Chapitre 20 : Réciprocité
Lueur d'Espoir
C'est un cauchemar.
Cela fait des jours que nous sommes au camp du Clan de la Nuit et, ni papa, ni Goutte de Pluie ne se sont réveillés. J'ai si peur de les perdre. Je me sens si seule sans eux... Sans Goutte de Pluie.
Je me rends petit à petit compte que je ne peux pas vivre sans lui. Sa présence à mes côtés me manque terriblement, ses blagues débiles, son rire qui réchauffe mon cœur et ses yeux brillants de malice. C'est bizarrement que lorsqu'on est sur le point de perdre quelqu'un que l'on se rend compte d'à quel point ce chat compte pour nous. Je le comprends maintenant...
Je soupire et décide de sortir de la tanière du guérisseur pour aller me changer les idées à l'extérieur.
Dehors, je prends une grande bouffée d'air. L'atmosphère est chaude et humide et il pleut encore, ce qui rend le sol du camp du Clan de la Nuit presque impraticable pour les chats de petit taille, comme moi.
Malgré la boue et la pluie, je m'avance dans le camp sans connaitre ma destination. J'aperçois Fumée Opaque partager un lièvre avec Crabe Brun protégés de la pluie par un surplomb rocheux.
Quand mon regard croise celui de mon ancien mentor, mon cœur ne bat plus à la même vitesse qu'avant. Et, quand il me fait un sourire et que je lui rends, les papillons ne s'envolent plus dans mon bas-ventre. Suis-je vraiment passé à autre chose ? Dans ma tête, seule trône l'image de Goutte de Pluie, allongé, le corps faible et presque sans vie.
Je soupire et me détourne du lieutenant qui retourne à sa dégustation.
La pluie commence à aplatir mon pelage contre ma peau et à me glacer les os. Je vais sûrement finir malade... Tant mieux, comme ça je pourrais passer tout mon temps dans la tanière du guérisseur sans culpabiliser de ne rien faire d'autre...
Soudain, j'aperçois Nuage de Pétale qui discute avec animation avec son frère, Nuage de Brindille. Malgré moi, mes pattes me guident vers elle. Après tout, lorsque nous étions chatons, je me confiais tout le temps à elle alors pourquoi pas maintenant ? Ça me ferait sans doute du bien de vider ce que j'ai sur le cœur.
Lorsque j'arrive au niveau de la petite chatte blanche au pelage barbouillé par la boue je dis, d'un ton enjoué :
— Salut, Nuage de Pétale !
Son frère me regarde, les yeux plissés. Je rajoute donc, pour ne pas le blesser :
— Et salut, Nuage de Brindille !
Les deux chats se taisent comme si je venais de les interrompre dans une discussion très importante.
— Je vous dérange, peut-être ?
— Non, pas du tout. J'allais justement partir. Je vous laisse. déclare Nuage de Brindille avant de se détourner sans un regard en arrière.
Me voilà seule avec Nuage de Pétale. Elle semble mal à l'aise. J'ouvre la gueule mais mon ancienne amie me coupe :
— Tu... tu vas bien ?
Une simple question mais une réponse pas aussi simple... Je soupire :
— Je t'avoue que je n'en sais rien... Je suis un peu perdue, j'ai l'impression de vivre tous ces évènements de l'extérieur, comme si j'étais en dehors de mon corps...
Nuage de Pétale me fixe mais se tait. Elle me laisse parler mais m'écoute. Je continue donc sur ma lancée :
— Tu sais que Goutte de Pluie m'a avoué ses sentiments juste avant notre baptême de guerrier ?
Les yeux bleus de l'apprentie s'arrondissent d'étonnement mais elle ne dit toujours rien.
— Et moi, comme une cervelle de souris, je l'ai rejeté... Et regardes dans quel état il est aujourd'hui... Si ça se trouve, il mourra sans savoir que... que je regrette tellement ma décision d'avoir refusé ses sentiments...
Je sens les larmes me monter aux yeux quand je rajoute :
— Sans oublier mon père qui est vraiment dans un sale état... Est-ce qu'il se réveillera un jour ou est-ce que le Clan de l'Au-Delà me l'enlèvera ?
