Chapitre 16 : Le calme avant la tempête

Cœur de Pierre

Quelques jours se sont écoulés depuis le baptême de Lueur d'Espoir et Goutte de Pluie. Rien de bien palpitant ne s'est passé à part qu'il fait de plus en plus chaud et que des nuages obscurcissent de plus en plus le ciel. 

Là, je suis seul dans la tanière des anciens. Pie Voleuse est partie faire ses besoins et Orage du Crépuscule m'évite depuis le jour où il a eu son coup de chaud et qu'il m'a crié que j'allais mourir. Un frisson me parcourt l'échine en repensant à cet évènement. Bizarrement, je ne crois pas du tout à l'excuse du "coup de chaud" que m'a donné Orage du Crépuscule... Ma fin est proche. Je le sens.

Je me lève en secouant la tête pour chasser ces sombres pensées de mon esprit. Je sors de la tanière avec une idée en tête : si je dois mourir, autant passer le plus de temps possible avec les chats que j'aime pour n'avoir aucun regret.

Dehors, la chaleur est étouffante. Je m'arrête, en suffoquant. 

— Tout va bien, Cœur de Pierre ? me demande Crabe Brun qui se dirige justement vers la tanière des anciens accompagné par son apprenti, Nuage de Brindille.

Je hoche la tête avec un sourire.

— Oui, ça va. C'est juste la chaleur qui m'a fait un petit choc. Sinon, si vous cherchez les anciens, Pie Voleuse est partie faire ses besoins et je ne sais pas où est Orage du Crépuscule...

— C'est toi que je voulais voir, en fait.

Le guérisseur brun s'approche de moi et dépose quelques herbes à mes pattes. Il explique :

— Ce sont des herbes fortifiantes. Ne t'offusques pas, j'en ai aussi donné aux autres anciens. Manges les.

J'obéis au guérisseur qui a l'air d'assez mauvaise humeur. 

— Nuage de Brindille, vas changer les litières des anciens  tant qu'ils ne sont pas là.

L'apprenti guérisseur ne se fait pas prier, sentant, lui aussi, l'humeur massacrante de son mentor. 

Je grimace, face à l'amertume de la plante. Crabe Brun le remarque et râle :

— Arrêtes d'exagérer comme ça.

Je sais que je ne devrais rien lui demander au risque de le mettre encore plus en colère mais, je sais aussi qu'il me respecte et, donc, qu'il ne me traitera pas comme il traite son apprenti. Donc, je me lance :

— Crabe Brun, qu'est-ce que tu as ?

Je fixe le guérisseur qui semble maintenant mal à l'aise. Il évite mon regard et répond, d'une voix mal assurée :

— C'est juste que...

Son regard dérive vers le lieutenant qui est en train de former une patrouille au centre du camp.

— Tu t'es encore disputé avec Fumée Opaque, c'est ça ?

Il soupire et ses épaules s'affaissent.

— Il prend la situation à la légère, comme d'habitude... Il est déjà en train de dire qu'il me protègera durant l'incendie mais, le truc qu'il ne comprend pas, c'est que je n'ai aucune envie qu'il se sacrifie pour me sauver la vie...

Il hésite avant de rajouter en un murmure, presque pour lui-même :

— Moi aussi, j'ai peur de le perdre... Moi aussi, j'aimerais pouvoir le protéger...

Le guérisseur brun secoue la tête brusquement et se tait en baissant les yeux. Je fais un petit sourire pour le rassurer avant de dire :

— Crabe Brun, si tu veux mon avis, tu devrais dire tout ça au concerné, pas à moi.

— Je sais mais... quand je suis face à lui, les mots ne ressortent pas comme ils le devraient...

— Je comprends... Je sais à quel point il est difficile de dire aux autres qu'on tient à eux. Mais je peux aussi te dire à quel point ça soulage de le faire.

