guerrière s'écarquillent et sa gueule s'entrouvre. 

— Des... des chatons ?

Nuage de Brindille ignore le désarroi de son ainée et me répond :

— Très bien, entrez. Je vais aller réveiller Crabe Brun. Je vous préviens, il n'est pas de très bonne humeur ces derniers temps...

Nous entrons dans la tanière. Tandis que l'apprenti brun va chercher son mentor, Lueur d'Espoir me questionne :

— Comment est-ce que tu peux savoir que j'attends des chatons ?

Je hausse les épaules.

— C'est juste une intuition. Si ça se trouve, je me trompe complètement et tu fais juste une indigestion.

À ce moment, Crabe Brun arrive. Il se plante devant nous, le regard las. Il a l'air fatigué. On est beaucoup à ne pas arriver à dormir dans le camp ces derniers temps...

— Nuage de Brindille m'a dit que vous voulez toutes les deux savoir si vous attendez des chatons, c'est bien ça ?

Nous hochons toutes les deux la tête.

— Très bien. Nuage de Brindille, occupe toi de Rosée du Matin et je me charge de Lueur d'Espoir.

Aussitôt l'ordre donné, Nuage de Brindille s'exécute et commence à me tâter le ventre. Il appuie de plus en plus fort et ça commence à me faire mal. Je sers les crocs.

Il arrête enfin et va chuchoter quelques mots à l'oreille de Crabe Brun. Celui-ci hoche la tête, s'éloigne de Lueur d'Espoir qu'il vient de finir d'ausculter et annonce d'une voix neutre, sans aucune émotion :

— Vous attendez toutes les deux des chatons. Félicitations.

Son ton n'est tellement pas adapté à l'annonce qu'il vient de nous faire qu'au début, je ne comprends pas. C'est quand je vois l'expression de Lueur d'Espoir changer que je réalise ce qu'il se passe. 

Je n'ai pas le temps de dire quoi que ce soit car Crabe Brun nous met dehors pour retourner se coucher.

Nous nous retrouvons dehors en un rien de temps. Lueur d'Espoir ne dit rien mais elle a toujours cette expression apeurée. Je décide de la rassurer :

— Je suis sûre que tu feras une excellente mère !

— Je... peut-être... c'est juste que...

— Toutes les mères font des erreurs la première fois, tu peux me croire. Et puis, tu ne seras pas seule. Je suis sûre que Goutte de Pluie fera un bon père et puis, moi, je serai une bonne grand-mère !

Lueur d'Espoir sourit. Elle semble avoir été rassuré par mes propos.

— C'est fou qu'on attende des chatons en même temps !

Elle baisse la tête et rajoute :

— Je suis désolée que Cri de l'Aigle ne soit pas là pour t'aider...

Je baisse la tête à mon tour et murmure :

— Il sera là... Il nous observera de là-haut...

Nous observons un moment de silence avant que la voix de Fumée Opaque ne m'appelle. Je fais un signe de la queue à la compagne de mon fils et rejoins le lieutenant couleur fumée qui est posté devant le tas de gibier.

— Alors, elle était bonne ta souris ?

Il soupire :

— Je n'ai même pas eu le temps de la manger, Étoile de l'Aurore m'a convoqué. Elle pense qu'il est temps que Nuage de Pétale devienne guerrière étant donné que c'est elle qui nous a tous sauvé en tuant Étoile du Rossignol. Elle pense que ça pourrait lui donner envie de reparler à nouveau.

— Oh ! Je ne m'attendais pas à ça...

— Du coup, il faudrait que tu l'emmènes faire son évaluation finale aujourd'hui.

Je dois faire une tête bizarre car Fumée Opaque plisse les yeux et me demande :

— Tout va bien ?

Je secoue la tête, sentant les larmes me monter aux yeux.

— Je viens d'apprendre que j'attends des chatons. Ceux de Cri de l'Aigle...

— Oh... on peut reporter l'évaluation si tu veux...

— Non. Je... je vais le faire, ça va un peu me changer les idées.

— Très bien. Euh... si tu as besoin de parler, je suis là.

Je fais un sourire triste.

— Merci, Fumée Opaque... Bon, je vais aller chercher Nuage de Pétale.

Je quitte le lieutenant et marche vers la tanière des apprentis. Toutes mes pensées sont tournées vers les petits êtres qui grandissent en moi. Je ressens déjà tellement d'amour pour eux. Mais aussi tellement de peine...

Encore une portée de moi qui grandira sans père...

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