Je baisse la tête en reniflant bruyamment. Nuage de Pétale reste silencieuse mais je sens sa queue blanche s'enrouler autour de mes épaules avec douceur. Comme au bon vieux temps, je laisse tomber ma tête contre son épaule en murmurant :
— Notre amitié m'avait manqué...
Je la sens hocher la tête et je l'entends ronronner.
On reste quelques temps comme ça, blottit l'une contre l'autre dans un silence réconfortant entrecoupé par le clapotis de la pluie tombant dans les flaques de boue.
Soudain, la pluie redouble d'intensité, ce qui me sort de ma torpeur. Je me redresse et plonge mon regard dans celui de l'apprentie :
— Merci de m'avoir écouté. Ça m'a fait du bien de te parler.
— Ça m'a fait plaisir que tu te confies à moi.
— Et... toi, du coup, ça va bien ?
La jeune chatte blanche semble troublée par ma question. Je vois une lueur d'hésitation dans ses yeux bleus. Enfin, elle dit :
— Je... ça va...
Je penche ma tête sur le côté. Nuage de Pétale ne sait vraiment pas mentir...
— Si tu ne veux rien me dire, c'est ton choix...
Elle me coupe, lâchant sa bombe :
— J'ai vu Cœur d'Ébène.
Un frisson me parcourt l'échine. Ce chat du Clan du Soir m'a toujours fait froid dans le dos, même s'il est le père de Nuage de Pétale...
— Quand ?
— À la dernière Assemblée...
— Comment ça s'est passé ?
Nuage de Pétale hausse ses épaules, le regard perdu dans le vide :
— Il s'est figé et n'a rien dit. Il ne s'est rien passé et je ne sais pas si ça me déçois ou si j'en suis soulagée...
Elle pousse un profond soupire avant de murmurer, comme pour elle-même :
— Pourquoi ma mère s'est mit dans une telle situation ? Elle aurait tellement pu éviter tout ça...
Elle replonge son regard dans le mien :
— Voilà, je crois qu'on s'est tout dit ?
Encore une fois, je vois qu'elle ment mais je n'insiste pas. Elle me dira ce qui l'a tracasse réellement quand elle en aura envie, chaque chose en son temps... Je dis donc, avec un sourire :
— Oui ! Ça soulage, pas vrai ?
— Ça, je ne te le fais pas dire !
C'est alors que j'entends quelqu'un appeler mon prénom. Je me tourne vers la source de l'appel. Un petit chat blanc aux taches grises court vers moi, tant bien que mal dans la boue. Ses yeux pétillent de joie.
— Lueur d'Espoir !
Arrivé à ma hauteur, mon frère, Petites Taches, me saute dessus en riant. Je fais semblant de m'écrouler sous son poids et nous nous roulons dans la boue.
Après quelques roulades, nous nous remettons sur pattes, nos pelages devenus collants à cause de la gadoue.
— Qu'est-ce que tu voulais me dire, au fait ?
Le chaton plisse les yeux comme s'il essayait de se souvenir de pourquoi il m'avait sauté dessus si joyeusement mais n'y parvenait pas. Enfin, ses yeux bleus s'éclairent :
— Ah, mais oui ! J'ai faillis oublier, quelle cervelle de souris ! J'étais venu te dire que papa s'est enfin réveillé !
J'écarquille les yeux, n'en croyant pas mes oreilles :
— Non, tu mens ?!
— Non, j'te jure ! Viens !
Je jette un coup d'œil à Nuage de Pétale qui hoche la tête avec un sourire.
— Aller !! Viens, Lueur d'Espoir !!
Petites Taches est surexcité, il sautille, ne tenant pas en place.
— J'arrive !
Il se met à courir aussi vite que la boue le lui permet et je le suis, le cœur un peu plus léger. Papa s'est réveillé...
Nous entrons en trombe dans la tanière du guérisseur. Étoile de l'Aurore, Petit Loir et Brin d'Herbe sont autour du corps brun aux taches blanches de Orage du Crépuscule. Celui-ci semble affreusement fatigué et affaiblis mais il a les yeux ouverts et c'est tout ce qui compte.