Crabe Brun soupire. À ce moment-là, Nuage de Brindille sort de la tanière des anciens et nous rejoint :

— Mission accomplie !

Le guérisseur fait un petit sourire à son neveu. Il a l'air bien plus détendu que quand il est arrivé.

— Très bien, Nuage de Brindille. Suis moi.

Avant de partir, il se tourne vers moi, ses yeux ambrés brillent de reconnaissance.

— Merci, Cœur de Pierre, c'était cool de te parler.

— Pas de quoi !

Je regarde l'oncle et son neveu rejoindre la tanière des guérisseurs, en retrait des autres tanières du camp, toujours un peu écrasée par l'arbre mort qui est tombé il y a quelques lunes. 

Une fois les guérisseurs disparus dans leur antre, mon attention se porte sur la patrouille composée de Cri de l'Aigle, Rosée du Matin, Goutte de Pluie et Nuage de Pétale qui quitte le camp, laissant le lieutenant seul. Il est bientôt rejoint par Étoile de l'Aurore. Je tends les oreilles pour entendre ce que la meneuse écaille a à dire à son lieutenant couleur fumée :

— Vas dire à Crabe Brun que la prochaine fois qu'il va chercher de l'eau au camp du Clan de la Nuit, il faut qu'il emmène avec lui des remèdes, le plus de remèdes possible pour les épargner de l'incendie.

— Laisses tomber, il ne m'écoutera pas aujourd'hui... Il me fait la tête pour je ne sais quelle raison. Tu n'as cas y aller toi même.

Je vois le corps de Étoile de l'Aurore se crisper à l'entente de la dernière phrase prononcée par Fumée Opaque. Je décide d'intervenir avant que les deux chats n'entament une énième dispute. Je m'avance vers eux avec un sourire :

— J'ai entendu votre discussion par mégarde et je pense que Étoile de l'Aurore a raison. Crabe Brun ferait bien de protéger le plus de remède possible.

Mon intervention a l'air de détendre un peu la meneuse. Elle me lance un discret regard de remerciement. Mais, Fumée Opaque n'a pas dit son dernier mot :

— Oui, je suis bien d'accord ! Mais je ne vois pas pourquoi ce serait à moi d'aller le prévenir, il ne daignera même pas m'écouter !

Je vois la chatte écaille ouvrir la gueule pour intervenir mais je la coupe :

— Tu te trompes, je pense que tu es le mieux placé pour lui dire. Je pense que tu es celui qu'il écoutera le plus.

Fumée Opaque semble troublé par ce que je viens de dire. Je fais un signe de tête vers la tanière du guérisseur pour l'inciter à y aller dès maintenant. Il baisse les yeux vers le sol et hoche lentement la tête :

— C'est d'accord... J'y vais...

Il y va donc, le pas trainant. Je le suis des yeux pour être bien sûr qu'il ne se dégonflera pas au dernier moment. Quand il entre enfin dans l'antre, je me tourne vers Étoile de l'Aurore qui pousse un profond soupire :

— Merci, Cœur de Pierre. Je pense que je me serais énervée sans ta venue...

Je souris.

— Ne me remercie pas, c'est normal.

Le silence tombe, lourd comme la chaleur ambiante. Étoile de l'Aurore me fixe avec un air indéchiffrable. J'ai l'impression qu'elle sait, elle aussi, que ma mort est imminente. 

La meneuse détourne enfin ses yeux verts de moi et les porte sur le ciel ou, du moins, sur les nuages noirs recouvrant le ciel. Je vois un frisson parcourir son corps. Elle murmure, toujours en pleine contemplation du vide infini au-dessus de nos têtes :

— J'ai peur, Cœur de Pierre...

Je sens mon sang se glacer malgré l'extrême chaleur. Je prends une grande bouffée d'air pour calmer les battements frénétiques de mon vieux cœur.