Nous rejoignons le groupe au chevet de l'ancien à l'air déboussolé. Je murmure :
— Papa, tu es enfin réveillé...
Il ne semble pas m'entendre. Il ne cesse de répéter :
— Où suis-je ? Que s'est-il passé ? Suis-je mort ?
Étoile de l'Aurore prend le temps de lui répondre, d'une voix douce :
— Tu es dans la tanière de Brin d'Herbe, le guérisseur du Clan de la Nuit qui ont eu l'amabilité de nous accueillir dans leur camp. Il y a eu un incendie dans la forêt, tu as faillis y perdre la vie mais, Clan de l'Au-Delà soit loué, tu n'es pas mort.
Malheureusement, Orage du Crépuscule répète encore les mêmes questions, le regard dans le vide, comme s'il n'avait pas entendu maman lui répondre. Étoile de l'Aurore lance un regard paniqué en direction du guérisseur.
— Je pense qu'il est encore sous le choc, il faut le laisser se reposer pour qu'il puisse s'en remettre. Je vais lui donner des graines de pavot.
Il s'en va dans une grotte secondaire, sûrement là où il range ses remèdes. Il revient quelques temps plus tard, des graines dans la gueule. Il les dépose devant Orage du Crépuscule qui les mange sans poser de question. À peine il les a avalé, qu'il plonge dans le sommeil.
Je sers les crocs. J'aurais aimé que ça se passe mieux, j'aurais aimé pouvoir un peu parler avec lui... Mais je suppose que c'est mieux que rien, au moins, il est vivant.
Soudain, une toux venant du fond de la grotte attire mon attention et mon cœur fait un bond gigantesque dans ma poitrine :
— Vous avez entendu ça ?
Brin d'Herbe hoche la tête et se dirige vers la source du bruit. Je le suis, le cœur battant à tout rompre. Je sais très bien qui a toussé mais je ne le croirais que si je le vois de mes propres yeux.
Quand mon regard croise celui, perdu, de Goutte de Pluie, je ne peux pas me retenir. Je me presse contre lui en ronronnant :
— Tu es enfin réveillé...
Il ouvre la gueule mais seul un son enroué en sort. Il se remet à tousser.
— Je vais lui chercher de l'eau !
Brin d'Herbe sort de la tanière et revient quelques secondes plus tard avec un boule de mousse imbibée d'eau qu'il dépose près du guerrier gris. Celui-ci ne se fait pas prier pour boire.
Une fois qu'il a fini de se désaltérer, il se tourne vers moi, les yeux pétillants. Mon cœur bat la chamade mais je décide qu'il est temps de lui dire tout ce que j'ai sur le cœur :
— J'ai eu tellement peur de te perdre, Goutte de Pluie... Je ne voulais pas que tu meurs en croyant que je ne t'aime pas, alors que c'est faux...
— Je... Tu...
— Je t'aime, Goutte de Pluie. Je ne veux plus jamais que quelque chose nous sépare.
Il cligne plusieurs fois des yeux comme s'il vérifiait qu'il n'était pas dans un rêve.
— Tu... Tu es en train de me dire que... tu veux être ma compagne ?
— Oui, je veux être ta compagne !
Il se met à ronronner et à tousser en même temps, les poumons toujours prit par la fumée. Je souris, attendrie et, sans attendre, je pose mon museau contre le sien. Il me passe un coup de langue sur la joue et je me sens aux anges.
— Hum... Il va falloir le laisser se reposer maintenant... Voici des graines de pavot.
J'ai presque oublié la présence de Brin d'Herbe à nos côtés. Je m'écarte de Goutte de Pluie à contrecœur et celui-ci engloutis les quelques graines et s'endort en moins de temps qu'il n'en faut pour le dire.
Brin d'Herbe me fait un sourire et retourne auprès de mon père pour vérifier ses signes vitaux.
Moi, je suis tellement soulagée depuis que j'ai entendu le son de la voix de mon père et celle de Goutte de Pluie. Ce n'est pas un rêve, cette fois-ci, ils se sont bien réveillé.
Ils ne vont pas mourir et, en cet instant, c'est tout ce qui compte.
Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top