Malgré ma terreur et mon trouble, je tente de rassurer mon amie :

— Tu n'as pas à t'en faire, Étoile de l'Aurore. Tu as tout prévue pour que ton Clan survive à cet incendie, il n'y a aucune raison de s'inquiéter.

Elle rabaisse son regard vers moi.

— Le Clan va survivre, oui. Mais il y aura des pertes, je le sens.

En disant ça, elle se remet à me fixer intensément comme si elle voulait me prévenir que je ferais parti de ces pertes.

— Moi aussi... Moi aussi, je le sens. Mais on y peut rien. Tant que le Clan de l'Aube survie, c'est tout ce qui compte.

Elle soupire :

— Tu as raison, je suppose...

Elle va rajouter quelque chose mais un petit couinement indigné l'en empêche :

— Maman ! Petit Loir a encore sortit les griffes alors qu'on jouait à la bagarre ! Je saigne !

La meneuse lève les yeux au ciel et me lance :

— Bon, je te laisse. Mon devoir de mère m'appelle.

Je hoche la tête et la regarde se diriger vers ses fils. Elle sermonne le premier pour sa bêtise et lèche la patte blessée du deuxième pour faire partir le sang. 

Je me détourne de ce spectacle, le cœur serré. Mes yeux se posent alors sur Lueur d'Espoir, seule dans son coin, à l'ombre d'un arbre, près de la sortie du camp. 

Je me dirige vers elle. J'ai toujours aimé discuter avec la chatte blanche aux taches grises. Sa bonne humeur a toujours eu le don de remonter le moral des troupes.

Pourtant, quand je m'approche, je remarque que la jeune guerrière a l'air totalement désespérée et est perdue dans ses pensées qui ont l'air bien sombres. 

— Tout va bien, Lueur d'Espoir ?

Elle sursaute, secoue la tête et fait un sourire qui me semble faux. Son sourire s'efface quand elle voit mon air sérieux. Elle soupire :

— Ça ne va pas vraiment bien, non...

— Tu veux en parler ?

Elle hésite quelques instants avant de me demander :

— Tu me promets que tu ne te moqueras pas ?

— Je te le promets.

Elle baisse le regard vers ses pattes avant de commencer son récit :

— Premièrement, je me suis fais rejeter par Fumée Opaque...

Par Fumée Opaque ? Je crois que j'ai raté un épisode là... Comme si elle lisait dans mes pensées, Lueur d'Espoir réplique :

— Oui, j'ai eu des sentiments pour Fumée Opaque, d'accord ? Mais passons... Deuxièmement, Goutte de Pluie m'a avoué ses sentiments et c'est moi qui l'ai rejeté et, maintenant, je me sens coupable...

J'ouvre la gueule pour rajouter un commentaire mais la chatte blanche me coupe :

— Et, troisièmement, il y a cet incendie qui rôde au-dessus de nos têtes et qui menace nos vies... Avec tout ça, ma nomination de guerrière est presque passée inaperçue alors que c'était sensé être le plus beau moment de ma vie !

Elle s'arrête un instant avant de rajouter avec un petit rire :

— Waouh ! Ça fait du bien de vider son sac de temps en temps ! Merci de m'avoir écouter, Cœur de Pierre !

Elle se lève précipitamment.

— Bon, je vais aller chasser pour me calmer les nerfs ! À plus tard !

Elle sort du camp, telle une tempête, en faisant voler la poussière autour d'elle. 

J'écarquille les yeux. Ça me rappelle ma jeunesse, quand j'avais autant d'énergie qu'elle... Je soupire.

— Une vraie furie, pas vrai ?

Fleur Blanche s'assoit à mes côtés.

— Tu n'es pas sensé rester dans la tanière de Crabe Brun ?

La belle chatte blanche hausse les épaules :

— Il m'a dit que je pouvais sortir. Il dit que je suis sortie d'affaire. Tant mieux, je suppose...

Elle laisse sa phrase en suspens. Je remarque alors qu'elle a l'air terriblement malheureuse. Décidément, les membres du Clan de l'Aube ont l'air de traverser une période difficile... Et, ce n'est que le début avec l'incendie qui arrive...

— Je suis content que tu ailles mieux... Si tu veux parler, n'oublie pas que je suis là.

Mon ancienne apprentie hoche doucement la tête, les yeux perdus dans le vague. J'entoure ses épaules de ma queue et la sers contre moi. Elle enfouit sa gueule dans le pelage gris et réconfortant de ma poitrine. Elle murmure, sa voix légèrement étouffée par mes poils qui doivent lui entrer dans la bouche :

— Je ne suis pas encore prête à en parler pour l'instant... Mais, merci d'être là...

Je ne réponds rien. Si je meurs bientôt, elle n'aura jamais l'occasion de m'en parler. Mais, je comprends son choix de ne pas vouloir me révéler ce qui ne va pas.

Au bout d'un certain moment blottit l'un contre l'autre, Fleur Blanche s'écarte, ses yeux bleus brillants sûrement de larmes. Elle me sourit d'un sourire qui se veut joyeux mais, tout ce que je parviens à voir, c'est la tristesse qui émane d'elle.

— J'ai le dos tourné juste quelques temps et tu en profites pour draguer des jeunettes ?

Pie Voleuse a débarqué derrière nous de manière fourbe et discrète. Je me crispe alors que je ne suis coupable de rien. Elle m'a fait peur.

Fleur Blanche se lève précipitamment et s'éloigne de moi comme si j'étais en feu.

— Ce n'est pas du tout ce que tu crois, Pie Voleuse, je te le promets !

La vieille chatte noire et blanche ricane :

— Je le sais bien ! Je disais ça pour te taquiner, petite ! Qui tomberait amoureux d'un gros lard pareil, de toute façon ?

Les deux chattes éclatent de rire tandis que je leur lance un regard noir.

***

Je rentre dans la tanière des anciens, épuisé par cette journée. Mais je suis content, j'ai pu passer un petit moment avec chaque membre du Clan de l'Aube, à part Orage du Crépuscule qui est resté introuvable toute la journée. 

Quand on parle du loup... Orage du Crépuscule est allongé dans sa litière fraichement changée par Nuage de Brindille. Il semble m'attendre. Bizarre, venant de celui qui m'évite depuis quelques temps...

— Cœur de Pierre...

Des larmes brillent dans ses yeux verts et sa voix s'est brisée. Il sait quelque chose à propos de ma mort, je le sens. 

— Ce n'est rien, Orage du Crépuscule. J'ai vécu une belle vie... Je suis prêt.

Le chat brun aux taches blanches me regarde comme si j'étais en train de me transformer en renard.

— Comment... comment peux-tu accepter de mourir aussi calmement ?

Je hausse les épaules en m'asseyant dans ma propre litière :

— Je ne sais pas... Je sens juste que c'est bientôt la fin alors je me sens prêt à accueillir la mort comme une vieille amie.

— Moi, je ne suis pas prêt à mourir...

Je m'allonge, pose ma tête sur mes pattes et ferme les yeux. Avant de m'endormir, je murmure :

— Alors, tu sais ce qu'il te reste à faire. Ne meurs pas.

Hello tout le monde ! Vraiment désolée pour le retard mais c'était la galère avec la fin des vacances... (j'espère que votre rentrée s'est bien passée ahah). De plus, j'ai vraiment eu du mal à écrire ce chapitre et j'espère que ça ne se ressent pas à la lecture... Le chapitre vous a-t-il plu ?

Sinon, je suis contente, j'ai enfin appris à faire les tirets de dialogue et les points de suspension sur le clavier numérique ahah il était temps !

Bref, je vous laisse et on se retrouve au prochain chapitre qui sera le dernier de la première partie de l'histoire (par contre je risque encore d'être en retard, ne soyez pas étonné ahah) !



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